Al-Ahram Hebdo : Vous venez de remporter les élections du syndicat des Journalistes. Comment évaluez-vous ces élections marquées cette année par une forte concurrence ?
Khaled Balshy: Le processus électoral s’est, dans son ensemble, déroulé dans une atmosphère compétitive et équitable, à l’exception de quelques comportements minimes. Les élections ont été marquées par une grande participation des journalistes, la plus importante depuis de nombreuses années. Cette grande participation transmet un message important de la part des journalistes, qui appellent à un changement et à l’amélioration de leur statut. Ce message a été transmis à l’assemblée générale du syndicat des Journalistes qui, à son tour, a décidé à l’unanimité de rejeter le projet de budget de l’année 2022 et de le renvoyer au nouveau conseil pour l’examiner.
Bref, le 17 mars, nous étions face à une vraie scène démocratique, animée par une concurrence transparente qui s’est traduite par des résultats très serrés, soit presque 50% contre 50%, avec une différence de quelques voix. Le syndicat des Journalistes est digne de cette scène démocratique formidable.
— Le dossier des libertés se trouve au coeur de votre programme électoral, qu’entendez-vous faire dans ce dossier ?
— J’ai toujours travaillé sur ce dossier au sein de la commission des libertés du syndicat dont j’étais membre. C’est l’un des dossiers auquel je ne vais jamais renoncer. Comme je l’ai annoncé dans mon programme électoral, j’entends mener des négociations avec toutes les instances concernées pour garantir la liberté du travail journalistique et une plus grande mobilité. J’appelle également à la modification de certaines législations, afin de réaliser cet objectif important. Je compte également travailler sur le dossier des journalistes détenus. Chaque cas de détention sera séparément traité, afin de trouver une issue à cette question.
— Quelles sont les législations qui doivent, selon vous, être modifiées ?
— Il y a notamment la loi sur la presse et les médias, les lois relatives à l’échange des informations qui est la clé du travail journalistique. Nous allons travailler pour tenter de mettre fin aux peines d’emprisonnement dans les délits de publication. Ces modifications sont nécessaires, elles auront des répercussions importantes sur la production journalistique qui deviendra plus riche et faciliteront la tâche du journaliste, qui a besoin de circuler librement dans les rues, de photographier et d’obtenir des informations claires et précises sans la moindre entrave et sans être exposé à l’arrestation.
— Outre la question des libertés, quels sont les autres défis auxquels le syndicat des Journalistes est confronté ?
— Mon objectif est de rassembler à nouveau les journalistes sous le toit de leur syndicat. C’est dans ce contexte qu’un dialogue syndical, à l’exemple du Dialogue national, sera lancé, afin que les journalistes discutent des problèmes du métier. Qu’il s’agisse de problèmes financiers ou de problèmes ayant trait à la production journalistique. Il s’agit d’exploiter les grandes capacités humaines qui se trouvent au sein de l’assemblée générale. Nous avons actuellement au sein de l’assemblée générale 4 anciens présidents du syndicat, des personnalités ayant une grande expérience syndicale, tel Khaled Miri, mon adversaire aux élections, et qui est membre de l’Union des journalistes arabes. Tous les candidats aux élections, qu’ils aient réussi ou pas, et les membres du conseil du syndicat, qu’ils soient anciens ou nouveaux, seront invités à ce dialogue. Nous devons tous coopérer et étudier des idées constructives pour atteindre nos objectifs et faire face aux défis auxquels notre métier est confronté. Il faut absolument sauver le métier de journaliste. Aucun progrès ne sera obtenu par le travail unilatéral.
— Qu’en est-il de l’amélioration du statut salarial des journalistes qui est l’une de leurs principales revendications ?
— C’est l’un des plus grands défis auxquels le syndicat est confronté. Nous allons travailler afin d’augmenter les ressources du syndicat. Pour cela, une conférence économique est prévue au syndicat pour discuter des conditions actuelles de la profession et proposer des idées pour améliorer les conditions économiques des journalistes et développer la profession. Une étude économique sera effectuée avec l’objectif de fournir aux journalistes des salaires dignes de leur statut et qui vont de concert avec les taux d’inflation, qui sont en augmentation continue. Nous allons recourir aux grands journalistes, experts en économie, pour apporter des solutions concrètes pouvant être mises en oeuvre. On peut dire que ma mission la plus facile, qui était de remporter les élections, est achevée. Aujourd’hui commence ma mission la plus difficile, qui consiste à relever les défis du métier.
— Vous appartenez au courant de l’indépendance. Cela n’entrave-t-il pas, selon vous, la réalisation d’une entente avec le gouvernement ?
— J’appartiens au mouvement de gauche quand je suis en dehors du syndicat. Mais avant tout, je suis journaliste. Mes collègues m’ont confié la tâche la plus importante, qui est de les représenter et de défendre leurs droits. Cette mission m’oblige à renoncer à toute affiliation politique. Autrement dit, je suis conscient que toute opinion que j’exprimerais ne me représente pas seul, mais représente tous les journalistes. Aujourd’hui, je veux montrer une capacité à gérer les affaires du syndicat des Journalistes de manière satisfaisante et pas seulement pour les 50% des journalistes qui m’ont élu, mais surtout pour les 50% des journalistes qui ont voté contre moi. Il n’est pas question pour moi de les décevoir. Cela ne veut pas dire que j’ai changé d’affiliation. Etre opposant ne signifie pas forcément être contre tout sur toute la ligne. S’opposer c’est présenter une vision différente. Mais aujourd’hui, à mon poste actuel, il n’est pas question d’opposition. Je suis bien conscient que le syndicat des Journalistes est une institution qui doit négocier avec toutes les parties, et avant tout avec le pouvoir.
— Les membres du conseil du syndicat sont issus de différentes affiliations politiques. Comment cette disparité peut-elle être mise à profit ?
— Le conseil du syndicat est, en effet, composé de personnes aux visions différentes. Chacune d’elles a une opinion différente des autres, elles peuvent s’entendre sur les grandes lignes, mais ont des visions différentes sur les détails. Ce qui m’intéresse c’est que tous les membres du conseil soient présents à toutes les sessions, qu’ils soient actifs et effectifs dans leur travail au sein du conseil. A mon avis, cette disparité, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, peut être placée au service du travail syndical. Plus les idées sont différentes, plus elles profitent au syndicat. Il ne faut pas oublier que nous sommes au sein d’un syndicat d’opinion. Tous les points de vue sont discutables, les meilleurs seront pris en considération. Cette diversité créera un conseil syndical très riche.
— Après le rejet du budget de 2022, comment allez-vous gérer les ressources du syndicat ?
— Le rejet du budget est un message pour nous tous. A la fois pour le conseil sortant et pour le nouveau conseil. C’est une sonnette d’alarme sur la manière dont sont gérées les ressources du syndicat. Il faut donc revoir la façon dont l’argent des journalistes est dépensé et gérer différemment les ressources, d’autant plus que celles-ci sont rares et limitées. Nous n’avons pas le luxe de faire du gaspillage. Il faut travailler vite et avec force pour tenter de trouver de nouvelles sources de financement, d’une part via les négociations avec le gouvernement pour augmenter les revenus des journalistes, et d’autre part en recherchant des alternatives ou des moyens d’élargir les ressources existantes, notamment en organisant un certain nombre de conférences financées par des sponsors. C’est d’ailleurs le principal objectif de la conférence économique que je prévois organiser au plus vite pour y présenter différentes visions, afin d’arriver à une meilleure gestion des ressources du syndicat.
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