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Antoinette Monsio Sayeh : Le gouvernement égyptien doit poursuivre le programme de réforme dans lequel il a franchi des étapes positives

Névine Kamel, Lundi, 12 juin 2023

Antoinette Monsio Sayeh, directrice générale adjointe du FMI, explique les objectifs de sa visite de deux jours au Caire et revient sur les progrès réalisés par le gouvernement égyptien sur la voie de la réforme économique. Entretien.

Antoinette Monsio Sayeh
(Photo : Ahmed Refaat)

Al-Ahram Hebdo : Quels sont les objectifs de votre visite actuelle en Egypte ? Qui avez-vous rencontré du gouvernement ?

Antoinette Monsio Sayeh : Tout d’abord, je suis ravie d’être en Egypte pour la première fois et de l’accueil chaleureux du gouvernement égyptien. J’ai eu l’occasion de voir de mes propres yeux le potentiel de l’Egypte, ainsi que la profondeur de la culture et de l’histoire. C’est vraiment impressionnant. Le principal objectif de la visite est de discuter d’un document que le FMI vient de terminer intitulé « Gérer les risques budgétaires au Moyen-Orient et en Afrique du Nord », qui porte sur les risques budgétaires dans la région, et pas seulement pour l’Egypte. En outre, en tant que FMI, nous avons profité de l’occasion pour rencontrer les autorités égyptiennes, afin de discuter des moyens de renforcer davantage notre partenariat qui est déjà excellent et de soutenir au mieux le pays dans ses efforts de réforme. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec le premier ministre, le ministre des Finances et le gouverneur de la Banque Centrale d'Egypte (BCE).

— La révision qui était prévue en mars n’a pas eu lieu et la 1re tranche du crédit de 3 milliards de dollars accordée par le FMI à l’Egypte n’a pas été versée. Après vos discussions avec les autorités, la révision aura-t-elle lieu d’ici fin juin ?

— Il est vrai que la révision qui était prévue en mars n’a pas eu lieu et que la tranche qui devait être versée à l’Egypte ne l’a pas été. Mais nous sommes encouragés par les discussions importantes et sérieuses que nous avons eues au cours de cette visite. Le gouvernement égyptien doit aller de l’avant dans le programme de réforme économique dans lequel il a franchi des étapes positives jusqu’à présent. La révision du programme sera déterminée en fonction des progrès effectués. Les étapes et les progrès réalisés nous permettront de prendre confiance que nous sommes sur la bonne voie, puis de passer à la phase suivante. Le FMI est un partenaire de longue date de l’Egypte. Une fois que le programme de réforme sera pleinement mis en œuvre, l’Egypte sera dans une meilleure position. Au cours de ma visite, nous avons discuté de questions liées au rôle de l’Etat dans l’activité économique, à la neutralité en ce qui a trait à la concurrence entre le secteur privé et l’Etat et à la vente d’un certain nombre d’actifs. Le gouvernement est appelé à réduire le rythme des grands projets nationaux qui exercent une pression sur le taux de change et à passer à un régime de taux de change flexible.

— Le versement des autres tranches du crédit sera-t-il retardé en raison du retard de la première révision ?

— Notre objectif est de soutenir les réformes nécessaires en Egypte. La priorité est de mettre en œuvre les mesures de réforme requises pour obtenir des résultats concrets. L’important est de mener à bien les réformes nécessaires, cela déterminera en fin de compte la date de la révision.

— Le programme devrait stimuler un financement supplémentaire d’environ 14 milliards de dollars de la part des partenaires régionaux de l’Egypte. Où en sont ces investissements ?

— Nous ne sommes qu’au 6e mois d’un programme de 4 ans. Il reste donc encore amplement de temps pour stimuler ces flux d’investissement. Mais il ne fait aucun doute que la mise en œuvre complète du programme stimulera ces investissements en Egypte.

— Comment évaluez-vous les progrès réalisés par le gouvernement dans la réduction du rôle de l’Etat dans l’économie ?

— Le gouvernement a adopté des mesures importantes pour redéfinir le rôle de l’Etat dans l’économie et parvenir à des conditions de concurrence équitables entre les secteurs public et privé. La première étape a été la promulgation du document de la politique de la propriété de l’Etat, et l’étape suivante consiste à mettre en œuvre rapidement les termes du document, afin d’obtenir des résultats positifs.

— La ministre de la Planification, Hala Al-Saïd, a annoncé que l’Etat réduirait ses mégaprojets exigeant des devises étrangères, conformément aux suggestions du FMI. Que pensez-vous de cette décision ?

