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Kristalina Georgieva : Le changement climatique est une menace existentielle pour l'humanité

Doaa Abdel Moneim , Lundi, 07 novembre 2022

La directrice du Fonds Monétaire International (FMI), Kristalina Georgieva, qui participe à la Conférence de l'Onu sur le climat, explique les priorités climatiques du FMI et revient sur le récent accord de financement avec l'Egypte.

Kristalina Georgieva

Al-Ahram Hebdo : Quelles sont les priorités du FMI à la COP27 ?

Kristalina Georgieva : Je voudrais d'abord parler des actions que le FMI a prises, puisque la COP27 porte sur la mise en œuvre des engagements des différents acteurs. Le changement climatique affecte profondément la vie et les moyens de subsistance des populations, ainsi que la stabilité de nos systèmes économiques et financiers, ce qui en fait le cœur du mandat du fonds. Nous aidons les pays membres du FMI à prendre toutes sortes d'actions, en commençant par la définition de leurs objectifs climatiques et en allant vers la quantification et la mise en œuvre de politiques visant à la réduction des émissions, l'adaptation aux événements climatiques devenus de plus en plus fréquents et destructeurs, le renforcement de leur résilience, la gestion des risques et l'accès au financement nécessaire. Pour atteindre ces objectifs, nous plaçons le climat au cœur des intérêts et de l'action du fonds. Nous avons récemment lancé le premier Fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité (RST) qui a assuré une somme de 40 milliards de dollars pour la transformation structurelle nécessaire des pays membres.

Je suis également venue en Egypte pour participer à des discussions sur les priorités de la coopération internationale. Premièrement, nous savons qu'aucun pays ne peut gagner seul la lutte contre le changement climatique. L'intensification de la crise climatique ne peut être ralentie et contrôlée que par des mesures coordonnées à l'échelle mondiale visant à atténuer les effets du changement climatique. Fait encourageant, quelque 140 pays, émettant 91 % des émissions mondiales totales de gaz à effet de serre, ont proposé ou fixé des objectifs d’anéantir leurs émissions pour 2050. Cependant, les promesses actuelles sont toujours en deçà du niveau requis pour atteindre les objectifs souhaités, nos recherches indiquent que ces promesses permettront d'atteindre une réduction des émissions de seulement 11 % d'ici 2030 par rapport aux niveaux d'avant 2019, alors que des réductions de 25 % à 50 % sont nécessaires pour limiter le réchauffement à 1,5-2°C et éviter la destruction causée par le changement climatique. Il faut combler ce déficit de financement et la plupart des pays, en particulier les grandes économies, devraient cibler de nouvelles réductions d'émissions et atteindre ces objectifs grâce à une combinaison de politiques visant à encourager la transition vers des biens et services à faible émission de carbone.

Deuxièmement, les pays les plus touchés par le changement climatique devraient accélérer leur adaptation. Il est possible de réduire les pertes et d'offrir des opportunités de développement en adoptant une agriculture climatiquement intelligente et en investissant dans les infrastructures résilientes aux changements climatiques. Cependant, après trois années de chocs économiques successifs, dont la pandémie du coronavirus, de nombreux pays n'ont plus beaucoup d'espace budgétaire et manquent de ressources suffisantes pour financer les investissements climatiques. D'où la troisième priorité, qui est d'accroître le soutien financier de la communauté internationale pour aider les pays à risque à couvrir les coûts de ces efforts.

 Lors des réunions annuelles de la Banque mondiale et du FMI, vous avez beaucoup parlé des crises mondiales. Quel est l'ordre du changement climatique parmi ces crises ?

— Les décideurs de politiques réunis en Egypte dans le cadre de la Conférence sur le climat font face à un monde qui a subi d'énormes changements ces dernières années. Nous avons traversé choc sur choc, d'abord la pandémie, puis l'invasion russe de l'Ukraine. L'hyperinflation et la hausse du coût de la vie ont effacé nos espoirs de voir une reprise économique croissante après la pandémie. Ces chocs ont fait grimper les prix des denrées alimentaires et du carburant dans le monde entier. Ces effets vont de l’expansion de la faim dans de nombreux pays vulnérables à une crise énergétique en Europe. Il devient de plus en plus difficile de relever ces défis dans un monde plus fragmenté. Le changement climatique s'ajoute à ces chocs. C'est une menace existentielle pour l'humanité. Cette année seulement, nous avons vu des inondations sans précédent au Pakistan, des vagues de chaleur en Europe, des sécheresses dans les rivières chinoises, des sécheresses en Afrique et bien plus encore. La situation va s'empirer. Tout cela fait de gagner la bataille contre le changement climatique une priorité mondiale et nécessite une coopération même dans le contexte de tensions géopolitiques. Nous devons agir rapidement et agir ensemble.

 L'Egypte est le troisième pays africain, après l'Afrique du Sud et le Maroc, à accueillir la Conférence de l'Onu sur le climat. Voyez-vous cela comme une indication de l'importance à accorder au changement climatique en Afrique ?

