Al-Ahram Hebdo : Vous avez lancé une stratégie digitale pour l’industrie offshore en Egypte pour la période de 2022- 2026. Quels en sont les buts et où en sommes-nous ?
Amr Mahfouz : Depuis 2008, l’Egypte a une position reconnue dans l’industrie offshore à l’échelle mondiale. A cette époque, la stratégie de l’ITIDA était focalisée sur les call centers (centres d’appels) et l’industrie offshore. En 2020, lorsque j’ai débuté ce poste, tout avait changé depuis et le paysage était devenu totalement différent. J’ai décidé alors de mettre en place une nouvelle stratégie qui prend en compte cette nouvelle donne. Son but est de créer des opportunités d’emploi offshore et de trouver une niche de compétences de haut niveau en Egypte.
Pour cela, on s’est penché sur l’offre et la demande pour voir quels sont les pays qui demandent des compétences digitales, dans quels domaines technologiques et de quelles compétences il s’agit. Ensuite, nous avons fait le point sur l’offre en Egypte pour voir si nous avions ces compétences requises, ou alors s’il y avait un fossé à combler. Nous avons également analysé comment l’Egypte était perçue dans ce domaine. Nous avons conclu qu’il fallait se concentrer en premier lieu, en bas de la pyramide, sur les call centers, un secteur qui emploie énormément de personnes, ensuite viennent les technologies de l’information, les services clouds, le marketing digital et l’intelligence artificielle et, pour finir, au sommet de la pyramide, les designers électroniques qui nécessitent beaucoup plus de compétences. Nous avons déterminé du point géographique les pays qui demandent ces services, tels que la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou encore l’Amérique du Nord. Nous avons regardé le coût et les concurrents, comme l’Inde, les Philippines, l’Afrique du Sud, le Maroc ou encore la Pologne. Basés sur toutes ces informations, nous avons mis en place des offres incitatives qui devaient être mises en oeuvre dès le début de 2022, mais avec la dévaluation actuelle, elles ne sont plus d’actualité. La dévaluation, dans ce cas particulier, a été bénéfique dans le sens où les prix en Egypte sont devenus très compétitifs dans ce domaine.
— Quels sont les avantages compétitifs de l’industrie offshore et des services de l’information technologique en Egypte ?
— Nous avons de nombreux avantages concurrentiels par rapport aux autres pays. Tout d’abord, il y a notre emplacement géographique et notre fuseau horaire qui est très central et fait que nous sommes proches, par exemple, de l’Europe et d’autres pays. Ensuite, l’Egypte est un hub multilinguistique qui sert une centaine de pays avec 20 différentes langues. Ce n’est pas le cas de nos concurrents comme l’Inde qui est centrée uniquement sur l’anglais ou le Maroc sur le français. Un autre avantage est le capital humain. Nous avons 600 000 diplômés environ chaque année, dont 60 000 en technologie informatique et 240 000 en sciences. Et enfin, il y a la dévaluation actuelle, qui a rendu les prix très abordables par rapport aux autres marchés.
— Comment l’industrie offshore a-t-elle évolué avec les crises mondiales ces dernières années ?
— Il y a trois ans, le Covid a accéléré la transformation digitale mondiale. Le télétravail a fait grimper en flèche la demande digitale. L’Inde, le hub mondial, n’a pas su satisfaire la demande et il y a eu un manque à ce niveau, d’autant plus que les prix en Inde ont augmenté de 30 à 40 %, ce qui a poussé les grandes entreprises à se diversifier. Et l’Egypte a su profiter de cette opportunité. Et avec la guerre en Ukraine, de nombreuses compagnies ont réalisé que l’Europe n’était pas nécessairement un havre de paix et c’est là également que l’Egypte a gagné en visibilité.
— Avons-nous l’infrastructure IT nécessaire pour accompagner les activités offshore ?
— Tout à fait. L’Egypte a investi plus de 2 milliards de dollars entre 2019 et 2021 pour moderniser l’infrastructure de l’Internet. Nous avons investi dans les fibres et les câbles. Nous nous sommes lancés dans d’énormes programmes de renforcement des capacités, que ce soit au niveau des langues ou des compétences techniques.
— En ce qui concerne les start-up, comment évaluez-vous l’écosystème actuel ?
