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Eric Chevallier : Les relations bilatérales sont stratégiques dans toutes dimensions

Nevine Kamel , Abir Taleb , Mercredi, 10 juillet 2024

Pour S.E. M. Eric Chevallier, ambassadeur de France en Egypte, la profondeur des relations entre les deux pays s’inscrit dans leurs dimensions politique, économique et culturelle. Il revient également sur les messages de partage, de solidarité et de parité que porteront les prochains JO de Paris. Entretien.

Eric Chevallier
(Photo : Yasser Al-Ghoul)

Al-Ahram Hebdo : Nous célébrons cette année le centenaire de la présence diplomatique égyptienne en France. A cette occasion, comment évaluez-vous la relation bilatérale ?

S.E. M. Eric Chevallier : Je suis très frappé par la densité et la qualité des relations entre les deux pays, excellentes au plus haut niveau de l’Etat, mais aussi très fortes entre les peuples. Il y a certainement une passion égyptienne en France, mais je suis aussi frappé de voir, en me déplaçant dans le pays et en rencontrant beaucoup de gens, cette forme de passion pour la France. Il y a des relations très affectives entre les deux peuples. Une combinaison très frappante.

— Quand on évoque les relations entre l’Egypte et la France, on parle souvent d’un partenariat stratégique …

— La relation bilatérale est stratégique dans toutes ses dimensions. D’abord parce qu’elles couvrent l’ensemble des champs : politique, diplomatique, de défense et de sécurité, économique, culturel, universitaire, éducatif … Ensuite, parce que l’Egypte a, de notre point de vue, une place stratégique, à la fois dans la région du Moyen-Orient et du monde arabe, mais aussi à la porte de l’Afrique, et entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Pour toutes ces raisons, nous considérons qu’il y a des enjeux stratégiques à cette relation.

— L’Egypte vient d’accueillir la Conférence économique UE-Egypte. Que reflète une conférence d’une telle dimension quant au rapprochement entre les deux parties et à la confiance dans le climat d’investissement en Egypte ?

— C’était, en effet, une conférence très importante, et ce qui est frappant est d’une part la volonté politique des deux côtés d’avancer, et d’autre part, la présence de plus de 500 entreprises européennes. Je suis d’ailleurs très heureux et fier que la France fût le mieux représentée avec une soixantaine de représentants d’entreprises. Cela marque l’importance que nous attachons, nous l’Europe, et particulièrement la France, à la stabilité et à la prospérité de l’Egypte. Cela marque aussi un intérêt et une confiance dans les questions d’investissement. Je vois des entreprises françaises qui veulent investir ici. L’une des raisons est le potentiel très important que représente l’Egypte en soi, mais aussi en tant que hub dans la région et en Afrique. Et il y aura prochainement un forum des affaires franco-égyptien.

— Quels sont les domaines qui attirent le plus les entreprises françaises ?

— Il y en a plusieurs. Les entreprises sont très encouragées par le capital humain en Egypte car il y a une jeunesse avec un potentiel considérable. Plusieurs entreprises françaises ici investissent, notamment en recrutant beaucoup de jeunes Egyptiennes et Egyptiens dans des métiers de la recherche et du développement, de la technologie et dans les métiers de pointe … Par exemple, j’ai visité trois entreprises françaises qui ont installé en Egypte des centres où travaillent de jeunes ingénieurs très compétents qui développent de la recherche et du développement ensuite vendus à l’international. C’est un secteur très important.

Il y a aussi le secteur des transports où les entreprises françaises sont historiquement très présentes, le métro du Caire, mais aussi le tram d’Alexandrie, le métro d’Abou-Qir. Autre secteur : les énergies renouvelables et l’hydrogène vert. Nous avons plusieurs entreprises qui développent des projets très importants dans le solaire et l’éolien. L’Egypte a des atouts considérables en matière d’énergies renouvelables et a une volonté politique d’avancer en la matière. J’ai déjà visité plusieurs lieux où il y a une implication d’entreprises françaises, comme Benban et Ras Ghareb. En outre, il y a aussi des entreprises qui décident, dans leur propre activité, d’introduire de l’énergie renouvelable. L’une d’elles, par exemple, a travaillé avec une start-up égyptienne pour transformer leurs véhicules en véhicules électriques. Pendant la Conférence UE-Egypte, deux entreprises françaises ont également signé des accords pour développer de l’hydrogène vert ici en Egypte.

