Al-Ahram Hebdo : Les dirigeants de l’Egypte, de la Jordanie et de la Palestine ont récemment tenu un sommet à Al-Alamein pour faire avancer un règlement de la question palestinienne. Comment évaluez-vous ses résultats ?
Ayman Al-Raqab : Lors de leur sommet d’urgence, les dirigeants de l’Egypte, de la Jordanie et de la Palestine ont discuté de plusieurs questions. Je pense que des évolutions non annoncées ont motivé la tenue de cette réunion. Il se peut qu’il s’agisse du projet présenté par les Etats-Unis en faveur d’une normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël et de l’insistance de Riyad que les Palestiniens fassent partie de cette normalisation. Sans oublier l’escalade juive à Jérusalem, y compris l’intention israélienne d’abattre une vache rousse sur l’Esplanade des mosquées avant de l’incinérer et de distribuer ses cendres aux juifs du monde en marque du début de construction du prétendu temple à l’endroit de la mosquée d’Al-Aqsa. Ce qui fera exploser un conflit religieux dans la région. Bien que la déclaration finale du sommet ait souligné le soutien à la résolution de la question palestinienne sur la base de la formule de deux Etats et de l’initiative de paix arabe, ce qui se lisait entre les lignes confirme que beaucoup de questions ont été discutées lors de ce sommet.
— La Déclaration du Sommet d’Al-Alamein a souligné qu’Israël doit respecter ses obligations conformément au droit international et aux accords internationaux. Pensezvous qu’Israël puisse tenir à ses engagements ?
— La Déclaration du sommet a fait référence au manque d’engagement de l’Etat hébreu à l’égard des résultats des réunions d’Aqaba et de Charm Al-Cheikh, auxquelles il a participé aux côtés de l’Egypte, de la Jordanie, de la Palestine et des Etats-Unis. Ce non-respect a affaibli l’Autorité palestinienne. Sans oublier qu’Israël continue à pirater les fonds du peuple palestinien et à prendre d’assaut les zones de l’Autorité palestinienne. Le fait qui affaiblit de plus en plus l’Autorité, d’autant plus qu’elle souffre d’un grave déficit budgétaire.
— Après plusieurs rencontres en Egypte, les dirigeants du Fatah, du Hamas et des autres factions palestiniennes ne sont toujours pas parvenus à une réconciliation. Quelles en sont les raisons ?
— Les secrétaires généraux des factions palestiniennes se sont réunis le 30 juin dernier dans la ville égyptienne d’Al- Alamein. Mais la rencontre a été un échec flagrant. Alors que la réunion devait s’étendre sur deux jours, elle n’a duré que quelques heures. La déclaration finale annonçant la formation d’un comité de secrétaires généraux pour compléter les consultations avait pour seul but d’embellir l’échec de la réunion, mais nous nous attendions à l’échec de cette 22e réunion des factions après que le président Mahmoud Abbas eut rencontré à Ankara, deux jours avant la réunion, le président du bureau politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh. Les différends étaient clairs entre les deux parties, car de nouveaux obstacles sont apparus, dont le plus important est l’insistance du président Abbas sur l’adoption par les factions palestiniennes d’un programme politique unique qui reconnaît les résolutions internationales. Ce qui a été interprété par les factions comme une reconnaissance d’Israël. Il y avait aussi l’insistance du président sur l’unité des armes palestiniennes et l’exclusion des groupes armés de la Cisjordanie. Ces nouvelles conditions ont fait échouer la réunion avant qu’elle ne commence.
— Que doivent faire les factions palestiniennes pour parvenir à une réconciliation nationale ?
— Toutes les factions, y compris le Hamas, sont appelées à accepter la tenue d’élections palestiniennes. Elles doivent également développer une stratégie palestinienne unique et convenir sur l’unité des armes palestiniennes et l’unité de la prise de décision. Tous les éléments de l’arc-en-ciel palestinien doivent rester unis au sein d’une organisation de libération palestinienne par le biais d’un processus démocratique auquel participeraient les Palestiniens du monde entier.
— Pensez-vous donc que l’organisation d’élections et la formation d’un gouvernement d’union nationale puissent représenter une issue à la division palestinienne ?
