Al-Ahram Hebdo : Vous avez remporté le prix « ClimateLaunchpad » au niveau national et vous êtes arrivée deuxième en Afrique. Vous êtes actuellement présélectionnée pour le prix au niveau mondial. Quelle est l’importance de ce concours ?
Laila Ayman: Il s’agit du plus grand concours international de lutte contre le changement climatique, destiné aux start-up portant des projets d’innovation sur les transitions urbaines, les systèmes de production durable ou tout autre moyen de lutte contre le changement climatique. Le ClimateLaunchpad fait partie des offres d’entrepreneuriat du Climat-KIC, le plus important écosystème de l’Union européenne pour la recherche autour des enjeux relatifs au changement climatique, et quiconque a une idée de technologies propres peut s’y joindre. La seule contrainte est d’avoir créé ou de vouloir créer une start-up pour faire avancer et appliquer l’idée. Pas besoin même d’avoir un plan d’affaires tout à fait prêt, l’essentiel est l’idée et un prototype. Il y a une sélection qui se fait d’abord dans chaque pays, les trois meilleures équipes de chaque pays se rendent en finales régionales où elles affrontent les plus brillants de la région. Ainsi, j’ai été sélectionnée avec deux autres personnes en Egypte et nous sommes passés à la compétition africaine où je suis arrivée deuxième derrière un projet ougandais et là aussi les trois premiers passent au niveau international pour la grande finale mondiale qui se tient dans quelques semaines.
— Votre idée était de fabriquer des sacs plastiques écologiques. Pourriez-vous expliciter votre projet ?
— L’idée est de fabriquer des sacs biodégradables, c’est-à-dire qui se décomposent naturellement. Fabriquer des sacs biodégradables n’est pas nouveau en soi, certains le font à travers des papiers ou ressources végétales, mais la nouveauté que je propose est dans les matières que j’utilise. Je propose des sacs biodégradables à partir de déchets aquatiques et agro-industriels, soit avec d’autres ingrédients tels que la carapace des crevettes et des langoustes, la pomme de terre et la cellulose. Il en résulte alors une réduction exponentielle du processus de biodégradation. Contrairement au plastique ordinaire, qui ne se décompose jamais complètement et laisse des résidus qui peuvent se retrouver dans notre estomac, cet emballage ne produit aucun résidu toxique ou micro-plastique ou autres. En fait, il se décompose complètement et possède aussi des propriétés antimicrobiennes qui prolongent la durée de conservation des produits sur l’étalage. Je l’ai testé avec les pommes par exemple et il prolonge sa vie de 1,4%. Il offre l’avantage supplémentaire d’être un engrais pour la fertilisation du sol.
— Vous avez fait des études en biomédecine. Comment en êtes-vous arrivée là ?
— Je suis diplômée de l’Université de Nottingham en sciences biomédicales avec une spécialisation dans la R-D, Recherche et Développement. C’est un domaine qui n’est pas très répandu en Egypte et se limite presque au domaine pharmaceutique. Par pur hasard, un ami m’a fait entrer dans une entreprise qui travaille dans les pesticides et les engrais organiques en utilisant une substance extraite de la carapace des crevettes. J’ai alors commencé dans le secteur agricole avec une promesse que l’entreprise se développera plus tard dans le domaine médical. Mais l’entreprise a fait faillite et au moment où je commençais à perdre espoir de pouvoir continuer mes recherches, je suis tombée sur l’annonce du concours et j’ai décidé de remplir le formulaire. Au cours de mon travail, j’ai toujours entendu les agronomes dire qu’il y a un grand gaspillage des déchets agricoles. Par exemple, les feuilles de maïs ne sont jamais utilisées, et ces restes s’accumulent et se transforment en ordures dont nous ne bénéficions pas et l’idée me hantait. Je voulais en faire quelque chose.
— Ne saviez-vous pas à quoi cela mènerait ?
— A l’origine, je cherchais une combinaison de pansements organiques qui aident à guérir les plaies parce que les déchets du secteur médical sont terrifiants. Et durant ma recherche, j’avais fait des tests et j’avais un petit échantillon d’éco-plastique dont je ne savais pas quoi faire: un paquet, un sac ou un verre. J’ai pensé à en faire des sacs à pain, puis à cause de mon expérience dans le secteur agricole, j’ai pensé à un sac à légumes et fruits, surtout pour les caractéristiques antibactérienne et antifongique du sac.