Le domaine de la sécurité alimentaire est également très important. Récemment l’Agence Française de Développement (AFD) a développé un projet pour renforcer la capacité de stockage stratégique de blé (+15 %), ce qui est très important pour l’Egypte, premier importateur de blé mondial. A ce sujet, l’Egypte a été affectée par la guerre de la Russie contre l’Ukraine. Pour répondre à ce défi, l’Egypte a diversifié ses sources et la France a été à ses côtés, à travers l’exportation de blé français vers l’Egypte.

— Vous avez évoqué le forum d’affaires franco-égyptien. De quoi s’agit-il ?

— Ce forum d’affaires organisé par Business France en liaison avec la Chambre de commerce et d’industrie égyptienne et d’autres partenaires — dont le GAFI — sera tenu à Paris le 30 septembre et à Marseille le 1er octobre prochains. Si je mentionne Marseille, c’est qu’il ne faut pas oublier que nous partageons la même mer, la Méditerranée. Nous avons une relation également liée à cette culture méditerranéenne.

— Et qu’en est-il des entreprises qui seront présentes à ce forum ?

— C’est en cours d’organisation. Il y aura des entreprises et des institutions égyptiennes qui viendront expliquer aux partenaires français tout le potentiel de l’Egypte. L’idée est promouvoir les liens, notamment entre entreprises.

Il y a plusieurs centaines d’entreprises françaises directement implantées ici, ce qui représente plus de 50 000 emplois directs, mais beaucoup plus en réalité avec les emplois indirects, notamment pour des emplois hautement qualifiés. Plusieurs autres centaines d’entreprises françaises commercent, par ailleurs, avec l’Egypte. C’est une présence importante.

 L’éducation est un autre domaine de coopération important. De quelle manière cette coopération se traduit-elle ?

— L’éducation est bien sûr un enjeu majeur. L’éducation scolaire, l’enseignement universitaire, la recherche sont, pour moi, une priorité. Au niveau scolaire, il y a quelque 50 000 élèves scolarisés dans des écoles directement liées au système français. Mais au total, il y a 3,5 millions d’enfants qui apprennent le français en Egypte. Parce qu’il y a à la fois la dimension enseignement à la française et enseignement francophone. Je voudrais parvenir à l’objectif fixé : doubler le nombre d’établissements liés à la France d’ici 2030. Nous en avons déjà une soixantaine. Mais il y a aussi tout le système public où le français a une place, notamment avec le programme Trèfle qui consiste à former 13 000 professeurs de français dans l’ensemble du pays.

— Qu’en est-il de la coopération universitaire et de la récente signature d’un accord de partenariat entre des universités égyptiennes et françaises ?

— C’est une autre dimension majeure. Nous avons conjointement annoncé, avec Ayman Ashour, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, le lendemain de sa reconduction, de grandes assises de la coopération universitaire et scientifique entre les deux pays. Elles auront lieu dans quelques mois, et nous allons organiser la venue de nombreux présidents et de doyens d’universités françaises pour développer des partenariats. Notre coopération est déjà forte, mais nous souhaitons passer à une autre échelle, y compris en nombre de bourses. La France et l’Egypte vont ainsi cofinancer 100 bourses de doctorat, ce qui est significatif.


(Photo : Yasser Al-Ghoul)

Sur les universités déjà présentes, nous donnons une nouvelle vie à l’Université Française d’Egypte (UFE), notamment avec un nouveau campus, de nouveaux financements, une nouvelle équipe et un développement du nombre de filières, notamment des filières qui répondent au marché de l’emploi égyptien. Nous allons également renforcer le développement de filières francophones dans les Universités du Caire, de Aïn-Chams et d’Alexandrie. Je veux vraiment que le scolaire et l’université soient la priorité des priorités.

— L’un des domaines qui unissent l’Egypte et la France depuis toujours est la culture …

— Bien sûr. On pense d’abord à l’archéologie et à l’égyptologie. De grands noms ont participé à cette relation très particulière et aux liens anciens qu’elle représente. Mais c’est aussi pour moi la réalité de la relation archéologique aujourd’hui. Nous avons trois institutions ici : l’Institut Français d’Archéologie Orientale (IFAO) au Caire, le Centre Franco-Egyptien d’Etudes des Temples de Karnak (CFEETK) à Karnak et le Centre d’Etudes Alexandrines (CEAlex). Nous sommes le premier pays partenaire du Conseil suprême des antiquités. Il y a plus de 50 missions archéologiques françaises, avec plus de 600 personnes.

Je suis aussi très heureux que l’on participe au projet du GEM, le Grand Musée égyptien, puisque nous sommes partenaires et nous soutenons la création de la bibliothèque de ce beau grand musée.

