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Ammar Ali Hassan :Sissi donnera un espace considérable aux forces de l’opposition

Chaïmaa Abdel-Hamid, Mardi, 03 juin 2014

Ammar Ali Hassan, politologue, analyse les résultats de la présidentielle. Il estime que le camp Sabahi sera la plus grande force d’opposition sous le régime de Sissi.

ammar ali hassan

Al-ahram hebdo : Comment lisez-vous le taux de participation qui tourne autour des 46 % ?

Ammar Ali Hassan: Il s’agit d’un taux très acceptable en comparaison avec les taux de participation dans les autres pays, et avec les référendums organisés depuis la révolution et qui allaient de 32 % à 41%, ou lors de la présidentielle de 2012 où le taux de participation a atteint 51%. En fait, la campagne du candidat Abdel-Fattah Al-Sissi cherchait à obtenir le plus grand taux de participation, pour dépasser celui de 2012, ce qui était une grande erreur commise par la campagne soutenue malheureusement par les médias, qui ne cessaient d’inciter les citoyens à aller voter. De manière globale, les électeurs considéraient Sissi comme un symbole des forces armées qui ont répondu aux appels des citoyens pour faire chuter les Frères. Ses partisans ne se sont pas intéressés à son parcours politique, mais ils ont vu en lui le leader qui peut protéger le pays, car ils ont peur de voir leur pays déchiré, à l’exemple de l’Iraq ou de la Syrie. Les Egyptiens espèrent donc retrouver la sécurité et le développement plutôt que la démocratie. Le choix de Sissi est sécuritaire plutôt que politique. On ne sait toujours pas s’il est de droite ou de gauche. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il fait partie d’une institution considérée par une grande partie du peuple comme protectrice de l’Etat égyptien. C’est ce qui explique le vote élevé en sa faveur.

— Pourtant, plus d’un million d’Egyptiens ont remis des bulletins nuls ou blancs ...

— Invalider un bulletin est aussi une position politique importante qui vise à dire qu’un bon nombre d’électeurs rejettent les deux candidats de la course présidentielle. Un million n’est pas un chiffre choquant, puisque lors de la présidentielle de 2012, nous avions enregistré plus de 840000 bulletins nuls.

Sabahi 3.2%

— Le plus grand nombre a cependant boycotté les élections, comment interprétez-vous ce fait ?

— Près de 55% des électeurs inscrits sur les listes ont boycotté ces élections. Cette masse d’abstention est très importante. Elle comprend en grande partie des personnes qui n’ont jamais été intéressées par le processus électoral, la majorité des sympathisants du régime des Frères, un bon nombre de salafistes qui ne sont pas convaincus par le soutien de leurs dirigeants à Sissi, des expatriés et une partie de jeunes.

La question des jeunes a suscité un grand débat concernant leur taux de participation. Pourtant, selon mes estimations personnelles, le taux de participation des jeunes âgés de 18 à 40 ans, varie entre 20 et 22 %. Ce sont en majorité des femmes. La participation des jeunes reste partout faible, parce qu’ils ne s’intéressent pas à la politique, veulent se rebeller ou parce qu’ils n’ont pas confiance dans les différents régimes. Je crois que c’est le cas en Egypte. Aucun des deux candidats n’a pu gagner la confiance des jeunes.

— Avec plus de 96% des voix, pensez-vous que Sissi a obtenu une légitimité absolue ?

— On ne peut pas parler de légitimité absolue. Un candidat ne peut obtenir à 100% la confiance des électeurs. Les Egyptiens n’accepteront plus un nouveau pharaon, et Sissi le sait bien. Et si durant les premières années de son mandat il n’arrive pas à réaliser un développement et que la situation des pauvres et des jeunes reste inchangée, il perdra une très grande partie de ses partisans qui pourraient rejoindre le camp de l’opposition.

Vote blanc

— Quelles seront les nouvelles forces d’opposition sous ce nouveau régime ?

— Il est encore trop tôt de définir la carte politique de l’opposition. Mais nous aurons deux principaux types d’opposition: celle qui rejette la personne du maréchal pour son arrière-plan militaire qui le place, pour certains, dans le camp de la contre-révolution, comme le mouvement du 6 Avril ou les socialistes révolutionnaires. L’autre opposition est celle qui attendra de voir les politiques suivies par le nouveau président pour en juger.

— Quel sera le poids de cette opposition ?

— Tous les partis qui ne seront pas représentés dans le nouveau gouvernement feront partie de l’opposition, ainsi que les forces politiques qui n’ont pas soutenu le maréchal, en tête desquels se trouve son rival Hamdine Sabahi, qui représentera à mon avis la plus grande force d’opposition. Certains partis qui sont aujourd’hui autour de Sissi rejoindront ce camp s’ils n’arrivent pas à réaliser leurs intérêts personnels. On connaîtra le vrai poids de l’opposition lorsque le Parlement sera formé. Quant à la masse des Frères musulmans, je ne la considère plus comme une opposition. L’opposition n’a jamais été armée.

Comment l’Etat dirigé par un président élu avec un tel pourcentage traitera-t-il l’opposition ?

— Il est encore très tôt de juger. Mais à mon avis, et vu les exemples précédents, Sissi donnera un espace considérable aux forces de l’opposition. Il faut peut-être attendre quelques mois avant de répondre à cette question.

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