Al-ahram hebdo : Le débat s’envenime entre libéraux et salafistes. Ces derniers sont critiqués pour leurs prises de position, jugées rigides, en matière de charia. Qu’en pensez-vous ?
Bernard Rougier : En effet, le mouvement salafiste contemporain est l’objet de vives critiques. On lui reproche, en particulier, d’avoir une compréhension étroite des différents textes religieux, notamment du Coran et de la sunna, en négligeant le contexte d’écriture et l’esprit de ces textes, aussi bien dans le domaine théologique que jurisprudentiel, mais aussi en privilégiant une approche littéraliste. Mais la raison fondamentale qui fait que leur vision en dérange plus d’un, c’est qu’ils rejettent, le plus souvent, l’exercice de la raison dans l’interprétation des textes religieux, ainsi que toute influence occidentale, en particulier la démocratie et la laïcité qu’ils accusent de corrompre la foi musulmane. Chose qui déplaît essentiellement aux musulmans libéraux.
— Beaucoup d’Egyptiens ne soupçonnaient pas l’existence des salafistes avant la révolution et aujourd’hui encore ils ont du mal à les cerner …
— Par définition, le salafisme (tout court) est un mouvement sunnite qui revendique un retour inconditionnel à l’islam des origines, celui qui fut pratiqué par la communauté des premiers musulmans. Fondé sur le Coran et la sunna, le courant désigne, aujourd’hui, un mouvement fondamentaliste (dit composite) constitué tout particulièrement d’une mouvance traditionaliste et d’une autre djihadiste. En gros, qu’il soit contemporain ou ancien, le salafisme se veut une continuité de l’islam des premiers siècles, et ce, sans changement aucun. D’ailleurs, étymologiquement, le mot salafisme nous renvoie vers salaf qui signifie « ancêtre » pour désigner les compagnons du prophète de l’islam et les 2 générations qui leur succèdent. Aujourd’hui, les salafistes ne revendiquent pas uniquement le fait de vivre à l’ancienne ou de s’habiller, de manger et de parler comme leurs prédécesseurs, mais veulent exhorter les peuples musulmans à suivre leur lancée. Ceci est quasiment la seule revendication qui arrive à unir tous les discours salafistes, des origines à nos jours.
— Et pourtant, ils ont surpris par leurs résultats lors des dernières élections législatives. Comment expliquer cela ?
— En Egypte, le salafisme conservateur était encouragé par l’ancien président Hosni Moubarak qui l’utilisait contre la mouvance des Frères musulmans. Ainsi, avec la complicité du pouvoir, les salafistes ont pu imprégner le champ social, mais aussi et surtout, religieux. Chose qui explique leur succès remarquable lors des dernières élections. Au lendemain de la révolution, ils se sont mis à critiquer les Frères musulmans et à les accuser de ne pas suivre une pratique rigoriste de l’islam, mais aussi de chercher à obtenir le pouvoir plutôt que d’islamiser leur pays.
— A partir de quel moment pourrait-on lier le salafisme à la violence et à l’appel à la barbarie, comme le font systématiquement les médias européens ?
— Dès lors que le discours salafiste n’est pas belliciste et n’exhorte pas au recours aux armes, on ne pourra pas parler de violences. Par contre, du point de vue européen, la vraie menace est celle qui vise à renverser les Etats des pays musulmans pour instaurer un Etat islamique par la force, parce que cela les conduirait également à entreprendre des actions violentes à l’encontre des pays occidentaux perçus comme les soutiens de ces Etats, en particulier les Etats-Unis.
— Financièrement parlant, qui soutient les salafistes au sein du monde arabe en général, et en Egypte en particulier ?
— Ici, les cheikhs salafistes sont assez aisés. Des liens avec le régime saoudien existent, mais ils restent privés et passent essentiellement par les associations caritatives et les hommes d’affaires qui sont en même temps des bienfaiteurs. Pour des raisons aussi floues que nombreuses, les salafistes d’ici et d’ailleurs sont tous financés par le Qatar qui a constamment besoin d’alliés en échange des ressources qu’il leur réserve.
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