— C’est une décision importante, d’autant plus que ces projets consomment une grande partie des réserves de change du pays. Les objectifs du FMI sont les mêmes que ceux des autorités égyptiennes. Ils visent à ce que le programme de réforme atteigne ses objectifs et fournisse à l’Egypte une voie durable pour l’économie et la croissance inclusive à l’avenir. Les principaux éléments comprennent la réduction du rôle de l’Etat dans l’économie, la création de conditions de concurrence plus équitables pour le secteur privé et les entreprises, ainsi que la réduction de l’exécution des projets nationaux.

Compte tenu de la demande croissante sur les devises, en particulier dans le secteur des biens et des services, le ralentissement de la mise en œuvre de ces mégaprojets contribuera à contenir l’inflation et réduira la demande sur les devises. En outre, elle facilitera la transition vers un système permanent de taux de change flexible. Le FMI espère voir des résultats concrets et des progrès à ce niveau au cours des prochaines semaines.

— Comment la région, ainsi que l'Egypte peuvent-elles soutenir la croissance du secteur privé malgré des taux d'intérêt élevés qui rendent l'emprunt plus coûteux ?

— L'amélioration de l'environnement propice à l'activité du secteur privé dans un certain nombre de pays peut contribuer à soutenir la croissance du secteur privé. Par exemple, l'Egypte peut tirer parti du rôle du secteur privé au lieu de compter sur les entreprises publiques. Pour créer un environnement propice, il est nécessaire d'investir davantage dans la réduction de la bureaucratie et de garantir que le secteur privé ait un accès égal aux devises étrangères. Ces mesures sont essentielles pour uniformiser les règles du jeu pour le secteur privé. L'inflation élevée est un autre obstacle aux investissements du secteur privé. La lutte contre l'inflation est apte à créer un meilleur environnement pour attirer davantage d'investissements, en plus de son impact plus large sur le niveau de vie de la population.

— Les gouvernements ont-ils effectivement adopté ces mesures ?

— Certaines mesures ont été prises par les gouvernements pour contenir l'inflation par le biais de la politique monétaire. Cependant, comme dans d’autres pays, des politiques restrictives ont contribué au ralentissement de la croissance dans la région. Pour contenir l'inflation, la BCE a relevé le taux d'intérêt de 10 % et fait des efforts pour améliorer les canaux de transmission de la politique monétaire.

— La BCE devrait-elle continuer à relever ses taux d'intérêt compte tenu des chiffres élevés de l'inflation ?

— Oui, notre conseil à la BCE est de se tenir prête à lutter contre les pressions à la hausse sur l'inflation. Bien que les chiffres de l'inflation aient augmenté ce mois-ci, ils ont quelque peu diminué le mois dernier. La BCE devrait continuer à prêter attention aux données sur lesquelles elle devrait baser ses décisions de politique monétaire. Il est prévu que le taux de croissance dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) connaisse un ralentissement pour se situer à 3,2 % cette année, contre 5,3 % l'année passée.

— Quels sont les pays les plus exposés à ce recul de la croissance ? Quelles sont les politiques qui doivent être mises en œuvre pour faire face à ce défi ?

— Selon nos prévisions, la croissance dans la région MENA ralentira cette année, comme c'est le cas dans le reste du monde. Elle devrait ralentir à 3,2 % contre 5,3 % l'an dernier.

Tous les pays de la région seront touchés par la décélération cette année. Les pays du CCG connaîtront la plus forte décélération, passant de 7,7 % en 2022 à environ 2,9 % cette année. La réduction de la production pétrolière conformément à l'accord OPEP+ en est l'un des facteurs. Cependant, la réduction de la croissance de la région est principalement attribuée aux efforts de lutte contre la forte inflation. L'Egypte a enregistré un taux de croissance très robuste d'environ 6,7 % au lendemain de la pandémie. Cependant, en 2023, une décélération d'environ 3 points, atteignant 3,7 %, est prévue. Ceci reflète l'impact des pressions mondiales sur l'Egypte en termes de prix élevés, ainsi que de défis intérieurs.

Certains pays de la région MENA ne devraient croître que de 1,3 % ; ce groupe comprend le Soudan et le Yémen, qui connaissent des situations de conflit. C'est dommage, car ce sont les pays qui ont le plus besoin d'une croissance robuste.

— Comment les pays producteurs de pétrole peuvent-ils utiliser leurs revenus pour atténuer le ralentissement économique ?

— Ces pays doivent gérer prudemment leurs revenus pétroliers en évitant des dépenses excessives. Ils devraient se focaliser sur le règlement des problèmes structurels et des défis de la diversification. En raison de la baisse de la production de pétrole résultant de l’accord de l'OPEP, les taux de croissance dans des pays comme l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis seront également affectés. Pour stimuler la croissance, ces économies mettent l'accent sur les secteurs non pétroliers, tels que le commerce de détail et les services, qui affichent une progression robuste. En s'appuyant davantage sur les secteurs non pétroliers, ces pays peuvent accroître leurs niveaux de croissance globale.