— L’écosystème des start-up a évolué durant ces dernières années avec une croissance de 30 % de 2016 à 2019, et de 160 % en 2021. C’est un secteur qui continue à se développer dans trois secteurs en particulier : commerce électronique, transportation et Fintech. Encore une fois, le coût en Egypte est moins important en comparaison avec d’autres pays de la région, notamment les pays du Golfe. Investir 100 000 dollars dans une start-up en Egypte par exemple permettrait d’en acquérir de 50 à 60 %, alors qu’avec ce même montant, vous n’aurez que 10 % dans une start-up d’un pays du Golfe. Les rendements en Egypte sont donc meilleurs.
— Comment la crise mondiale a-t-elle affecté les start-up ?
— La crise économique mondiale a eu un effet négatif sur les start-up. Cela a commencé avec ce qui s’est passé l’an dernier à la Silicon Valley. La banque qui y a fait faillite était précisément celle qui finançait les start-up. Ce qui veut dire que les investissements américains dans les start-up ont baissé aux Etats- Unis et ailleurs. Au Moyen-Orient, cette baisse est estimée à 40 %, notamment suite aux événements en Ukraine.
— Quelles sont les mesures entreprises pour élargir la base des start-up ?
— Sachant que la vaste majorité des start-up est centrée dans le Grand-Caire, le ministère des Télécommunications et de la Technologie de l’information a inauguré plusieurs nouveaux hubs dans des gouvernorats tels que Ismaïliya, Qéna, Minya, Sohag, ou Assouan. D’autres verront bientôt le jour. Le but est de faire comprendre aux nouveaux diplômés issus de ces régions qu’ils peuvent innover sur place, qu’ils ont une véritable chance là où ils sont et qu’ils n’ont pas besoin de se relocaliser au Caire.
— Quels sont les principaux facteurs qui favorisent l’expansion des start-up en Egypte ?
— Le principal facteur est sa large population, ce qui veut dire donc une très importante base de consommateurs. Nous avons plus de 100 millions d’habitants, avec une automatisation limitée en termes de technologie. Du coup, toute idée apte à faciliter les affaires est la bienvenue. C’est le cas de la start-up SWVL qui a automatisé les transports et qui s’est avérée un véritable succès. Un autre exemple est Al- Gameïya, qui a pu automatiser un microcrédit sans intérêt et qui est une idée très intelligente, surtout avec une si large population qui a toujours recours à ce système.
— Ces start-up sont localisées en Egypte, mais finissent-elles par y rester ?
— Il s’agit là d’un des principaux problèmes auxquels nous faisons face avec les start-up. Car lorsque ces dernières commencent à s’agrandir, elles ont besoin d’un investissement étranger. Or, souvent la condition pour obtenir un tel investissement est de relocaliser la start-up ailleurs, par exemple à Dubaï, aux Etats-Unis ou dans les Îles Vierges. L’Egypte a donc besoin de limiter ce problème, car les investissements restent hors du pays, et ce qui est transféré concerne à peine les dépenses courantes mensuelles.
— Que faut-il faire pour les retenir ?
— Il y a différentes solutions. La première est de créer un important fonds de capital en Egypte même si cela se fait à l’aide d’investissements étrangers car un tel fonds permettrait aux startup égyptiennes qui cherchent à s’agrandir d’en bénéficier au lieu de se relocaliser hors du pays. La deuxième solution, qui est d’ailleurs encore plus urgente, est de faciliter les procédures, que ce soit au niveau de la juridiction ou du système bancaire. Il y a de nombreux efforts qui se font. Récemment, le gouvernement a annoncé qu’une unité sous la direction du premier ministre serait créée afin de résoudre les questions relatives aux start-up. C’est un pas positif. Maintenant, attendons de voir car il faut faire vite.
— Comment répandre la mentalité start-up en Egypte ?
— Il est vrai que traditionnellement, les Egyptiens préféraient être salariés avec une rémunération stable. Mais durant les 3 dernières années, cela a changé. Avec le ministère des Télécommunications et de la Technologie de l’information, nous avons contribué à accélérer le concept de la freelance.
Les mentalités ont commencé à changer surtout lorsque les personnes se sont rendu compte qu’elles peuvent gagner de l’argent en devise forte dans ce domaine. L’entreprenariat a également gagné de l’ampleur, mais nous avons encore du chemin à faire. Par exemple, il faudrait que l’entreprenariat fasse partie intégrale du cursus universitaire. Pour l’instant, il est seulement enseigné dans les top universités en Egypte. Il faudrait que cela se généralise.
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