Alaa Sabet,
Rédacteur en chef d’Al-Ahram
Al-Ahram Hebdo : La guerre en Ukraine est en tête des priorités internationales. Dans quelle mesure cette crise a-t-elle affecté les travaux de la 77e session de l’Assemblée générale de l’Onu, et plus généralement, comment affecte-t-elle les Nations-Unies ?
Sameh Choukri : Cette 77e Assemblée générale, tenue sous sa forme traditionnelle après deux sessions perturbées par la pandémie de Covid-19, a témoigné d’un vaste intérêt de la part de la communauté internationale. La crise russo-ukrainienne s’est fortement imposée à cause de son impact sur les pays en développement, notamment en termes d’inflation, de crise alimentaire, de contraction de l’économie mondiale et de hausse des prix de l’énergie. Tout cela exerce une forte pression sur les pays en développement, surtout après la pandémie de Covid-19. Il est donc du devoir de la communauté mondiale d’assumer ses responsabilités et de prendre des décisions qui permettent d’endiguer ces crises.
Lors des séances de la dernière session de l’Assemblée générale, nous avons mis l’accent sur la nécessité que les relations internationales soient fondées sur la coopération, la mondialisation et le développement, et non pas sur les guerres et les politiques hostiles, car tout face-à-face en dehors des règles internationales aboutit à une polarisation. Ce qui se répercute sur les pays en développement et les place dans une situation inconfortable, les empêchant de concentrer leurs efforts sur le développement et de traiter avec toutes les parties pour réaliser ces intérêts. Il est également important de souligner qu’il est indispensable que la communauté internationale respecte les règles de la légitimité internationale stipulées par la Charte des Nations-Unies et les résolutions onusiennes, et qu’elle s’écarte de l’impartialité et du principe de deux poids, deux mesures. En fait, tout cela s’inscrit dans le cadre de l’importance d’entreprendre une réforme de l’Onu, devenue primordiale. Le Conseil de sécurité est aujourd’hui paralysé. Avec ses mécanismes actuels, il est devenu incapable de s’acquitter de ses responsabilités en matière de maintien de la paix et de la sécurité.
— Justement, l’Egypte a longtemps plaidé pour une réforme de l’Onu …
— L’Egypte a toujours appelé à une réforme de l’organisation internationale afin qu’elle réponde aux exigences de la grande majorité des membres qui sont les pays en développement. Nous avons, à maintes reprises, réitéré que nous avions besoin d’une forte position et d’actions concrètes. Cela fait deux décennies que nous parlons en vain de la nécessité de réformer l’Onu. Cette question a été discutée dans de nombreuses réunions bilatérales tenues en marge de l’Assemblée générale avec les partenaires européens et africains, avec le groupe des pays musulmans et le groupe des pays non alignés.
— Quelles sont les grandes lignes de la proposition faite par l’Egypte pour résoudre la crise russo-ukrainienne ?
— Depuis le début de la crise, l’Egypte appelle à une solution politique et déploie de grands efforts dans ce dossier, comme en témoignent les efforts déployés par le président Sissi avec les présidents Poutine et Zelensky, pour contenir la crise et parvenir à une solution politique et diplomatique qui limite les effets dévastateurs du conflit militaire, non seulement sur les belligérants, mais aussi sur les pays en développement, en particulier en ce qui concerne la sécurité alimentaire et la situation économique.
L’Egypte a agi dans le cadre de la Ligue arabe et a formé le Groupe de contact arabe qui a effectué des visites à Moscou et s’est réuni avec le ministre ukrainien des Affaires étrangères en Pologne. Dans ce même cadre, j’ai rencontré de nouveau à New York le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Une rencontre au cours de laquelle j’ai mis l’accent sur ce que l’Egypte peut offrir à la lumière de ses relations solides avec la Russie et l’Ukraine ou dans le cadre du Groupe de contact arabe et la possibilité de lancer un processus politique significatif prenant en compte les intérêts des deux parties et évitant les actes militaires.
