Al-Ahram Hebdo : Quels sont les principaux sujets que vous avez abordés lors de votre visite à Washington avant de vous rendre à l’Assemblée générale des Nations-Unies ?
Badr Abdelatty : Ma visite aux Etats-Unis est la première depuis que j’ai pris mes fonctions de ministre des Affaires étrangères. Je tenais à visiter Washington avant de participer à la 79e session de l’Assemblée générale des Nations-Unies à New York, qui survient après le lancement d’un nouveau cycle du dialogue stratégique égypto-américain au Caire. Au cours de cette visite, j’ai rencontré des membres du Congrès et du Sénat des deux grands partis politiques pour souligner la nature particulière des relations égypto-américaines et notre aspiration à renforcer le partenariat dans les domaines économique, commercial, politique et de développement. Il s’agissait également de mettre en lumière les mesures positives dernièrement adoptées par le gouvernement égyptien dans le cadre de son programme de réforme économique pour encourager les investissements étrangers et améliorer le climat des affaires.
L’Egypte est un pays pivot. Sa politique étrangère se caractérise par l’indépendance. Sa politique étrangère se caractérise par ce que le président Abdel Fattah Al-Sissi a appelé « l’indépendance stratégique ». Elle est basée sur le respect du droit international, de la légitimité internationale et des principes de la Charte des Nations-Unies. Dans ce contexte, les relations économiques entre l’Egypte et les Etats-Unis sont basées sur un véritable partenariat pour réaliser des gains mutuels. L’Egypte poursuit ses efforts pour attirer davantage d’investissements étrangers, afin de fournir un million d’emplois par an.
Bien entendu, les questions régionales ont occupé une partie importante des discussions pour échanger nos points de vue, d’autant que la visite a inclus des réunions avec les émissaires américains au Moyen-Orient et en Afrique. L’Egypte joue un rôle efficace dans la résolution des crises régionales par des moyens politiques. Ma visite a été également l’occasion de confirmer la position de l’Egypte sur les dossiers régionaux et son rôle en faveur de la paix et de la sécurité régionales.
— Comment voyez-vous l’avenir dans les territoires palestiniens avec la poursuite de la guerre ?
— La situation actuelle est inacceptable. Nous avons réaffirmé à maintes reprises que l’augmentation continue du nombre de victimes civiles a créé une crise humanitaire sans précédent. L’Egypte poursuit ses efforts avec les partenaires concernés par la crise pour parvenir à un accord de cessez-le-feu. Nous espérons qu’il y aura une volonté politique sérieuse pour y parvenir. La communauté internationale doit faire de son mieux pour mettre fin à cette guerre et empêcher qu’elle ne se propage dans la région. Ce qui se passe actuellement au Sud-Liban est un indicateur dangereux qui laisse présager le pire.
Le seul moyen de parvenir à la stabilité et à la sécurité dans la région est la solution des deux Etats. Il est impératif que le peuple palestinien obtienne ses droits légitimes.
La position de l’Egypte à l’égard du Hamas est claire et cohérente. L’Egypte traite avec le Hamas en partant de sa responsabilité de mettre fin à l’effusion de sang et sa volonté de protéger les civils dans la bande de Gaza. L’Egypte n’a jamais considéré le Hamas comme une instance légitime, mais plutôt comme une partie de la réalité palestinienne, et cela ne signifie en aucun cas reconnaître sa légitimité en tant qu’alternative à l’Autorité nationale palestinienne, qui demeure le seul représentant légitime du peuple palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
En ce qui concerne les tunnels dans le passage de Philadelphie, les responsables israéliens de la sécurité et de l’armée affirment eux-mêmes que ces tunnels n’ont aucune valeur militaire réelle, que la crise émane des problèmes intérieurs en Israël et que le fait de les soulever à ce moment précis fait partie des tentatives étroites de conserver le pouvoir.
— Après l’échec des négociations sur le barrage de la Renaissance, comment l’Egypte entend-elle réagir ?
— La position de l’Egypte a été clairement exprimée dans ma récente lettre au président du Conseil de sécurité, que j’avais envoyée le 1er septembre. Nous avons clairement affirmé que la sécurité hydrique de l’Egypte est une priorité absolue, que nous ne permettrons pas qu’elle soit compromise par des actes unilatéraux et que nous prendrons les mesures nécessaires pour préserver les intérêts du peuple égyptien. Nous avons souligné que l’Egypte dépend du Nil pour couvrir 98 % de ses besoins en eau, de sorte que toute atteinte à cette source représente une menace existentielle qui sera traitée avec tout le sérieux nécessaire. Depuis 13 ans, l’Egypte mène des négociations de bonne foi pour parvenir à un accord juridiquement contraignant sur le remplissage et l’exploitation du barrage, mais l’Ethiopie n’a aucune volonté de parvenir à un accord répondant aux intérêts de toutes les parties.
