Le fossé immense de financement pour atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD) d’ici 2030 est une priorité pour Mahmoud Mohieddine, directeur exécutif au Fonds Monétaire International (FMI) représentant les pays arabes et les Maldives. Il est estimé à plus de 4 trillions de dollars annuellement à l’échelle mondiale d’ici 2030. Selon Mohieddine, cette situation est principalement due à la crise de la dette qui a touché tous les pays, exacerbée par la double crise financière du Covid-19 et de la guerre en Ukraine. « Dans les pays en développement, les paiements de la dette surpassent de loin les dépenses consacrées à l’éducation, la santé et l’infrastructure », a-t-il précisé.
Selon l’expert, le dernier rapport sur le financement des ODD au niveau mondial indique que seuls 15 % des objectifs ont été atteints. 55 % de ces objectifs ont dévié de leur trajectoire initiale, tandis que 35 % se trouvent dans une situation pire que celle des objectifs du millénaire pour le développement adoptés par les Nations-Unies en 2000, qui ont précédé les ODD adoptés en 2015. « Plusieurs domaines doivent être prioritaires tels que le commerce international, la coopération technologique et les entreprises. Il convient également de mentionner le transfert numérique et celui de l’Intelligence Artificielle (IA), ainsi que les énergies renouvelables », a-t-il ajouté, non sans une note d’optimisme.
La COP27 : Un tournant pour les pays émergents
Dans ce contexte où la question du financement du développement est devenue une préoccupation mondiale, Mohieddine a tenu à souligner les résultats positifs de la COP27 qui s’est tenue à Charm Al-Cheikh du 6 au 20 novembre 2022, laquelle a réussi à mobiliser les financements vers les pays émergents. C’est à la COP27 que le financement climatique a été intégré aux objectifs de développement. Mohieddine explique que cette avancée a été initiée par l’Egypte lors de la COP27 et plus tard par les Emirats arabes unis lors de la COP28, en considérant ces deux aspects comme indissociables.
Des investissements ont ainsi été mobilisés pour l’adaptation et l’atténuation des changements climatiques, ainsi que pour la résolution des problèmes liés à l’eau, à l’agriculture et à la sécurité alimentaire. Tous ces domaines sont intimement liés au climat tout en contribuant aux ODD. « Les réunions du Caire des institutions financières arabes qui ont été tenues la dernière semaine de mai, rassemblant des experts économiques et financiers de tous les pays arabes, ainsi que des ministres, des gouverneurs de Banques Centrales, des représentants du Fonds monétaire arabe, du FMI et de la Banque mondiale, ont réaffirmé la volonté des pays arabes de rétablir leur engagement envers ces objectifs », a-t-il expliqué. La COP27 a effectivement permis de relancer les ODD qui avaient été négligés depuis quelque temps et dont le bilan reste largement insatisfaisant, a estimé Mohieddine.
Plus de financement à crédits facilités
L’économiste et ancien ministre égyptien de l’Investissement a évoqué un mouvement des capitaux vers les marchés émergents estimé à 100 milliards de dollars en 2023. « Ce mouvement est encourageant, mais malheureusement, le total des financements à crédits facilités n’a pas dépassé 2 milliards de dollars », a-t-il souligné, d’autant que ce type de financement est crucial pour le développement. Il a souligné à plusieurs reprises qu’une meilleure mobilisation des financements à crédits facilités doit avoir lieu au niveau bilatéral. « Il reste moins de 6 ans avant la date butoir de 2030 et il est crucial de mobiliser toutes sortes de financements public-privé, locaux, régionaux et institutionnels. Il appelle à doubler le financement pour les pays à revenu moyen et limité. Il faut tripler les financements des institutions financières internationales et quadrupler ceux destinés au secteur privé », a plaidé Mohieddine.
En vue d’augmenter le financement des ODD, les décideurs des politiques publiques dans les pays en développement sont invités à reconsidérer les priorités de leurs dépenses publiques, en particulier en ce qui concerne l’éducation et l’assurance médicale, d’autant que les paiements de leurs dettes ont largement dépassé ces dépenses, atteignant 63 % en Egypte. Il est crucial que ces domaines établissent de vastes partenariats public-privé.
Les réunions du Caire des institutions financières arabes ont abordé un ordre du jour chargé et ont pour la première fois mis l’accent sur la régulation des budgets des Etats arabes et la coordination entre les politiques de finances publiques et monétaires afin de mieux comprendre les lacunes financières de chaque pays face aux ODD. Les experts ont débattu des moyens et des solutions de financement du développement, en évitant l’emprunt. « Il est question d’augmenter les investissements publics, ainsi que les investissements étrangers directs, d’alléger les charges budgétaires et d’échanger les expériences des différents pays arabes en matière de financement », a commenté Mohieddine.
Une coopération régionale mise en avant
L’expert a souligné que ce rassemblement arabe régional intervient à un moment où les décideurs des pays en développement font face à d’énormes problèmes de coordination au niveau mondial en raison des contraintes sur le commerce et les investissements, ainsi que du manque de volonté des institutions financières d’augmenter le financement. Pour lui, la perspective des réunions du Caire doit changer, car elles ne doivent pas seulement donner un nouvel élan aux institutions et fonds arabes. « Nous avons plus que jamais besoin de cette coopération régionale à l’ombre des perturbations mondiales et de la diminution des flux d’investissements et du commerce mondial. C’était une opportunité pour réévaluer la coopération régionale », a-t-il souligné.
Pour résumer ses propos, la coopération régionale cherche des solutions régionales pour stimuler les opérations de développement lors de réunions avec les principales institutions financières arabes en présence du FMI et de la Banque mondiale. « Il est indispensable de faciliter davantage le commerce et les investissements, en plus d’encourager le secteur privé en lui offrant des incitations pour minimiser les risques et maximiser les financements à faible risque », a-t-il ajouté.
Obstacles face à l’intégration économique arabe
Mohieddine a souligné que les obstacles à l’intégration économique arabe sont importants. Selon lui, les contraintes sur le commerce international ont augmenté, ce qui affecte également le commerce régional. En 2019, il y avait 1 000 contraintes, contre 3 000 en 2023. Les pays arabes sont fortement touchés par ces obstacles, notamment en ce qui concerne la facilitation du commerce intra-arabe. Ces contraintes étouffent les investissements étrangers directs et impactent les investissements nets, ainsi que le PIB. « Face à cela, nous avons deux solutions : la coopération régionale et la promotion du développement local, en particulier pour les pays à économies diversifiées, ce qui peut aider à réaliser des transferts qualitatifs, notamment en matière de capital humain », a-t-il insisté.
En effet, les économies arabes font face à de nombreux défis, notamment la baisse de la croissance par rapport aux taux escomptés. L’économiste explique qu’il est impossible de réaliser une croissance conforme aux ODD sans des taux de croissance économique élevés, lesquels nécessitent des investissements importants. « La clé réside dans l’attraction des financements nécessaires pour les partenariats public-privé », a-t-il souligné. Il a également noté que l’une des grandes préoccupations est la hausse de l’inflation dans plusieurs pays arabes, à l’exception de ceux du Golfe. « Bien que des améliorations relatives aient été observées, elles n’ont pas encore eu d’impact sur l’amélioration du niveau de vie. La hausse des prix n’a pas été accompagnée d’une augmentation des revenus. Certains pays sont encore lourdement endettés, tandis que d’autres dépendent principalement d’un ou de deux secteurs comme source de revenus, comme le pétrole et le gaz, et doivent diversifier leurs ressources », a-t-il conclu.
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