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Abdel-Moneim Saïd : La position de l’Egypte à l’égard de la cause palestinienne est inaliénable

Amira Doss , Mercredi, 29 janvier 2025

Membre du Sénat égyptien, maître de conférences au centre Belfer, un think tank de l’Université de Harvard, et auteur d’innombrables publications sur le conflit arabo-israélien, Abdel-Moneim Saïd revient sur les relations égypto-américaines en cette période cruciale.

Abdel-Moneim Saïd

 Al-Ahram Hebdo : Le président américain a proposé samedi 25 janvier que les Palestiniens soient déplacés en Egypte et en Jordanie, de façon temporaire ou à long terme. Comment interprétez-vous ces propos ?

Abdel-Moneim Saïd : L’Egypte a été ferme dans sa réponse aux propos de Donald Trump. Notre rejet du déplacement des Palestiniens est ferme et ne changera pas. Le ministère des Affaires étrangères a réaffirmé le soutien constant de l’Egypte au peuple palestinien, rejetant qu’il soit déraciné de sa terre, que ce soit de manière permanente ou temporaire.

L’Egypte a intentionnellement répété le mot « terre » pour mettre en relief le lien entre le peuple palestinien et son territoire. Rappelons que le ministre jordanien des Affaires étrangères a lui aussi rappelé que la Palestine est pour les Palestiniens.

Pour l’Egypte, le déplacement forcé des Palestiniens signifie la liquidation de la cause palestinienne et l’expulsion de ce peuple hors de sa terre, ce qui ne peut être qualifié que de nettoyage ethnique. Cette position constante ne change pas avec le changement des Administrations américaines. Elle est inaliénable. J’ai moi-même assisté à des discussions avec des responsables américains et égyptiens. A chaque fois que le mot « déplacement » était abordé, les discussions étaient closes. Pour l’Egypte, il n’y a ni de compromis ni d’ambiguïté envers ce dossier. L’Egypte est déterminée à défendre le règlement politique de la question palestinienne et ne cesse d’exprimer son soutien au fait que les Palestiniens restent attachés à leur terre. On a vu comment des dizaines de milliers de Palestiniens étaient massés dimanche à la frontière entre l’Egypte et Gaza, malgré le froid et la précarité, pour retourner au nord de l’enclave palestinienne.

— La question palestinienne est centrale pour l’Egypte en tant que pays médiateur garant de l’application de l’accord de cessez-le-feu. Pensez-vous que son application tiendra dans son intégralité ?

— L’Egypte a mis en place avec les médiateurs qataris et américains des mécanismes garantissant l’application de cet accord. Mais la question n’est pas là. Il faut voir l’accord dans le cadre d’un processus politique plus global. Tout retard dans le règlement du conflit et tout prolongement de l’occupation ne feront qu’alimenter l’instabilité régionale. Il faut mettre à profit l’attention actuellement accordée par la communauté internationale au problème palestinien pour mettre en application la solution des deux Etats et fonder un Etat palestinien sur les frontières de juin 1967 et conformément aux résolutions internationales. Nous devons attaquer tout de suite la question controversée et épineuse de l’après-guerre, ainsi que celle de l’avenir de la bande de Gaza et savoir qui va contrôler l’enclave. L’Egypte avait proposé que le contrôle et la gestion de la bande de Gaza soient effectués par un comité communautaire inclusif comprenant des figures politiques connues, représentatives de toutes les factions palestiniennes et qui soient acceptées par le peuple palestinien.

L’accord actuel doit nourrir l’espoir d’une paix durable pour que l’on ne retourne pas à la case départ. On sait aussi qu’Israël fera tout pour s’assurer que le Hamas ne reste pas au pouvoir à Gaza. Mais, d’un autre côté, l’Autorité palestinienne s’est révélée être un spectateur peu puissant et surtout impopulaire auprès des Palestiniens. Une administration intérimaire pourrait être une issue.

— L’une des premières décisions de l’Administration Trump a été d’exclure l’Egypte et Israël de la suspension quasi totale de l’aide étrangère fournie par les Etats-Unis. Quelle est la signification de cette décision ?