Le Conseil de sécurité, en tant qu’organe chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationales conformément à la Charte des Nations-Unies, doit assumer ses responsabilités en s’engageant sérieusement sur les questions qui affectent la paix et la sécurité internationales, ce qui s’applique à la situation actuelle concernant le barrage éthiopien. Nous espérons que le Conseil témoignera d’une plus grande interaction face aux défis ayant trait à la paix et à la sécurité internationales, y compris les questions liées à la sécurité hydrique.
L’Egypte est pleinement capable de défendre ses intérêts sécuritaires et hydriques. Nous ne permettrons en aucun cas que les droits de plus de 100 millions d’Egyptiens soient compromis en raison des positions adoptées par certaines parties ou certains chefs d’Etat. L’Egypte est un pays puissant qui n’hésitera pas à protéger ses intérêts nationaux en cas d’atteinte à sa sécurité hydrique.
— Quel est le rôle de l’Egypte dans la stabilité de la Somalie et quels sont les défis qui se posent face à cette coopération ?
— L’Egypte tient beaucoup à la coopération avec la Somalie. La stratégie de l’Egypte repose sur le soutien de l’unité et de la souveraineté territoriale de la Somalie et le refus total d’une quelconque interférence dans ses affaires internes.
Dans ce contexte, l’Egypte a pris des mesures pratiques pour raffermir les relations avec la Somalie, d’où l’inauguration d’une nouvelle résidence de l’ambassade d’Egypte à Mogadiscio et le lancement d’une nouvelle ligne aérienne, Le Caire-Mogadiscio. La coopération économique et les échanges commerciaux entre les deux pays ont aussi un aspect central. L’Egypte a également un rôle axial à jouer à travers sa participation à la nouvelle mission de l’Union africaine en Somalie censée commencer ses travaux début 2025 et ce, à la demande du leadership somalien. Mogadiscio peut tirer profit de l’expérience des forces égyptiennes dans la sauvegarde de la paix.
— Pensez-vous que la position égyptienne vis-à-vis de la crise soudanaise puisse changer avec la poursuite du conflit ? Et quel est le rôle joué par Le Caire pour rapprocher les points de vue ?
— La position de l’Egypte vis-à-vis de la crise soudanaise repose sur la nécessité de préserver l’unité et la souveraineté de l’Etat soudanais. L’Egypte a, dès le déclenchement de la crise, ouvert la porte aux frères soudanais et leur a procuré toutes sortes d’aide. En guise de soutien à la stabilité du Soudan, Le Caire a accueilli le Sommet des pays du voisinage en juillet 2023, ainsi que le Congrès des forces politiques et civiles soudanaises en juillet 2024. L’Egypte a été également active lors des dernières négociations à Genève. Et les efforts continuent en vue de restituer au Soudan sa stabilité.
— Comment Le Caire maintient-il l’équilibre entre son partenariat traditionnel avec Washington et le raffermissement des relations avec la Chine et la Russie ?
— Il n’existe aucune contradiction entre le partenariat stratégique avec les Etats-Unis et les bonnes relations avec les autres superpuissances mondiales. Nous refusons la polarisation. Les relations dans ce monde sont enchevêtrées, et il y a des interférences dans les intérêts. Les Etats en développement n’ont pas le luxe d’adopter des politiques d’alignement. Au contraire, ils ont besoin de consolider les partenariats économiques et commerciaux avec le reste du monde.
— Quelles sont les dimensions du partenariat sino-égyptien face aux défis politiques, économiques et régionaux ?
— Les relations sino-égyptiennes ont témoigné d’un essor dans les dernières années après que les relations entre les deux pays avaient été hissées au stade de « stratégiques et globales » en 2014. La Chine est un partenaire incontournable dans un certain nombre de méga-projets économiques et de développement. Le niveau de concertation entre l’Egypte et la Chine est remarquable. Nous avons le Forum de coopération arabo-chinois et le Forum de coopération sino-africain. Quant au niveau international, les deux pays s’accordent sur les principes onusiens et le rejet des deux poids, deux mesures.
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