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Alaa El-Hadidi : Le vainqueur de cette guerre devra remporter une victoire militaire et résister aux difficultés économiques

Heba Zaghloul , Mercredi, 22 février 2023

Ancien ambassadeur d’Egypte à Moscou et membre du Conseil égyptien des affaires étrangères, Alaa El-Hadidi fait le point sur la situation en Ukraine et les scénarios potentiels de l’issue de la guerre.

Alaa El-Hadidi

Al-Ahram Hebdo : Cest le premier anniversaire de la guerre en Ukraine, comment évaluez-vous la situation sur le terrain ? Alaa El-Hadidi : Pour le moment, il y a des signes qui indiquent que nous passons d’une période de stagnation qui dure maintenant depuis deux mois vers le début d’une offensive russe. Les prochains jours montreront si cette offensive est réelle ou s’il s’agit d’une fausse alarme. Cette spéculation est basée sur le fait que le 24 février marque l’anniversaire de l’invasion, et donc certains observateurs pensent que Poutine veut le célébrer avec une victoire, d’où l’escalade actuelle. Ceci dit, il serait plus plausible de penser que le vrai combat, que ce soit à l’initiative de la Russie ou de l’Ukraine, aura lieu au printemps.

Donc, en se basant sur ces données, vers où se dirige-t-on ?

— Il est trop tôt pour le savoir. Sur le terrain, chaque partie essaye de renforcer ses capacités pour la prochaine phase des affrontements. Les Russes ont déjà annoncé une mobilisation de 300 000 hommes. Et selon l’estimation occidentale, 200 000 sont déjà déployés, dont la moitié est d’ores et déjà sur le front. Le déploiement d’un tel nombre nécessite du temps en termes d’entraînement et d’équipement en armes. Reste à savoir si les Russes seront capables de faire cette mobilisation avant les mois de juin et juillet. Tout dépend de leur efficacité à déployer ce nombre d’hommes. D’ailleurs, selon certaines spéculations, 300 000 autres soldats seront mobilisés. D’un autre côté, les Ukrainiens sont également dans une course contre la montre pour s’adapter aux nouveaux armes et équipements militaires que les Occidentaux leur ont promis et qui sont en cours de livraison. Ils ont déjà commencé à s’entraîner avec les nouveaux chars et le système de défense anti-aérien Patriot. Tout cela prendra des mois et les Ukrainiens espèrent que cela prendra des semaines. Il reste à voir qui des deux parties gagnera cette course contre la montre et qui sera prêt pour lancer l’offensive en premier.

Vous avez mentionné les armes qui ont été promises aux Ukrainiens mais qui nont pas toutes été livrées ...

— Effectivement, la livraison de certaines armes peut nécessiter jusqu’à un an, et ce, pour plusieurs raisons, entre autres la production et les stocks d’armes disponibles chez les Occidentaux qui ne s’attendaient pas à ce qu’il y ait besoin d’un tel nombre d’armes et de munitions (dans la guerre en Ukraine). N’oublions pas aussi que les Etats-Unis n’écartent pas la possibilité d’un éventuel conflit avec la Chine et, par conséquent, ne veulent pas épuiser toutes leurs ressources.

Les Russes ont parlé de menaces nucléaires, faut-il les prendre au sérieux ?

— Poutine se trouve dans une position désespérée en ce moment et si les choses ne s’arrangent pas, il n’aura d’autres choix que d’utiliser des armes nucléaires tactiques. Lorsque vous poussez un lion dans un coin, il devient plus dangereux. Et c’est précisément l’inquiétude de l’Occident. C’est aussi pour cela qu’ils fournissent des armes à l’Ukraine en petites quantités pour ne pas provoquer Poutine et lui donner un prétexte d’utiliser les armes nucléaires tactiques.

Y a-t-il un espoir quun processus de paix puisse être établi et aboutisse à quelque chose de concret ?