— Après que les négociations sur la réconciliation interpalestinienne ont abouti à une impasse, la seule solution est de tenir des élections générales pour la formation d’un gouvernement technocratique, qui serait chargé pendant six mois d’organiser l’intérieur palestinien et de préparer la tenue d’élections présidentielle et parlementaires. Pour leur part, Le Caire et Amman devaient se charger de résoudre le problème de la tenue des élections à Jérusalem ou de trouver un mécanisme pour assurer la participation des Palestiniens de Jérusalem au processus électoral. Les élections représentent un pas sur la voie de l’établissement d’un nouveau système politique multipartite qui met fin à l’état des deux pôles de division, le Fatah et le Hamas, et ouvre un dialogue sérieux entre les nouvelles forces élues pour développer une nouvelle stratégie politique et une nouvelle vision pour instaurer un régime politique unifié.
— Pensez-vous que la solution de deux Etats soit toujours valable sous le gouvernement israélien actuel ?
— La solution de deux Etats est loin de la réalité, à cause d’une colonisation accrue en Cisjordanie et de la construction de barrières séparant les villes de la bande de Gaza les unes des autres. Ceci rendra la connexion géographique très difficile. Depuis la cessation des négociations israélo-palestiniennes en 2014, les gouvernements israéliens successifs n’ont pas avancé l’idée de la solution de deux Etats. Sous le gouvernement extrémiste de Netanyahu, cette solution est devenue impossible. Idem pour les négociations politiques.
— La cause palestinienne pourrait-elle profiter de la crise interne en Israël sur le dossier des pouvoirs de la justice ?
— Nous ne nous attendons pas à ce que le conflit interne affecte l’Etat d’occupation ou sa division comme certains s’y attendent. Il s’agit d’un processus démocratique au plus haut niveau qui ne conduira en aucune façon à une division au sein de l’Etat d’occupation, même si le premier ministre, Benyamin Netanyahu, ressent un danger réel.
— Est-ce que l’impasse politique actuelle pourrait pousser le président Mahmoud Abbas à épouser la stratégie de résistance armée, défendue par le Hamas et d’autres factions palestiniennes ?
— Le président Mahmoud Abbas et l’Autorité palestinienne accueillent favorablement toute initiative visant à relancer le processus politique et estiment que la solution passe par des moyens pacifiques et non par la résistance armée, à laquelle ils ne croient pas.
— L’Autorité palestinienne a-t-elle perdu toute confiance en la médiation des Etats-Unis en vue de parvenir à une solution négociée ? Pense-t-elle que le Quartet international, composé des Etats-Unis, des Nations-Unies, de l’Union européenne et de la Russie, puisse jouer un rôle plus positif ?
— L’Autorité palestinienne croit toujours à la médiation des Etats-Unis malgré leur manque d’intégrité parce qu’ils sont le seul médiateur qui peut faire pression sur l’occupation israélienne. Quant au Quartet international, il n’a plus de rôle dans le processus politique.
— Que pensez-vous des tentatives israélo-américaines de retirer les dossiers de Jérusalem et du retour des réfugiés palestiniens de la table des négociations ?
— Ces tentatives ont eu lieu sous l’ex-président américain Donald Trump, lorsqu’il a retiré le dossier de Jérusalem, ainsi que la question du retour des réfugiés palestiniens de la solution finale. Les Palestiniens n’ont pas accepté ce plan de Trump, qu’il a appelé l’accord du siècle, et ont insisté sur leur droit d’établir leur Etat avec Jérusalem comme capitale et sur une solution juste à la question des réfugiés. Mais, les dirigeants palestiniens actuels sont ouverts à tout retour aux négociations israélo-palestiniennes parce que les alternatives n’existent quasiment pas.
— Que peut faire l’Egypte pour que le peuple palestinien recouvre ses droits légitimes ?
— L’Egypte considère que la cause palestinienne est une question de sécurité nationale égyptienne et soutient le peuple palestinien politiquement, économiquement et moralement. C’est une position fixe dont tout le peuple palestinien est fier. Il apprécie, au même titre, les positions égyptiennes en faveur des droits palestiniens dans toutes les instances internationales et l’affirmation égyptienne permanente du droit du peuple palestinien à l’établissement de son Etat indépendant sur tous les territoires occupés en 1967, y compris Jérusalem. Il ne fait aucun doute que le récent Sommet tripartite d’Al- Alamein, que le président Abdel-Fattah Al-Sissi a appelé de ses voeux, en présence du roi Abdallah de Jordanie et du président Mahmoud Abbas, est une action qui vise à soutenir la cause palestinienne et les droits légitimes du peuple palestinien.
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