— Les Etats-Unis ont gelé leur aide étrangère car pour Trump, c’est le moment d’un réexamen complet pour voir si ces aides sont conformes à la politique qu’il entend mener. Il a signé ce décret le jour de son investiture, faisant savoir qu’aucune nouvelle aide ne sera approuvée pour le moment. Les Etats-Unis sont le plus grand fournisseur d’aide étrangère à l’échelle mondiale, avec environ 60 milliards de dollars en 2023. L’Egypte est parmi les plus importants bénéficiaires de l’aide militaire des Etats-Unis et reçoit environ 1,3 milliard de dollars de financement militaire. L’exclusion de l’Egypte révèle que les Etats-Unis sont conscients du rôle stratégique joué par Le Caire au Moyen-Orient, qui reste une priorité en matière de sécurité pour les Etats-Unis. L’Egypte est un acteur important dans les efforts d’instauration de la paix dans la région. En plus, les Etats-Unis comprennent l’importance géopolitique de l’Egypte vu son emplacement sur la carte du monde et l’importance du Canal de Suez et de la mer Rouge dans la navigation maritime mondiale.

— Les Etats-Unis sont le principal allié d’Israël, cette alliance risque-t-elle de se renforcer avec l’arrivée de Trump au pouvoir ?

— Trump parle un seul langage, le langage des intérêts, c’est un homme d’affaires qui veut conclure des transactions et qui calcule chaque décision selon les lois de l’offre et de la demande. C’est une personnalité qui réfléchit en dehors des modèles traditionnels américains. Il ne se présente pas comme un visionnaire comme l’était Reagan ou Kennedy. Il a osé briser les idées préconçues et son retour au pouvoir avec cette masse électorale écrasante lui a donné plus de confiance. Nous avons donc affaire à un Trump plus puissant. Mais l’engagement américain en faveur d’Israël a aussi des origines historiques vu le poids des juifs américains dans les élections américaines. Les Etats-Unis garantissent ouvertement à Israël un avantage qualificatif, non seulement à travers l’aide militaire qu’ils lui accordent, mais aussi à travers les déclarations de soutien sans faille.

Il faut donc savoir parler le langage de Trump et sortir de la logique de gestion du conflit vers une logique de règlement du conflit. En plus, Trump veut compenser un précédent échec avec le deal du siècle rejeté par toutes les parties qui y ont vu un projet injuste ne respectant ni les droits fondamentaux ni les aspirations du peuple palestinien. Aujourd’hui, personne ne peut nier que sans la victoire de Trump à la présidentielle américaine, cet accord de cessez-le-feu n’aurait pas été possible. Trump a répété qu’il voulait un arrêt des combats avant son entrée en fonction. Il veut se concentrer sur son agenda interne sans avoir à gérer une crise régionale toujours en cours au Moyen Orient. Il veut non seulement qu’on lui attribue la signature de l’accord, mais aussi qu’on lui attribue le crédit d’un règlement du conflit. Mais, à nous de rappeler que l’accord n’est qu’un point de départ.

— D’après vous, quel rôle peut jouer l’Egypte dans un éventuel règlement, et quelle sera la prochaine étape ?

— La meilleure décision que l’Egypte puisse prendre en ce moment est d’appeler à la création d’une alliance des pays arabes les plus concernés et les plus touchés par le conflit. Des pays qui soient non seulement influents sur la scène internationale, mais qui souhaitent aussi une stabilité économique interne pour pouvoir se concentrer sur leurs plans de réforme et de croissance économique. Les tensions géopolitiques ont coûté cher à l’Egypte en raison du recul des revenus du Canal de Suez.

Cette alliance pourrait comprendre l’Egypte, l’Arabie saoudite, la Jordanie, le Qatar, les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc. Ces pays peuvent gérer le dossier du conflit afin de parvenir à un règlement global. Ils bénéficient d’une situation interne stable, ainsi que du respect de la communauté internationale. Il ne faut pas non plus oublier qu’Israël veut à tout prix une percée dans ses relations avec l’Arabie saoudite. La création d’une telle alliance pourrait conditionner tout rapprochement avec Israël à la reconnaissance explicite par ce dernier d’un Etat palestinien. Les décisions unilatérales n’aboutiront jamais à un Etat et resteront incompatibles avec les aspirations des deux parties. Personne ne veut revenir à l’escalade d’avant le cessez-le-feu. Il est temps de mette fin à cette injustice à laquelle des générations palestiniennes successives ont été soumises. La reconnaissance d’un Etat palestinien peut se faire aujourd’hui par la négociation. Cela fait des années que nous tournons dans un cercle vicieux et chaque erreur conduit à plus d’escalade.

Un Moyen-Orient en passe de renouer avec la stabilité et où les Palestiniens auront leur Etat est sans doute le souhait de tous. L’Egypte peut convaincre les autres pays de la région de faire ce pas. Il faut savoir jouer ses cartes pour mettre fin à cette tragédie. Et le moment n’a jamais été aussi propice.

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