Al-Ahram Hebdo : Comment voyez-vous les résultats des discussions avec le président Abdel Fattah Al-Sissi à la lumière des défis régionaux et internationaux ?
Anwar Ibrahim : L’Egypte entretient d’anciennes relations étroites avec la Malaisie, pas seulement à travers Al-Azhar, mais nous avons des relations avec l’Egypte depuis le président Gamal Abdel-Nasser qui était une personnalité nationaliste de taille et qui a beaucoup impacté les mouvements nationaux dans la région, y compris en Malaisie.
Mes entretiens avec le président Abdel Fattah Al-Sissi étaient virtuels via des visioconférences dans plusieurs rencontres. Ensuite, je l’ai vu en face-à-face plusieurs fois. Au cours de notre deuxième rencontre au Caire, nous avons abordé plusieurs sujets. Nous estimons que l’Egypte est un pays pivot au Moyen-Orient et en Afrique. Nous sommes d’accord sur un certain nombre de dossiers, parmi lesquels le développement des relations bilatérales, surtout dans l’investissement et le commerce. Nous sommes sur une meilleure longueur d’onde en ce qui concerne la cause palestinienne et le soutien humanitaire qui doit être fourni aux Palestiniens. Je saisis ici l’occasion pour exprimer mon estime au président Abdel Fattah Al-Sissi à tous les niveaux.
— Quels sont les domaines les plus marquants des relations égypto-malaisiennes ?
— Les horizons de coopération sont multiples. Mais notre objectif à présent est de renforcer le commerce et les investissements. Nous avons établi un partenariat au niveau des entreprises qui opèrent en Egypte comme Petronas, qui est un groupe énergétique global, et Proton pour les automobiles. La Malaisie est aujourd’hui un centre pour la technologie de l’information sous toutes ses formes, et je pense que nous avons à ce niveau un espace de coopération important.
— L’Egypte a franchi des étapes importantes pour attirer les investissements étrangers directs et indirects. L’investisseur malaisien est-il sensible à ces efforts ?
— Nous travaillons pour mieux connaître les opportunités d’investissement en Egypte. Mais nous nous focalisons sur deux piliers, à savoir le gaz et le pétrole. En effet, nous avons fait quelques propositions lors de rencontres ayant réuni des hommes d’affaires et des patrons du monde du commerce et de l’industrie des deux pays. Nous avons intérêt à faciliter la coopération et l’investissement entre nous.
— La Malaisie est renommée pour sa prééminence dans l’intelligence artificielle. Quelles sont les chances de coopération avec l’Egypte et la région à cet égard ?
— Aussi bien l’Egypte que la Malaisie possèdent un potentiel énorme que nous n’exploitons malheureusement pas. Nous pouvons ouvrir de nouveaux horizons au niveau de l’intelligence artificielle pour améliorer notre performance économique et notre compétitivité. Je propose que nous formions des groupes de travail conjoints pour échanger les expériences et explorer les opportunités. Nous avons besoin de promouvoir notre coopération dans ce domaine.
— Quels sont les domaines de coopération entre l’Egypte et la Malaisie en matière d’enseignement ?
— Nous avons eu des discussions à ce sujet. Nos universités ont des centres d’intelligence artificielle et nous avons un corps d’enseignement spécialisé, ainsi que des fonds. Nous devons savoir que lorsque l’économie est solide et que la technologie est avancée, nous pouvons immédiatement régler beaucoup de problèmes. On ne peut pas attendre demain par exemple pour régler les crises relatives à la sécurité médicale et la détérioration environnementale. Si on n’investit pas de manière durable dans les sciences, la technologie, l’ingénierie, les mathématiques et la recherche, nous risquons d’être très en retard. Il faut accorder la priorité aux sciences transformatrices comme les biotechnologies, mais aussi la technologie de l’information. Ajoutons à cela tous les domaines de l’économie numérique comme la cybersécurité et les infrastructures numériques. Tous ceci n’est pas un luxe. Nous devons perfectionner l’usage des applications numériques avancées.
— Vous avez prononcé un excellent discours dans l’enceinte d’Al-Azhar, pourquoi Al-Azhar ?
