Al-Ahram Hebdo : Comment voyez-vous la plainte pour génocide présentée par l’Afrique du Sud contre Israël devant la Cour Internationale de Justice (CIJ) ? La Norvège peut-elle se ranger du côté de l’Afrique du Sud comme d’autres pays l’ont fait ?
Espen Barth Eide : Nous suivons avec intérêt la plainte déposée contre Israël par l’Afrique du Sud devant la CIJ. La Norvège croit fermement au règlement pacifique des différends par des tribunaux compétents, comme le prévoit la Charte des Nations-Unies. Dans ce cas, il est positif qu’Israël participe à la procédure. Il est important que toutes les parties respectent les décisions rendues par la Cour. La Norvège n’a pas l’habitude d’intervenir dans les affaires entre Etats devant la CIJ. Cette affaire en est à ses débuts. Nous ne pouvons pas exclure que des questions juridiques puissent se poser plus tard, sur lesquelles nous déciderons de donner notre avis.
— Malgré la position positive antérieure de la Norvège critiquant les attaques d’Israël sur Gaza, cela ne s’est pas traduit en actes, alors que dans la guerre en Ukraine, Oslo agit différemment avec des actions concrètes. Pourquoi ?
— Nous avons été très clairs : le droit international est notre principe directeur et doit être pleinement respecté par tous. Nous continuerons à nous exprimer pour assurer le respect du droit international, y compris la Charte des Nations-Unies et le droit international humanitaire. Tous les conflits sont uniques. Tout comme la Norvège a été prompte à condamner l’attaque à grande échelle de la Russie contre l’Ukraine et les nombreuses attaques horribles contre des civils dans ce pays, la Norvège a rapidement exprimé sa profonde inquiétude concernant le sort des civils palestiniens à Gaza. Nous avons condamné la mise en place d’un blocus total sur Gaza, coupant l’accès à l’eau, à l’électricité, à la nourriture et à d’autres biens essentiels à la survie des civils à Gaza, et nous avons voté en faveur de la résolution de l’Assemblée générale des Nations-Unies du 27 octobre appelant à un cessez-le-feu. La Norvège a également condamné les odieuses attaques terroristes du Hamas, a appelé à la libération immédiate et sans condition de tous les otages et a reconnu le droit d’Israël à l’autodéfense contre de telles attaques, dans les limites du droit international.
— Les civils palestiniens, notamment les enfants et les femmes, payent le prix le plus cher de l’offensive aveugle d’Israël à Gaza. Pourquoi l’Occident reste-t-il les bras croisés ?
— Nous avons été très clairs : la guerre doit cesser, cela a été trop loin. La Norvège continue à appeler à un cessez-le-feu immédiat et durable. Nous appelons à la libération immédiate des otages. Nous appelons à un accès humanitaire complet, rapide, sûr et sans entrave à Gaza, ainsi qu’à un accès aux produits de première nécessité. La quantité de biens parvenant à ceux qui en ont besoin est actuellement loin d’être suffisante. Mes pensées vont aux habitants de Gaza, qui ont perdu tant de membres de leurs familles et d’amis. Cela me brise le coeur que plus de 10 000 enfants aient été tués depuis le 7 octobre. Les enfants de Gaza paient le prix le plus élevé de cette guerre. Mes pensées vont également à ceux qui, en Israël, ont perdu leurs proches et ont été victimes de violence brutale le 7 octobre et aux otages à l’intérieur de Gaza. La guerre nous a rappelés qu’il n’y a pas d’alternative viable à un processus de paix et à une solution à deux Etats. La communauté internationale ne peut pas continuer à détourner le regard. Nous ne pouvons pas permettre 30 autres années d’occupation, de guerre et de conflit non résolu.
— La Norvège est l’invitée d’honneur de la Foire internationale du livre du Caire. Quelle est la signification de cette invitation ? Et qu’espérez-vous en retirer ?
— La participation de la Norvège en tant qu’invitée d’honneur à la Foire internationale du livre du Caire marque une étape importante dans l’introduction de la littérature et de la culture norvégiennes auprès du public égyptien et du public arabe en général. Nous apprécions profondément ce geste généreux des autorités égyptiennes et le considérons comme une occasion de favoriser de nouvelles collaborations entre les éditeurs littéraires norvégiens et leurs homologues égyptiens et arabes. Le renforcement des capacités de traduction littéraire entre le norvégien et l’arabe est un objectif-clé pour nous, visant à rendre la littérature égyptienne et arabe plus accessible aux lecteurs norvégiens également. En ces temps difficiles, la coopération culturelle et le dialogue peuvent jouer un rôle crucial dans la construction de ponts et la promotion de la compréhension. La Bibliothèque d’Alexandrie, conçue par les célèbres architectes norvégiens Snohetta, est un autre témoignage de l’échange culturel vibrant entre nos deux nations.