— Pour le moment, aucune des deux parties n’est sérieuse à propos des pourparlers de paix. Chaque partie espère remporter un certain nombre de victoires militaires pour avoir un avantage lors d’éventuelles négociations. C’est pour cette raison d’ailleurs qu’il y a peu de chance que des négociations aient lieu avant la prochaine série d’affrontements, qui risquent d’éclater au printemps ou en été. C’est seulement après ces affrontements qu’on pourra dire si l’équilibre des forces est en faveur des Russes ou plutôt en faveur des Ukrainiens et de l’Occident.

Cette guerre aurait-elle pu être évitée ? Les Russes considèrent quune éventuelle intégration de lUkraine au sein de lOtan serait une menace à la sécurité nationale du pays et selon eux, cest cela qui a provoqué la guerre

— C’est la question à un million de dollars, car il y a deux théories. Admettons d’abord que les craintes de Poutine soient légitimes, cela ne justifie pas l’invasion d’un autre pays. Cette invasion a en plus compromis la crédibilité des Russes. Au lieu de lancer une guerre, ces derniers auraient pu continuer à exercer des pressions sur l’Ukraine à travers une offensive diplomatique et renforcer la présence militaire autour des frontières ukrainiennes. De cette manière, Moscou aurait pu obtenir les concessions qu’elle réclamait. La deuxième théorie est que l’Occident n’a donné aucun choix à Poutine autre que de passer à l’action et d’envahir l’Ukraine. Laquelle des deux théories est juste ? Seule l’histoire nous le dira, sachant bien sûr que c’est toujours le vainqueur qui écrira sa version des faits.

Y a-t-il une éventuelle issue à cette guerre ou bien sommes-nous face à un jeu à somme nulle dans lequel une partie doit impérativement gagner au détriment de lautre ?

— Là encore il y a plusieurs scénarios. Le premier est de se retrouver face à une véritable impasse dans laquelle aucune des parties n’arrive à remporter une victoire décisive, ce qui les pousserait vers un compromis politique. Un autre scénario est que la Russie remporte une victoire contre l’Occident et que ce dernier soit épuisé ou perde patience et ne maintienne plus son soutien à l’Ukraine. Dans ce cas, Poutine obtiendrait les concessions qu’il demandait depuis le début. Le scénario opposé serait, au contraire, une défaite russe qui permettrait à l’Ukraine de libérer les territoires occupés, la Crimée inclus. Dans ce cas, la Russie sera reléguée à une puissance de second degré. Enfin, le dernier scénario serait un gel du conflit comme c’est le cas de nombreux conflits dans le monde, qui sont dans une impasse sans accord possible.

La pression économique peut-elle devenir un facteur qui force les parties à un compromis ?

— Lorsque j’ai mentionné la capacité des deux parties à continuer la guerre, je parlais de capacité militaire et économique à la fois.

A plusieurs reprises, Poutine a modifié ses objectifs de guerre. Est-il possible quil change dobjectif à nouveau pour donner une issue à cette guerre ?

— Un leader politique rusé ne se laisse pas pousser dans un coin et ne hausse pas la barre des attentes à un niveau qu’il ne peut pas atteindre. Et l’erreur de Poutine est qu’au tout début du conflit, il pensait que la guerre se terminerait en l’espace de quelques semaines et donnerait lieu à une chute du régime ukrainien. Mais il a changé son discours et ne mentionne plus désormais un changement de régime à Kiev. Même chose pour Zelensky, quand les Russes avançaient sur le terrain, il parlait de négociations, mais il a cessé d’en parler et est devenu intransigeant lorsque les Ukrainiens sont parvenus à récupérer la moitié des territoires occupés. Donc, en effet, l’issue de cette guerre se jouera à la fois sur les plans militaire et économique. Autrement dit, celui qui gagnera la guerre devra non seulement remporter une victoire militaire, mais également résister aux difficultés économiques.

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