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Samir Al-Teki : Les positions non conventionnelles de Trump rendent difficile toute prédiction sur sa politique dans les quatre prochaines années

Osman Fekri , Mercredi, 13 novembre 2024

Samir Al-Teki, directeur du Centre des recherches sur le Moyen-Orient à Washington, revient sur l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche et son impact sur la donne régionale.

Samir Al-Teki

Al-Ahram Hebdo : Que sera, à votre avis, l’impact du retour de Donald Trump à la Maison Blanche sur le Moyen-Orient ?

Samir Al-Teki : Nous sommes tous d’accord que le second mandat de Donald Trump apportera un changement important dans la politique américaine vis-à-vis du Moyen-Orient. Et ce, à tous les niveaux, de la cause palestinienne à l’agression israélienne à Gaza et au Liban. La preuve en est que le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, s’est montré cordial et a été le premier dirigeant mondial à féliciter Trump pour son « come-back » à la Maison Blanche. Netanyahu pense que l’Administration Trump lui donnera le feu vert pour poursuivre la guerre à Gaza et au Liban. Il parie qu’il n’y aura ni pressions américaines, ni appels à un cessez-le-feu. Netanyahu a ses raisons de penser ainsi, étant donné son soutien à l’expansion des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée au cours de son premier mandant. N’oublions pas que son gendre, Jared Kushner, est le concepteur du plan de paix connu sous le nom de « marché du siècle » aligné sur les intérêts d’Israël. Assurément, Trump accordera un soutien inconditionné à Israël. C’est vrai qu’il a promis d’instaurer la paix au Liban, mais sans dire comment. La question qui se pose est de savoir s’il demandera à Israël de retirer ses forces et d’accepter le cessez-le-feu ou bien s’il soutiendra une offensive terrestre de plus large envergure, dans l’espoir d’anéantir totalement le Hezbollah.

Netanyahu croit qu’il pourra influencer Trump. Mais les relations entre ce dernier et le premier ministre israélien sont assez tendues, car Netanyahu avait félicité Biden en 2020 après sa victoire à l’élection. Il reste encore 75 jours avant l’investiture de Trump. Nous espérons que Biden parviendra à un accord pour stopper la guerre à Gaza et mettre un terme à la souffrance des Palestiniens.

— Qu’en est-il de la position de Trump vis-à-vis de l’Iran, de l’accord nucléaire iranien et des tentatives iraniennes de fabriquer une bombe nucléaire ?

— Il existe un consensus parmi les experts sur le fait que les résultats de l’élection présidentielle américaine auront des répercussions au-delà des frontières des Etats-Unis. Donald Trump placera probablement le Moyen-Orient à la tête de son agenda. Certains pays pourraient ressentir un impact direct et fort, et c’est le cas de l’Iran. L’entrée de Trump au bureau ovale pourrait signifier l’imposition de sanctions pétrolières américaines contre l’Iran plus sévères encore que celles qui avaient été appliquées en 2018, après le désengagement américain de l’accord nucléaire.

Trump a maintenu une ligne dure contre l’Iran pendant son premier mandat. Son Administration avait imposé des sanctions radicales à Téhéran. Donc, le retour de Trump n’est pas sans inquiétudes majeures pour l’Iran. Il convient de noter que Trump a affirmé que l’Iran pourrait être lié aux tentatives d’assassinat contre lui. En effet, ces affirmations faites dans le contexte électoral méritent un examen minutieux, mais elles soulèvent des questions pertinentes quant à la manière dont ces convictions affecteront les positions politiques de Trump à l’égard de l’Iran.

— Comment Trump va-t-il gérer les ingérences iraniennes dans la région ?

— Au cours des quatre premières années de son premier mandat, Donald Trump avait pris la décision sans précédent de choisir l’Arabie saoudite comme destination de son premier voyage à l’étranger. Il a tenté de négocier « l’accord du siècle » entre Israéliens et Palestiniens, de promouvoir l’intégration régionale d’Israël et d’accroître considérablement la pression sur l’Iran. Mais le Moyen-Orient a radicalement changé depuis qu’il a quitté ses fonctions en 2021, et les acteurs régionaux observent avec intérêt la manière dont le nouveau président gérera ces mutations.