Puis, durant la compétition et comme cela fait partie de l’entraînement et du coaching qu’on reçoit, j’ai commencé à chercher qui serait intéressé par l’achat de ces sacs. J’ai pensé aux producteurs de produits biologiques car, n’utilisant aucun produit chimique, la durée de conservation de leurs produits sur les étagères de vente est très courte. C’est pourquoi j’ai choisi, comme clientèle, les producteurs et distributeurs des produits bio. Je me suis tournée ensuite vers tous ceux que je connaissais, mon père, ma soeur et mes amis pour construire un modèle d’affaires et former le premier groupe de travail et on a créé notre start-up BioPre Solutions.
— Qu’est-ce qui vous a encouragée à choisir cette direction ?
— Pendant longtemps, mon père nous conseillait de ne pas utiliser de bouteilles d’eau en plastique et nous avions l’habitude d’utiliser du verre à la place et alors que j’étudiais en Malaisie, j’étais entourée de toute une société sensibilisée à l’environnement. Les sacs en plastique coûtent cher, les pailles en plastique sont remplacées par du métal ou du verre, j’ai commencé à suivre inconsciemment les mêmes habitudes et quand j’ai étudié la biologie, j’ai compris l’impact d’un tel choix sur la santé. Il y a deux ans, j’ai lu une recherche sur la façon dont notre corps est plein de micro-plastique et comment cela a conduit à la propagation de maladies, en particulier les maladies immunitaires. Par ailleurs, ma tante a été atteinte d’une maladie immunitaire ces dernières années. Et c’est ce qui m’a le plus motivée. J’ai devant moi un tas d’ordures et de plastiques qui détruisent la santé, et je dispose de quelques informations, alors jouons !
— Le marché égyptien est-il prêt pour cela ?
— Ce que j’ai remarqué, c’est que les gens sont devenus très soucieux de l’environnement. J’avais l’habitude d’aller avec ma mère au supermarché avec un sac en osier et les gens nous regardaient avec étonnement. Maintenant certains refusent d’utiliser les sacs en plastique et certains ont leur propre sac polyvalent ou en tissu. Dans les cafés, de plus en plus de gens apportent leurs couverts au lieu d’utiliser du plastique et diverses campagnes se développent sur des matériaux durables et de recyclage même des vêtements. Il y a une plus grande sensibilisation aux besoins de la préservation de la planète.
— Quelle est la plus grande difficulté que vous avez rencontrée durant ce projet ?
— Le fait d’être fille et jeune à la fois dans un secteur trop masculin. Les commentaires du genre: vous avez l’air trop mignon mais avez-vous un collègue homme, juste pour la crédibilité? Ils pensaient que ce n’est pas offensant. Cette stigmatisation doit cesser. Le domaine de la science et la R-D est tellement dominée par les hommes et la sexualisation est grande. C’est une lutte pour amener les gens à vous prendre au sérieux, et une fille dans ce secteur doit être doublement équipée qu’un homme.
— Quelle est alors votre prochaine étape ?
— Je n’ai pas encore terminé le processus de recherche. Ce que j’ai présenté est un produit minimum viable et non pas le produit final. Il y a plus de travail et de combinaison à tester et cela nécessite un laboratoire et des ressources. Je cherche un laboratoire pour développer le sac parce que c’est l’une des dizaines d’autres matières que je peux utiliser. Et je veux le soumettre à d’autres expériences sur le poids pour savoir combien de kilos il pourra supporter… Et ainsi de suite. Malheureusement, utiliser un laboratoire est un processus extrêmement compliqué parce que les laboratoires ne sont disponibles que dans les universités et quelques entreprises. Celles-ci sont réticentes à permettre à un chercheur d’y accéder tout en acceptant de maintenir la confidentialité de la propriété intellectuelle. Je cherche encore un incubateur et une subvention de recherche.
J’ai choisi cette spécialité de R-D en biomédecine parce que mon objectif était de pouvoir prédire et résoudre le problème avant qu’il ne se produise. D’où d’ailleurs le nom « BioPre », c’est-à-dire que nous utilisons des produits biologiques qui avaient une vie antérieure. De la feuille d’arbre, nous avons tiré la cellulose utilisée dans le sac. Ce sac avait donc une vie antérieure. Mon rêve n’est pas de fabriquer simplement des sacs, mais de créer toute une installation R-D qui propose des solutions aidant la santé humaine.
(Photo : Amir Abdel-Zaher)
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