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Dr Mohammed Zaqout : Les forces d’occupation ont transformé l’hôpital Al-Shifa en cimetière et en prison

Ola Hamdi , Jeudi, 23 novembre 2023

Dr Mohammed Zaqout, directeur général des hôpitaux de la bande de Gaza, décrit la situation catastrophique dans laquelle se trouve le système de santé à Gaza. Entretien.

Dr Mohammed Zaqout :

Al-Ahram Hebdo : Depuis le début de la guerre, les hôpitaux ont été délibérément ciblés, et Israël continue de le faire malgré les critiques incessantes à ce sujet. Pourquoi ?

Dr Mohammed Zaqout : Le fait que l’occupation cible les hôpitaux avec ces attaques brutales est dû à deux raisons. D’abord, les allégations de la présence de cachettes et d’armes du Hamas sous ces édifices. Ces allégations se sont avérées fausses malgré leurs tentatives d’induire l’opinion publique mondiale en erreur, comme elle l’a fait avec l’hôpital Al-Rantissi en proposant une histoire médiatique fabriquée de toutes pièces au monde pour le convaincre de la raison de prendre d’assaut les hôpitaux. Nous avons souligné à plusieurs reprises que le complexe Al-Shifa est un hôpital civil. Ce qui confirme nos propos, c’est que lors de l’assaut des forces d’occupation, il n’y a pas eu une seule balle qui a été tirée sur ces forces depuis l’intérieur de l’hôpital. L’armée d’occupation pensait que l’entrée de ses soldats dans le complexe d’Al-Shifa serait une victoire pour elle, mais elle n’a trouvé aucune preuve de la présence de résistance et il n’y avait ni personnes armées, ni ravisseurs.

La seconde raison est le terrible silence international face aux massacres perpétrés par l’occupation et à son agression contre les hôpitaux, notamment l’hôpital Al-Ahli baptiste.

— Comment décrivez-vous la scène dans le complexe médical d’Al-Shifa lors de l’assaut des forces d’occupation ?

— Le complexe médical d’Al-Shifa revêt une importance particulière, car il s’agit du plus grand établissement de santé de la bande de Gaza et constitue une bouée de sauvetage pour l’ensemble du secteur, car c’est le seul hôpital encore en activité dans la région nord de la bande de Gaza. Les chars d’occupation sont entrés par le côté sud de l’hôpital, ont démoli ses murs, ont détruit de nombreuses voitures civiles et celles des médecins se trouvant à côté du mur et sont entrés de manière barbare et brutale dans les différents secteurs de l’hôpital. Les véhicules militaires israéliens ont également imposé un siège complet à l’hôpital de tous les côtés, ciblant tous ceux qui se déplaçaient à l’intérieur ou à l’extérieur de l’hôpital. Les forces d’occupation ont pris d’assaut les bâtiments consacrés aux interventions chirurgicales et aux urgences du complexe médical d’Al-Shifa, elles sont également entrées dans le sous-sol et l’ont fouillé, et ont interrogé le personnel médical, les patients et leurs accompagnants, dont certains ont été contraints à enlever leurs vêtements et à rester nus dehors pendant de longues heures. Les incubateurs pour bébés prématurés n’étaient pas autorisés à être transportés. L’hôpital Al-Shifa abritait 650 patients et 36 enfants en couveuse, tous en très mauvais état de santé, notamment des patients sous dialyse dont les séances ont été retardées en raison de l’assaut, 400 membres du personnel médical et au moins 6 000 personnes déplacées qui ont trouvé refuge à l’hôpital pour se protéger des bombardements. Vendredi soir, l’hôpital a annoncé le décès de tous les patients du service de soins intensifs, de 4 nouveau-nés et de 6 patients dialysés, portant le nombre de morts à 54 depuis le 11 novembre, et les chiffres ne cessent d’augmenter à cause du manque de carburant nécessaire pour l’électricité et les médicaments. Nos médecins sont sans eau, sans nourriture, et les blessures de certains blessés se sont transformées en gangrène, tandis que pour d’autres, les blessures ont pourri à cause du manque de médicaments. Les forces d’occupation ont transformé l’hôpital en cimetière et en prison.

— En tant que directeur général des hôpitaux de Gaza, comment jugez-vous la situation du système de santé de la bande de Gaza ?