Les pays du Golfe ont favorablement accueilli la victoire de Trump. Le roi Salman bin Abdel-Aziz et le prince héritier Mohammed bin Salman d’Arabie saoudite ont félicité Trump pour son élection et les Emirats ont déclaré qu’ils étaient engagés avec les Etats-Unis dans un partenariat durable fondé sur les ambitions communes. Partant, l’élection de Trump peut affecter les principaux acteurs du Moyen-Orient. Alors que le Moyen-Orient est au bord d’une guerre, car l’Iran menace de répondre aux attaques israéliennes sur son territoire fin octobre. On craint que l’élection de Trump ne donne plus de pouvoir à Netanyahu pour frapper les installations nucléaires iraniennes, alors que l’Administration de Biden avait mis en garde contre ce danger. Trump pourrait demander à Netanyahu d’accomplir cette mission avant son investiture. Ce qui signifie une escalade des tensions en novembre et décembre pour que vienne ensuite Trump prétendre que c’est lui qui a instauré la paix. Les pays arabes du Golfe ont continué à entretenir des relations avec Trump après qu’il avait quitté ses fonctions, et cela peut être fructueux pour eux, car les relations entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis ont prospéré au cours du premier mandat de Trump.

Pendant le premier mandat de Trump, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis menaient une guerre au Yémen, et les relations des deux pays avec l’Iran étaient au plus mal depuis des décennies. Mais les pays du Golfe ont beaucoup changé leur politique étrangère depuis lors, choisissant de limiter leurs interventions militaires et de tendre la main à d’anciens ennemis comme l’Iran, tout en s’efforçant de diversifier leurs alliances dans un monde de plus en plus multipolaire, sur fond de doutes quant au rôle des Etats-Unis au Moyen-Orient.

L’un des défis auxquels les puissances moyennes émergentes comme l’Arabie saoudite et les Emirats pourraient être confrontées à l’ère Trump est la gestion de leurs relations étroites avec la Chine. Ces dernières années, les pays producteurs de pétrole ont élargi leurs liens commerciaux et technologiques avec la Chine malgré la concurrence entre Washington et Pékin. L’Arabie saoudite et les Emirats ont été invités à rejoindre les BRICS et l’Arabie saoudite a obtenu le statut de partenaire de dialogue au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai, un bloc économique et de sécurité asiatique dirigé par la Chine.

La question est de savoir si l’Administration Trump exercera une pression accrue sur les pays du Golfe pour qu’ils s’éloignent de la Chine dans certains domaines, sans parler des guerres tarifaires et commerciales qui risquent de s’aggraver sous l’Administration Trump et qui pourraient également avoir un impact sur les exportations du Golfe. Trump espère également étendre l’intégration d’Israël au Moyen-Orient, mais il pourrait être confronté au refus de l’Arabie saoudite de normaliser ses relations avec Israël avant de voir les prémices d’un Etat palestinien, ce qu’Israël rejette.

— Quel sera l’impact du retour de Trump sur les relations égypto-américaines ?

— Il ne fait aucun doute que la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine relance les aspirations égyptiennes à renforcer le partenariat stratégique avec les Etats-Unis et à travailler avec Washington pour établir la paix régionale, comme l’a exprimé le président Abdel Fattah Al-Sissi immédiatement après l’annonce de la victoire de Trump.

Nous comptons tous sur Trump pour mettre fin à la guerre qui perdure à Gaza depuis plus d’un an et à l’escalade dans la région. Les positions non conventionnelles de Trump rendent difficile toute prédiction sur la politique de la nouvelle Administration américaine au cours des quatre prochaines années. Il est certain que les relations entre l’Egypte et les Etats-Unis ne rencontreront pas de problèmes au niveau bilatéral sous Trump, bien que les positions du président élu sur la question palestinienne, notamment le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem au cours de son premier mandat, son discours répété sur la petite superficie d’Israël et le Deal du siècle, puissent être des sujets épineux entre Le Caire et Washington. Trump adopte des notions spéciales sur la paix dans la région qui peuvent être différentes de la vision égyptienne. Dans ce contexte, il est certain que la question palestinienne fera l’objet de discussions entre l’Egypte et les Etats-Unis au cours de la période à venir. A mon avis, les relations entre l’Egypte et Washington ne seront pas affectées. Celles-ci resteront équilibrées et basées sur des intérêts communs.

La victoire de Trump est l’occasion de résoudre le dossier du barrage de la Renaissance dans lequel les Etats-Unis ont joué le rôle de médiateur en 2019, bien qu’il soit trop tôt pour connaître le rôle que l’Administration Trump pourra jouer dans un certain nombre de dossiers importants pour l’Egypte. Trump a toujours quelque chose de nouveau. Il a toujours présenté des idées non conventionnelles, ce qui rend difficile de prédire ses positions.

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