— Al-Azhar a été un phare du savoir et de la connaissance pendant plus de 1 000 ans. Al-Azhar c’est 1 000 ans de savoir, de sagesse et de recherches pour comprendre la Parole de Dieu, les enseignements du prophète et les secrets de l’univers. La nation dans son ensemble ne doit jamais oublier le rôle d’Al-Azhar en tant que bastion du savoir et de la pensée créatrice et, plus important encore, en tant que défenseur de la nation contre les assauts du colonialisme. Al-Azhar a joué un rôle central dans le rapprochement entre l’Egypte et la Malaisie, grâce à ses érudits. Nous avons un grand nombre d’étudiants qui y étudient. C’est une très grande institution. Nous coopérons également avec l’Université du Caire. Le grand imam, cheikh d’Al-Azhar, s’est récemment rendu en Malaisie et a accepté de créer un institut de langue arabe, parce que nous souhaitons élever le niveau de la langue arabe auprès de nos étudiants et de nos jeunes.
— Ne croyez-vous pas que les musulmans souffrent de l’islamophobie dans ce monde noyé dans les conflits ?
— L’islamophobie est l’un des plus grands défis pour les musulmans. Elle déforme l’islam et alimente la suspicion et l’hostilité envers les musulmans du monde entier. La persistance de l’islamophobie reflète une profonde ignorance qui occulte les contributions riches et variées de la civilisation islamique. Les islamophobes ne reconnaissent pas les contributions de l’islam à la civilisation mondiale. La civilisation islamique a contribué aux progrès de la médecine, des mathématiques et d’autres sciences encore. Notre réponse à l’islamophobie doit être fondée sur la connaissance et la sagesse. L’héritage intellectuel et moral de l’islam témoigne du rôle constructif que les musulmans ont joué dans les progrès des connaissances humaines et la promotion de la paix. Grâce aux échanges interculturels, nous pouvons briser les stéréotypes néfastes et les remplacer par une véritable appréciation de l’islam et de ses contributions, le tout dans une société juste et pacifique, dans laquelle musulmans et non-musulmans coexistent dans le respect mutuel.
— Parlant de la cause palestinienne et des événements à Gaza, comment voyez-vous la situation un an après l’agression israélienne ?
— C’est la première fois dans l’histoire moderne qu’un génocide est ignoré par la communauté internationale. Bien entendu, le président Al-Sissi et le monde arabe ont été très clairs dans leurs arguments contre les atrocités commises par le régime israélien soutenu par les Etats-Unis. Cependant, il semble que les Israéliens poursuivent leurs agressions. L’initiative du prince héritier saoudien Mohammed bin Salman à Riyad avait pour but de réunir les leaders arabes et musulmans, afin d’adopter une position unie et d’exercer plus de pression. Les Israéliens continuent leurs crimes dans l’impunité et se soucient peu de la paix, de la sécurité et des résolutions onusiennes. Il faut faire face à l’intransigeance israélienne avec plus de rigueur, et j’appelle à expulser Israël des Nations-Unies.
— Quel est le défi majeur que vous devez relever en tant que premier ministre de la Malaisie ?
— Il y a eu une instabilité politique en Malaisie ces deux dernières années. Mais ce n’est plus le cas. Même chose pour la conjoncture économique. Nous avons aujourd’hui des investissements colossaux. Nous sommes un acteur important dans le domaine du pétrole et nous avons l’intention de devenir un hub énergétique. Nous avons des investissements américains, chinois et allemands. Et nous entretenons de bonnes relations avec la Chine, les BRICS et la Russie.
— Voulez-vous adresser un message via Al-Ahram aux Egyptiens, à la nation arabe et au monde ?
— Je viens d’une contrée lointaine, il est vrai, mais en suivant l’histoire du monde arabe, je vois les contributions énormes de l’Egypte au monde arabo-musulman. J’estime que nous devons nous focaliser sur ce que nous pouvons réaliser malgré nos différences, afin de garantir notre survie. Nous sommes dans un monde noyé dans les conflits et les guerres idéologiques et nous avons tendance à ignorer une réalité qui dit que nous ne pouvons pas réussir sans stabilité et sans une économie basée sur des fondements solides, et également si nous n’arrivons pas à préserver notre identité.
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