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Boutros Boutros-Ghali : l'Occident a intérêt à aider l’Egypte libérale

Mohamed Abdel-Hady, Mercredi, 13 novembre 2013

Ancien secrétaire général de l’Onu et icône de la diplomatie égyptienne sous Sadate et Moubarak, Boutros Boutros-Ghali livre et observe du haut de ses 90 ans les turbulences politiques que traverse l’Egypte depuis près de 3 ans. Interview.

Boutros

Al-Ahram Hebdo : Est-ce que vous pensez que les révolutions du 25 janvier et du 30 juin aient été vraiment inéluctables ?

Boutros Boutros-Ghali : Je ne sais pas si c’est quelque chose qui devait arriver. Mais je peux dire que c’est l’expression d’une nouvelle génération, et surtout de la jeunesse égyptienne qui exige le changement.

— Comment évaluez-vous le bilan de la gouvernance des Frères musulmans ?

— Après leur arrivée au pouvoir, les Frères musulmans ont opté pour un repli identitaire, une fermeture devant la mondialisation. Leur période de gouvernance a coûté cher à l’Egypte. Il nous faudra au moins une dizaine d’années pour réparer les erreurs qu’ils ont commises. Mais quand même, cela a eu l’avantage de dévoiler devant notre opinion publique la réalité des Frères musulmans.

Leur bilan au pouvoir était désastreux, que ce soit dans le domaine culturel, judiciaire, dans la politique économique ou même la politique étrangère.

Les Frères musulmans représentaient un véritable danger. Ils allaient partir en guerre dans le monde arabe une fois installés solidement au pouvoir avant de se retourner contre l’Occident et ceux qu’ils appellent les « croisés ». La grande déception pour eux c’était l’abolition du califat qui siégeait autrefois à Istanbul. Leur rêve qu’ils semblent partager aussi avec le gouvernement d’Erdogan était de ressusciter l’Empire ottoman et le califat.

— Quelle est votre lecture de la position américaine et occidentale envers la destitution de Morsi ? Quelles sont les raisons de cette prise de position ?

— Pour moi, c’est un mystère dont j’ai longuement parlé avec des amis français et européens. J’ai bien précisé que c’était le peuple qui avait exigé ce changement. Ils ont répondu que la position occidentale pouvait être interprétée de plusieurs manières. La première interprétation est que les gouvernements européens ont peur des Frères musulmans, du danger qu’ils représentent pour leur sécurité à travers les opérations suicides qu’ils pourraient commettre. Deuxième interprétation, les Américains ont pensé qu’islamiser la région est un moyen d’éliminer le terrorisme international, et ce, en instaurant un gouvernement de Frères musulmans. La troisième interprétation est que beaucoup d’argent a été distribué aux hommes politiques et à la presse pour favoriser l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans, et que cela les a amenés à prendre une attitude hostile au nouveau régime égyptien, mais je pense qu’ils se sont rendu compte que l’opinion publique égyptienne est contre ce scénario.

On a oublié que cette mouvance a été interdite par des gouvernements précédents, par le régime de Nasser, on a oublié qu’ils ont tué en 1945 le premier ministre Ahmad Maher, le conseiller Ahmad Al-Khasindar en 1948, puis quelques mois après, Mahmoud Al-Noqrachi, premier ministre, et le président Sadate en 1981.

— Dans quelle direction les relations égypto-occidentales évolueront-elles ?

— Je pense qu’elles se sont améliorées. Le monde occidental commence à comprendre qu’il est dans son intérêt d’aider l’Egypte libérale. Encore faut-il que l’Egypte réussisse à surmonter ses multiples difficultés et relance son économie.

— En tant que personnalité internationale, vous avez multiplié les contacts avec l’étranger pour essayer de corriger cette perception erronée du soulèvement du 30 juin par l’Occident ...

— Effectivement, j’ai pris contact de manière personnelle avec des journalistes, des écrivains ou même d’anciens politiciens. Ils reconnaissent qu’il y a eu une erreur de la part des Etats-Unis et du monde occidental.

Les Européens sont hantés par les militaires. Ils ont connu l’expérience des militaires au Portugal, en Grèce, en Espagne. Toute l’Amérique latine était dominée par les militaires, d’où cette méfiance qui les a poussés à mettre en avant les valeurs de la démocratie.

— Quel est le rôle que l’Unesco doit jouer pour préserver le patrimoine culturel égyptien ? On a vu que récemment, le musée de Mallawi et des églises historiques ont été pillés, brûlés et saccagés, et ont subi des dommages irréversibles pour l’histoire et l’identité égyptiennes ?