— La situation sanitaire et humanitaire dans les hôpitaux de la bande de Gaza est très mauvaise : tous les hôpitaux de la bande n’ont ni eau, ni nourriture, ni électricité. Une situation catastrophique. Environ 26 hôpitaux sur 34 dans la bande de Gaza sont complètement hors service. Les hôpitaux restants souffrent gravement des coupures de courant et du manque de médicaments, et même de lits. Des patients sont à même le sol dans les couloirs et dans des tentes. Parmi ces patients se trouvent des brûlés au troisième degré et nous ne pouvons pas les transporter en Egypte car le mécanisme de transport des blessés vers l’Egypte est très lent à cause des forces d’occupation, qui filtrent les centaines de listes que nous envoyons quotidiennement et qui portent les noms de cas critiques. Malheureusement, près de 90 % de noms de ces listes sont rejetés. Un nombre très limité est approuvé, pas plus de 12 ou 13. Ce n’est rien par rapport au nombre des blessés, par milliers. Ils bombardent des mosquées et des maisons habitées. Nous comptons beaucoup de martyrs, et des dizaines de femmes et d’enfants sont dans une situation tragique. Tout cela, au vu et au su du monde, sans la moindre intervention internationale.

— Existe-t-il des conditions fixées par les forces d’occupation pour permettre aux blessés d’être transportés vers l’Egypte via le point de passage de Rafah ?

— Nous insistons toujours sur la sortie des patients de tous les hôpitaux du secteur, en particulier des hôpitaux de la région nord, à savoir le complexe médical d’Al-Shifa et l’hôpital indonésien, car ce sont les plus encombrés. Chaque fois que nous contactons la Croix-Rouge pour faire sortir un blessé de la région nord, la coordination se passe avec nous pendant deux ou trois jours, puis elle s’arrête. Les patients sont autorisés à quitter l’hôpital Nasser, l’hôpital européen et l’hôpital des martyrs d’Al-Aqsa, situés dans la région centrale, mais l’occupation refuse de transférer les patients de l’hôpital d’Al-Shifa et de l’hôpital indonésien !

— Comment, dans ces conditions, les équipes médicales parviennent-elles à mener à bien leur mission, d’autant plus qu’elles comptent aussi des pertes ?

— Le personnel médical de Gaza subit une forte pression en raison du grand nombre de blessés, du manque de capacités et du fait de travailler sous le siège des forces d’occupation. Selon l’ordre des Médecins, le nombre de martyrs parmi les membres du personnel médical, y compris les médecins, les ambulanciers paramédicaux et les infirmières à Gaza, a atteint environ 200 personnes à la suite des attaques des forces d’occupation israéliennes. Bien que leur vie soit menacée et en danger, les membres du personnel médical, courageux, sont en première ligne pour sauver la vie des blessés face à une grave pénurie de fournitures médicales de base, à tel point qu’ils ont été contraints à procéder à des interventions chirurgicales sans anesthésie et à soigner les blessés se servant de la lumière des téléphones portables.

— L’Egypte multiplie les appels pour transférer les nouveau-nés des hôpitaux de la bande de Gaza vers l’Egypte afin de préserver leur vie. Qu’en dites-vous ?

— Dans de nombreux hôpitaux, des dizaines d’enfants risquent la mort en raison des coupures de courant et de l’incapacité des équipes médicales à fournir des services aux blessés en raison des bombardements continus. Le personnel de l’hôpital Al-Shifa lutte pour maintenir les nouveau-nés en vie, en les enveloppant dans des couvertures en aluminium et en les plaçant à côté de l’eau chaude dans une tentative désespérée de les maintenir en vie une fois leur réserve d’oxygène épuisée. Ils ont également transféré, par des efforts manuels, les bébés des incubateurs de l’unité néonatale vers une autre partie de l’hôpital. Toutes nos tentatives de communication et de coordination avec la Croix-Rouge pour les faire sortir des hôpitaux du sud de la bande de Gaza n’ont donné aucun résultat. Nous saluons les efforts égyptiens pour sauver ces enfants le plus rapidement possible, car tout retard met leur vie en danger. Nous tenons l’occupation criminelle entièrement responsable de la vie de ces enfants, ainsi que du reste des patients, du personnel médical et des personnes déplacées présentes dans l’hôpital. Nous exigeons leur évacuation en toute sécurité via des ambulances et leur transfert en Egypte pour être soignés dans les pays du monde arabe et islamique et assurer leur sécurité. Nous exigeons également l’entrée urgente du carburant dans tous les hôpitaux car il s’épuise, ce qui a entraîné l’arrêt complet de leurs services, en plus de l’entrée des médicaments et du matériel médical nécessaires pour aider les équipes médicales à fournir leurs services.

— Les hôpitaux de campagne peuvent-ils contribuer à combler, ne serait-ce qu’en partie, le déficit ?

— Nous avons entendu parler d’hôpitaux de campagne turcs, jordaniens et émiratis qui se trouvaient au point de passage de Rafah depuis plus de deux semaines, et rien ne nous est parvenu. Nous demandons que l’occupation les laisse entrer et qu’ils soient installés de manière très urgente et rapide car, en plus du fait de vider l’hôpital Al-Shifa de ses patients, les malades et les blessés ne trouveront nulle part où aller. Nous avons donc besoin de façon urgente d’un hôpital de campagne.

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