Mais les relations culturelles ne se limitent pas à l’égyptologie, ce n’est pas seulement le passé, c’est aussi la culture contemporaine dans toutes ses composantes. L’exemple qui me vient à l’esprit est le film Les Filles du Nil qui a reçu un prix au Festival de Cannes, cette année. Un film développé en collaboration avec la France. C’est une belle illustration de ces relations étroites sur le plan de la création contemporaine, et il y en a plein d’autres. Je peux également citer Farrah El Dibany. Il y a en Egypte des personnalités artistiques extraordinaires qui représentent tellement bien le grand pays de culture qu’est l’Egypte. Parmi ce qui fait la grandeur de l’Egypte, il y a évidemment la grandeur de sa culture.

— La France se prépare à accueillir un grand événement, les Jeux Olympiques (JO). Comment s’est-elle préparée ? Et qu’est-ce qui distinguera ces JO ?

— Evidemment, c’est le grand sujet des semaines à venir, les JO et les Jeux paralympiques. La dernière fois que la France a accueilli les JO d’été, c’était il y a 100 ans. Ces Jeux, nous les voulons les plus festifs, ouverts, dans l’esprit de l’olympisme, avec quelque chose dont je suis très fier : pour la première fois de l’Histoire, ce sera des Jeux à parité, avec autant d’athlètes femmes que d’hommes. C’est un message très important que l’on veut porter aussi sur la place des femmes dans le sport, le droit pour les femmes de faire du sport, parmi bien d’autres droits qu’elles doivent avoir.

La cérémonie d’ouverture des JO sera très particulière puisqu’il est prévu qu’elle soit sur la Seine. Celle des Jeux paralympiques se tiendra sur la place de la Concorde, où se trouve le célèbre obélisque, ce symbole d’amitié entre l’Egypte et la France.

Ces Jeux se passent aussi dans des endroits très emblématiques. Il y aura des épreuves au Château de Versailles, d’autres au pied de la Tour Eiffel, ou encore au Grand Palais. Des lieux qui font le lien entre l’histoire de la France et la modernité de ces Jeux. Nous sommes aussi très attentifs que ces Jeux soient les plus respectueux possible de l’environnement.

— Quels sont les messages que la France veut envoyer à travers ces Jeux ?

— Nous voulons que ces Jeux reflètent l’image de ce que nous souhaitons montrer de la France. Ce sont les valeurs de l’olympisme, la solidarité, le partage, le sens du collectif, etc. Et bien sûr la parité.

— Qu’en est-il de la coopération entre l’ambassade et l’Egypte au sujet des JO ?

— Nous avons beaucoup travaillé avec le ministre égyptien de la Jeunesse et du Sport, avec les présidents et les responsables des fédérations olympiques et paralympiques, et les présidents des fédérations sportives pour aider l’Egypte à pouvoir arriver aux JOP dans les meilleures conditions. On a beaucoup travaillé ensemble, notamment pour les questions de visa avec le Consulat général, et c’est important, parce que cette année, l’Egypte enverra sa plus grande délégation jamais enregistrée pour des Jeux olympiques et paralympiques. Il y a plus de 160 athlètes égyptiens sélectionnés pour les JO et plus de 60 pour les Jeux paralympiques. Je vous souhaite de gagner beaucoup de médailles, mais d’en laisser aux Français !

Le sport est aussi un sujet de coopération étroite parce qu’il unit les peuples. Nous allons développer plusieurs autres projets, comme par exemple, un projet de partenariat pour le soutien au football féminin en Egypte financé par la France. Nous l’avons récemment signé avec le président de la Fédération de football en Egypte et la responsable du football féminin à la Fédération de football.

— Vous avez entamé votre mission il n’y a pas longtemps, quelles sont vos premières impressions ?

— La première fois que je suis venu en Egypte, c’était au début des années 1990. C’était ma première expérience professionnelle à l’étranger. Je suis médecin de formation et je travaillais alors pour le Centre international de l’enfance. Le premier projet que j’ai conçu à l’époque était en Egypte en partenariat avec le Conseil national de l’enfance et de la maternité, dirigé à l’époque par Hoda Badran. Je me souviens encore de mes premiers déplacements ici. Ensuite, je suis venu à plusieurs reprises en Egypte.

Depuis, beaucoup de choses ont changé en Egypte, mais j’ai retrouvé le charme de certains endroits, comme Zamalek, le club Guézira, où j’ai vite fait de m’inscrire ! Désormais, j’essaie de très bien connaître l’Egypte, surtout de me déplacer, d’aller le plus possible à la rencontre des Egyptiens.


(Photo : Yasser Al-Ghoul)

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