— L’assistance de l’Unesco est précieuse en tant qu’instance internationale en mesure de contribuer à la sauvegarde du patrimoine culturel égyptien. J’ai rencontré à Paris en septembre dernier la directrice de l’Unesco, pour lui parler de ce problème, et qui, d’ailleurs, a réagi positivement en envoyant une mission pour étudier la situation, mais malheureusement, la bureaucratie et la routine de l’administration égyptienne mettent à mal les efforts déployés en ce sens.

— La sécurité hydraulique de l’Egypte est menacée par le projet du barrage éthiopien de la Renaissance, et surtout l’effet domino que cela peut produire si d’autres pays africains riverains du Nil emboîtent le pas à l’Ethiopie, comment évaluez-vous la gestion de ce dossier et quelles sont les solutions possibles ?

— Ecoutez, j’ai essayé vainement pendant 20 ans d’expliquer à l’opinion publique égyptienne l’importance d’entretenir d’excellentes relations avec l’Ethiopie, de créer une organisation pour la gestion des eaux du Nil, à l’instar de celle du fleuve Mékong en Asie du sud-est. On pouvait à titre d’exemple relier les réseaux électriques entre l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie et profiter des barrages construits dans les pays riverains comme celui du Congo. J’ai récemment publié un livre qui évoque cette question intitulé « Entre le Nil et Jérusalem ». Nos enjeux communs avec les pays riverains du Nil ne concernent pas seulement l’eau, mais aussi la navigation et l’électrification. Il est impératif qu’on commence à tisser de bons rapports, dans un premier temps, avec l’Ethiopie et les deux Soudans, pour trouver des formules de compromis avec ces Etats, et pour avoir des projets en commun. La création d’une organisation régionale qui gère ces problèmes s’avère d’une grande importance, et nous pouvons faire appel à une médiation de l’étranger pour mener à bien un tel projet.

Il faut aussi négocier avec l’Ethiopie qui est l’un des principaux protagonistes de cette crise. Si l’Egypte propose de participer à la construction du barrage de la Renaissance, c’est déjà un premier pas. Si on relie le réseau électrique qui accompagnera ce nouveau barrage à celui d’Assouan, c’est un second pas. Il s’agit de nouer des liens solides avec ces pays. Au lieu d’importer la viande d’Amérique latine, achetez-la d’Ethiopie. Occupons-nous des pays africains. Nous continuons à regarder vers les Etats du Nord en oubliant ceux du Sud.

— Vous êtes président honorifique du Conseil national des droits de l’homme, parlez-nous un peu de cette instance. Est-ce que vous êtes satisfait de sa performance ?

— J’ai créé ce Conseil en 2004. En tant que secrétaire général de l’Onu, j’ai appelé, lors de la conférence des droits de l’homme qui s’est tenue en 1993 à Vienne, à la mise en place de commissions nationales des droits de l’homme. Puis le projet a été adopté à Paris. A l’époque, les Etats n’en voulaient pas, et c’est lorsque j’ai proposé que ces commissions soient consultatives que l’idée a pris son chemin.

Nous n’en sommes encore qu’au début, il nous faut encore des années pour que cette institution assume pleinement ses fonctions. Mais on peut dire qu’aujourd’hui, le CNDH joue un rôle plus important qu’à l’époque de Moubarak. Les droits de l’homme représentent un concept nouveau et il nous faut du temps pour les assimiler.

— Comment peut-on protéger les minorités chrétiennes en Egypte qui sont en proie aux exactions de groupes intégristes ?

— Les actes terroristes ne visent pas seulement les communautés chrétiennes, mais l’ensemble de la population. Il est essentiel d’éviter que ces agressions ne divisent aussi la population et de prévenir les confrontations non seulement entre sunnites et chiites, mais aussi entre chrétiens et musulmans. Bien entendu, c’est la police et l’armée qui assument la responsabilité de protéger les églises, ensuite vient le rôle de l’éducation et l’enseignement.

— La francophonie recule dans le monde, comment peut-on inverser la tendance ?

— Je pense que le véritable problème est que l’un des principaux Etats membres de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), qu’est la France, ne s’intéresse pas vraiment à la francophonie, contrairement à la Belgique, au Canada et à certains pays africains. La francophonie était soutenue à l’époque de Mitterrand, de Chirac, mais de nos jours, l’Etat français y porte un intérêt moindre préférant se concentrer sur d’autres dossiers qu’il juge prioritaires. Il y a aussi le fait que l’OIF est considérée comme une institution marginale .

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