— Bien que l'Afrique ne soit responsable que de 3 % des émissions mondiales, elle souffre le plus de l'exposition aux risques climatiques, faisant de l'adaptation la première priorité naturelle du continent. Je voudrais souligner l'importance de l'assistance internationale pour soutenir l'action climatique africaine, étant donné le besoin urgent de l'Afrique d'un financement considérable dans ce domaine, en plus des promesses de financement actuelles pour atteindre les objectifs de développement. Mais certains signes positifs montrent que des politiques climatiques fortes peuvent aider à répondre à d'autres priorités pour la croissance et le développement. Par exemple, les technologies agricoles intelligentes augmentent les rendements, renforcent la sécurité alimentaire, améliorent la nutrition et renforcent les exportations.

 Comment les pays en développement peuvent-ils financer les actions de lutte contre le changement climatique ?

— L'action climatique dans les économies en développement nécessiterait un financement de plusieurs centaines de milliards de dollars au cours de la seule décennie actuelle. Entre 2016 et 2019, les économies avancées ont fourni 80 milliards de dollars par an à tous les pays en développement. Cependant, l'Afrique n'a reçu qu'un quart de ce financement, et la plus grande partie servait à substituer d'autres ressources de financement qui devaient être consacrées au développement. Les économies avancées doivent remplir leur promesse de financement de 100 milliards de dollars pour l'action climatique dans les pays en développement. Le financement privé est également essentiel pour parvenir à une transition verte.

 Quelle est votre évaluation du dernier accord entre le FMI et l'Egypte sur la mise en place d'un programme de réforme économique ?

— L'économie mondiale connaît un ralentissement, accompagné d'un resserrement des conditions financières et d'une hausse des prix des matières premières, qui ont des conséquences économiques difficiles dans de nombreux pays du monde, y compris l'Egypte. C'est pourquoi nous travaillons en étroite collaboration avec le gouvernement sur des réformes visant à stimuler la croissance, à créer des emplois, à maintenir la stabilité économique, à protéger les groupes vulnérables de la société, à renforcer la résilience économique et à parvenir à une croissance robuste et inclusive. Notre équipe travaillant avec l'Egypte a récemment conclu un accord avec le gouvernement égyptien sur un ensemble de réformes économiques qui bénéficiera d'un financement de 3 milliards de dollars sur 46 mois. Ce programme, qui attend l'approbation du conseil d'administration du fonds, encouragera des financements de la part des partenaires internationaux et régionaux de l'Egypte pour soutenir la mise en œuvre des réformes. Je suis convaincue que l'engagement de l'Egypte en matière de prudence budgétaire contribuera à maintenir la confiance du marché et à faire en sorte que le ratio dette publique/PIB soit placé sur une trajectoire décroissante, laissant ainsi la place à l'expansion du réseau de sécurité sociale pour les personnes à faible revenu.

En outre, compte tenu des prévisions d'une inflation élevée à court terme, la politique monétaire doit continuer à se concentrer sur la stabilité des prix, dans le but d'une réduction progressive de l'inflation, qui a un impact considérable sur les familles pauvres. La flexibilité du taux de change sera essentielle pour aider à absorber les chocs extérieurs et protéger les réserves de change. L'objectif central de la coopération du fonds avec l'Egypte est d'accélérer la croissance économique.

Georgieva reçue par le président Sissi en marge de la COP27

Le président Abdel-Fattah Al-Sissi a reçu Mme Kristalina Georgieva à Charm Al-Cheikh, dans le cadre de sa participation au Sommet mondial sur le climat COP27. La rencontre a également réuni la délégation du FMI, le premier ministre Moustapha Madbouli, le gouverneur de la Banque Centrale, Hassan Abdallah, les ministres de la Planification et du Développement économique, de la Coopération internationale et des Finances, Hala Al-Saïd, Rania Al-Machat et Mohamad Maeit. La réunion a porté sur le partenariat entre l’Egypte et le FMI, à la lumière du programme de coopération récemment convenu entre les deux parties pour achever le processus de réforme économique égyptien. Dans ce contexte, Mme Kristalina Georgieva a souligné que le FMI « poursuivrait sa coopération avec l’Egypte pour soutenir le processus de réforme économique, surtout que l’économie égyptienne a fait preuve d’une bonne performance au cours de la période écoulée et a absorbé les répercussions négatives de la pandémie de Covid-19 et de la crise économique mondiale engendrée par la guerre en Ukraine ».

Pour sa part, le président Sissi a dit apprécier les contributions de Mme Kristalina Georgieva dans le cadre du partenariat fructueux et de la coopération constructive entre le gouvernement égyptien et le FMI pour mettre en oeuvre le programme global de réforme économique, soulignant la volonté de l’Etat d’achever le processus de réforme structurelle relatif aux politiques budgétaires et monétaires et de maximiser le rôle du secteur privé.

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