— Quelles mesures les pays non exportateurs de pétrole peuvent-ils prendre pour gérer la situation ?

— Compte tenu du ralentissement de la croissance et des pressions inflationnistes, la gestion des pressions sur les prix est cruciale. Cela nécessite la mise en œuvre de politiques budgétaires et monétaires plus strictes pour atteindre la stabilité macroéconomique, qui est vitale pour une croissance durable. Cependant, la poursuite de telles politiques peut soulever des défis à court terme, nécessitant un suivi attentif de leur impact sur la croissance. Chaque pays doit soigneusement équilibrer ses choix politiques en fonction de son contexte spécifique. Les pays doivent également poursuivre leurs efforts pour mobiliser les recettes tout en rationalisant les dépenses, tout en protégeant les plus vulnérables, notamment par le biais des réseaux de sécurité. En outre, les efforts d'assainissement budgétaire jouent un rôle important en permettant aux pays de faire face aux importantes vulnérabilités de la dette.

— En ce qui concerne les développements politiques au Soudan, comment affectent-ils le pays et ses perspectives économiques ?

— Le conflit en cours a eu un impact négatif sur l'économie et les infrastructures du Soudan, entraînant des pressions inflationnistes et de la destruction. Par conséquent, les perspectives économiques au Soudan sont sombres. En plus, la situation au Soudan a des répercussions sur les pays voisins, car de nombreux réfugiés ont fui vers ces pays. Certains de ces pays sont eux-mêmes confrontés à la fragilité et à l'insécurité alimentaire. Leur capacité à absorber les réfugiés est limitée. Cependant, le programme avec l'Egypte offre une certaine assurance que le pays est relativement bien placé pour résister aux conséquences de la situation au Soudan.

— Comment pouvons-nous arrêter la perturbation des chaînes d'approvisionnement mondiales causée par la guerre en Ukraine ?

— La mission du FMI consiste à aider les pays membres à résoudre les problèmes cruciaux pour l'économie mondiale. La lutte contre la fragmentation et la distorsion des échanges résultant de la guerre en Ukraine est encouragée, afin de garantir la continuité des avantages du commerce mondial. C'est un rôle important de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Un autre domaine est le problème de la dette auquel sont confrontés de nombreux pays, en particulier les pays à faible revenu. Le FMI a collaboré avec les pays membres par le biais d’une table ronde mondiale sur la dette souveraine, afin de mieux coordonner le processus de restructuration. Des efforts ont été déployés pour s'assurer que les différents pays parviennent à des solutions avec les créditeurs. Non pas uniquement le traditionnel Club privé de Paris, mais également l’ensemble des créditeurs du G20. Enfin, une attention collective est portée à l'atténuation et à l'adaptation au changement climatique, afin d'atténuer son impact sur les économies des pays membres et sur l'économie mondiale dans son ensemble.

— La région MENA a connu d’importants déséquilibres fiscaux. Que doivent faire les gouvernements pour assurer une politique fiscale équilibrée et améliorer le ratio de l’impôt/PIB sans exercer de pressions supplémentaires sur les pauvres ?

— La région fait face à des défis dans l’achèvement de l’équilibre fiscal, qui nécessitent des actions sur deux fronts : les revenus et les dépenses. Les impôts devraient être perçus auprès d’une base plus large, et pas seulement d’un petit sous-ensemble d’investisseurs. Pour achever cela, il y a autant de solutions que l’on peut mettre en place sur le front des revenus. Comme par exemple contenir les dépenses courantes et veiller à ce qu’elles soient axées sur la productivité. Les dépenses courantes doivent soutenir la santé et l’éducation, mais ne devraient, en aucun cas, gonfler par inadvertance la masse salariale. Les investissements doivent également être correctement sélectionnés. Ces actions sur le front des dépenses peuvent contribuer à régler les déséquilibres fiscaux.

— Quels sont les risques et les incertitudes qui affectent les perspectives de la région ?

— Il y a pas mal d’incertitudes, car il s’agit d’un environnement très incertain à l’échelle mondiale. Un risque important provient du durcissement des conditions financières globales, qui a conduit à certaines tensions, plus récemment dans le secteur bancaire aux Etats-Unis et en Suisse. Ce durcissement des conditions financières signifierait que les coûts de l’emprunt et des services de la dette pour la région pourraient être beaucoup plus élevés. Un autre risque est la possibilité que la guerre en Ukraine s’accélère et empire, ce qui pourrait affecter les prix des denrées alimentaires et des produits de base et affecter négativement la croissance dans un certain nombre de pays. Il s’agit là de quelques-uns des risques à venir.


(Photo : Ahmed Refaat)

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