— L’Egypte se trouve entourée de plusieurs conflits dans la région. Comment voyez-vous les moyens de surmonter cette situation ?
— Je félicite l’Egypte pour son rôle constructif dans la région. Votre pays facilite les livraisons humanitaires cruciales à Gaza, s’engage activement dans les efforts diplomatiques pour mettre fin à la guerre et assurer la libération des otages et a accueilli plus de 400 000 réfugiés soudanais. Pour faire face aux conflits qui entourent l’Egypte, la communauté internationale doit intensifier ses efforts et collaborer plus efficacement pour parvenir à la stabilité régionale. Garantir la liberté de navigation dans la région reste d’une importance stratégique primordiale pour l’économie mondiale, en particulier pour la Norvège, pays doté de l’une des plus grandes flottes maritimes du monde. Nous condamnons fermement ces attaques et contribuons avec dix officiers militaires à l’opération « Protection de la prospérité ».
— Le Fonds souverain égyptien a récemment signé un accord avec deux entreprises norvégiennes, Fertiglobe plc, un important producteur d’ammoniac, et Scatec pour construire une usine de production d’ammoniac vert d’une capacité de 50 à 100 MW. Pouvez-vous nous donner plus de détails sur cet accord et les autres projets en cours ?
— Scatec, un leader norvégien des énergies renouvelables, a été le pionnier de plusieurs projets révolutionnaires en Egypte, y compris la première installation d’électrolyse de 100 MW de ce type, lancée par le président Abdel Fattah Al-Sissi et le premier ministre Jonas Store pendant la COP27. Bien qu’il ne fonctionne pas encore à pleine capacité, le projet est en cours avec des accords de financement sécurisés. Il a reçu un soutien gouvernemental considérable en Egypte et nous sommes profondément reconnaissants de la collaboration continue avec nos partenaires égyptiens. Nous sommes enthousiasmés par les autres projets en cours de Scatec en Egypte, tels que l’installation de production d’éthanol vert qui contribuera à la création d’une installation de soutage vert dans le Canal de Suez et le prochain système de stockage solaire et batteries (BESS) unique en son genre.
— Comment la Norvège est-elle passée d’un pays parmi les plus pauvres d’Europe à l’un des plus riches, détenant le plus grand Fonds souverain au monde ?
— Le remarquable succès de la Norvège au cours du siècle dernier peut être attribué à une combinaison de facteurs sociaux, culturels et économiques. La Norvège a longtemps possédé une forte culture égalitaire, favorisée par des mouvements sociaux robustes et une base démocratique bien établie. Ce fondement a assuré une répartition équitable des richesses avant même que le pays ne devienne prospère. Alors que la Norvège s’industrialisait et se modernisait progressivement, elle a maintenu un haut degré de cohésion sociale et géographique malgré son vaste territoire et sa population relativement faible. Investir dans sa population et garantir l’égalité des chances pour tous, y compris les femmes et les hommes, a permis à la Norvège d’exploiter tout le potentiel de sa population. Notamment le robuste système de protection sociale de la Norvège qui s’est développé parallèlement à son industrialisation, et non après qu’elle avait acquis de la richesse.
Plus tard, lorsque la Norvège avait découvert de vastes réserves de pétrole et de gaz, elle s’est appuyée sur sa tradition de propriété partagée des ressources naturelles. L’Etat conserve une part importante des revenus et des taxes générés par le secteur pétrolier, l’investissant pour les générations futures grâce au plus grand Fonds souverain du monde. Cela garantit une stabilité financière à long terme et empêche l’enrichissement individuel à partir des ressources nationales.
L’engagement de la Norvège en faveur de la protection sociale se traduit par un niveau de vie élevé pour tous les citoyens. L’accès gratuit à un enseignement supérieur de qualité, aux soins de santé et à des services de garde d’enfants abordables renforce son peuple. L’égalité des sexes est inscrite dans les sphères domestique et professionnelle, contribuant à l’augmentation de la productivité nationale. En outre, la Norvège bénéficie d’un système politique stable, transparent et prévisible, caractérisé par un faible niveau de corruption et un Etat de droit fort, favorisant la confiance et l’assurance parmi ses citoyens. En plus, la longue expérience de la Norvège dans l’industrie pétrolière a positionné ses entreprises à la pointe de la technologie pour les nouveaux secteurs verts comme les énergies renouvelables, la capture et le stockage du carbone et l’informatique.
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