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Charles Saint-Prot : Le vrai défi c'est le développement économique et social

Dina Kabil, Lundi, 06 janvier 2014

Directeur de l’Observatoire d’Etudes Géopolitiques, Charles Saint-Prot défend le projet de Constitution estimant qu’il pose les bases nécessaires au redressement de l’Etat. Il affirme que la référence à la charia et le statut de l’armée ne posent pas problème.

Charles Saint-Prot

Al-ahram hebdo : Pourquoi la Constitution égyptienne vous a-t-elle intéressé au point d’y consacrer un ouvrage de recherches ?

Charles Saint-Prot : Dans le cadre de l’OEG que je dirige, et qui est un institut de recherches, on s’intéresse à toutes les questions géopolitiques et, au sens large, à l’évolution de l’Egypte. La question constitutionnelle nous a semblé intéressante parce que c’est un important débat. Le texte constitutionnel définit les grandes options, permet de voir où on est et quelles sont les perspectives futures.

Le domaine géopolitique est un domaine très vaste, c’est la politique, c’est l’économie, le droit … Notre institut a déjà fait plusieurs études politico-juridiques, comme sur la Constitution marocaine de 2011. Nous étudions donc le 10 janvier un ouvrage intitulé L'Evolution constitutionnelle de l'Egype (éd. Karthala) avec le texte constitutionnel de 2014 et comment il s’inscrit dans une continuité depuis le XIXe siècle, parce qu’on ne commence jamais de zéro.

Une nation, c'est une continuité historique, une longue marche. Sur le plan institutionnel, le texte n’est pas très différent de la Constitution de 1971.

— C’est-à-dire ?

— La Constitution de 1971 était une Constitution assez bien faite qui ressemblait beaucoup à la Constitution de la 5e République française, celle du général De Gaulle. Sur le plan des institutions proprement dites, les différences ne sont pas importantes. On ne peut pas inventer tous les jours de systèmes nouveaux.

— N’est-ce pas une erreur d’amender la Constitution des Frères au lieu de démarrer de zéro et d’élaborer un texte qui soit digne de l’évolution historique depuis 2011 ?

— La Constitution des Frères musulmans était une reprise de celle de 1971 sur laquelle ils avaient fait des amendements et des modifications, ajouté des articles très compliqués, comme le fameux article 219, à la fois erroné sur l’interprétation de la charia et confus. Il n’y a pas eu de rupture sur le plan constitutionnel. C’est toujours mieux de s’inscrire dans une certaine continuité. En revanche, il fallait nettoyer ce qui a été rajouté en 2012, qui était une Constitution d’amateurs. Il fallait lever les ambiguïtés et écrire un texte plus consensuel et qui garantisse davantage un certain nombre de droits fondamentaux qui n’étaient pas évidents dans le texte de 2012.

— Comment percevez-vous le rapport entre charia et Constitution ?

— Tout ce qui a rapport à la charia est ce qui ressort de l’article 2 (ndlr, selon lequel l’islam est la « religion d’Etat » et les principes de la charia sont la principale source de la législation). Celui-ci reste inchangé. Dans le texte de 2012, le problème portait sur des ajouts intempestifs, comme l’article 219 qui définissait les principes de la loi islamique d'une façon très bizarre et contestable.

— De nombreux courants libéraux étaient contre le maintien de l’article 2 …

— Beaucoup de gens pensent que la charia est un code de loi comme le code civil. Or, la charia ce n’est pas un code de loi, c’est la substantifique moelle du Coran et de la Sunna qui posent de principes fondamentaux, ce n’est ni le code civil, ni le code pénal. La comparaison qui pourrait être faite dans ce domaine, ce n’est pas la loi divine mais plutôt le chemin à suivre, c’est-à-dire que ça laisse une grande flexibilité : c’est la route qui conduit à la source.

La charia ce sont les grands principes qu’il faut mettre en application et ne pas violer. Des principes qui concernent la raison, l’être humain, la justice et qui sont des principes fondamentaux sur lesquels reposent l’islam et les grandes religions monothéistes. Ils ont été depuis bien longtemps traduits dans les lois positives : il ne faut pas tuer, il faut respecter les gens …

Je pense qu’il faut concevoir la charia non pas comme un code de loi auquel on pourrait se référer mais bien comme des principes fondamentaux. Et on pourrait faire une comparaison avec les grands principes généraux du droit qui, pour ce qui concerne le droit constitutionnel français, sont des principes supérieurs. La charia n’est pas quelque chose d’abominable, mais il faut veiller à ne pas laisser de charlatans en faire une interprétation totalement erronée et prendre la religion en otage.

— Que diriez-vous de la qualité intrinsèque de la nouvelle Constitution ?

— C’est la pratique qui va compter, la bonne application des principes. Les principes qui sont posés dans cette Constitution sont bons, il y a un grand renforcement des libertés fondamentales, du respect des droits de l’homme, de la condition de la femme et sans tomber dans des excès qu’il sera impossible de réaliser. Par ailleurs, elle incorpore des droits socioéconomiques. On a vu par le passé un certain ultra-libéralisme qui avait oublié le social. Un pays ne peut pas décoller économiquement si, en même temps, il n’y a pas un décollage social et que la pauvreté persiste. Tout autant que les détails de la Constitution, le défi à relever est celui du développement économique et social.

— Pourtant, le texte de la Constitution n’aborde pas les salaires minimum et maximum, laissant le problème à la loi …

— Ce qui est important c’est de poser le principe d’un salaire minimum, après ce n’est pas à la Constitution de fixer le montant de ce salaire minimum. Les conditions sociales et économiques peuvent évoluer. C’est l’erreur de certains activistes de vouloir mettre dans la Constitution des choses qui relèvent de la loi. Les principes doivent être posés : il faut un salaire minimum, il faut consacrer une part importante du PNB à la recherche et à l’éducation … après c’est à la loi de mettre les choses en musique.

La Constitution est là pour donner un certain nombre des règles du jeu et pour tracer les grandes lignes, mais elle ne peut pas être un catalogue détaillé de mesures qui ne relèvent pas de son champ.

— Le texte privilégie la suprématie des militaires, créant ainsi un pouvoir parallèle et indépendant de l’Etat. Cela ne vous gêne pas ?

— Là encore, il faut se garder d'une vision sommaire. Une Constitution est faite pour un pays donné et tient compte de sa spécificité. L’armée a toujours joué un rôle important en Egypte. Mohamad Ali, celui qui a ressuscité l’Etat égyptien, était un général. Orabi, le patriote contre les Britanniques, était un militaire. Gamal Abdel-Nasser était aussi un militaire. L’armée a toujours joué un rôle de redressement. L’armée aujourd’hui a le rôle que le peuple a voulu qu’elle ait. Il y a eu des révoltes populaires contre un régime en faillite et l’armée est venue répondre à l’appel de ce peuple. Cette Constitution n’est pas une Constitution de militaires, ou qui ouvre la voie aux militaires. C’est une Constitution qui ouvre la voie à un Etat restauré et à un pouvoir légitime. C'est un instrument au service de la stabilité et du redressement du pays, c’est cela qui est le plus important.

Parmi les ouvrages de Charles Saint-Prot :

- Islam. L’avenir la tradition entre révolution et occidentalisation (2008).

- La Tradition islamique de la réforme (2010).

- L’Islam et l’effort d’adaptation au monde contemporain (2011).

- L’Exception marocaine (2013).

- L'Evolution constitutionnelle de l'Egypte (dir. avec Jean-Yves de Cara, 2014).

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