— Un mois nous sépare de la COP27, quelles sont les principales caractéristiques de l’agenda de l’Egypte ?
— Le climat est une question existentielle. L’impact du changement climatique se fait sentir chaque jour un peu plus, rappelant les alertes lancées au cours des dernières années, que ce soit à Paris ou à Glasgow. L’Egypte a été mobilisée dès le début, quand il a été décidé qu’elle allait accueillir la conférence du climat. La COP27 devra être le début de la mise en oeuvre des engagements des conférences de Paris et de Glasgow. Des engagements basés sur la nécessité de l’unité de la communauté internationale pour faire face à ce problème, en réduisant les émissions de carbone et en préconisant l’adaptation aux effets dévastateurs du changement climatique.
Au cours de l’année écoulée, l’Egypte a établi de nombreux contacts pour motiver les pays afin de relever le plafond de leur ambition, de prendre de nouvelles mesures, à la fois en termes d’adaptation et d’atténuation, et de faire face au déficit de financement, en particulier les pays développés vis-à-vis des pays en développement. Les pays en développement ne peuvent pas affronter cette question seuls, sans le financement nécessaire, d’autant plus que la contribution des pays en développement et notamment des pays africains aux émissions de carbone est minime par rapport aux pays industrialisés et aux pays du G20 qui sont à l’origine de 85 % des émissions dans le monde. Cependant, convaincus de l’importance d’une action commune pour faire face aux risques du changement climatique, les pays en développement et surtout les pays africains ont commencé à prendre une série de mesures. Mais ceci implique l’obtention du financement nécessaire afin qu’ils puissent être à l’avantgarde pour attirer des investissements dans le domaine des énergies nouvelles et renouvelables et celui de l’introduction des technologies modernes qui conduisent à la réduction de leurs émissions. L’Egypte espère que la COP27 marquera la cristallisation des débuts pour parvenir à un cadre concernant la façon de traiter objectivement la question des pertes et des dommages.
— Vous avez évoqué à plusieurs reprises la question du financement, et l’Egypte avait réclamé que les pays donateurs versent 100 milliards de dollars. Qu’en est-il advenu ?
— Les 100 milliards de dollars, approuvés à Copenhague, étaient une démonstration de confiance et de sincérité des intentions entre pays en développement et pays développés. Mais malheureusement, jusqu’à présent, cet engagement n’a pas été respecté par les pays développés, mais nous espérons que les réunions de la COP27 réaliseront un progrès à ce sujet. Nous devons réaliser un équilibre entre le financement disponible pour l’atténuation et le financement disponible pour l’adaptation, et toutes ces questions ont été soulevées lors des réunions ministérielles informelles qui se sont tenues, que ce soit à Berlin, à Copenhague ou à Stockholm. La délégation égyptienne s’est engagée tout au long de l’année dans des consultations virtuelles avec toutes les parties. Nous espérons trouver une volonté politique de la part de tous les pays pour continuer à traiter cette question avec le sérieux qu’elle exige et nous craignons que les tensions géopolitiques ne se transmettent dans l’arène des négociations. La question climatique doit être traitée à travers la solidarité de la communauté internationale, loin de toute tension géopolitique.
— L’Egypte déploie d’énormes efforts afin de garantir la réussite de la conférence ; mais cela n’évite pas les campagnes d’allégations. Qu’en pensez-vous ?
— Au niveau organisationnel, nous travaillons avec assiduité voilà des mois. Le haut comité présidé par le premier ministre travaille nuit et jour. M. le président a tenu de nombreuses rencontres avec les ministères concernés pour avoir un suivi exact des opérations organisationnelles ou bien des thèmes qui figureront dans l’agenda, ou encore des efforts de l’Egypte dans la mitigation et l’adaptation climatique. Du point de vue organisationnel, il y a un travail sans relâche pour transformer Charm Al-Cheikh en une ville verte, attractive de la technologie des nouvelles énergies et énergies renouvelables, que ce soit dans les hôtels, les villages touristiques ou bien les moyens de transport. Nous visons également à rehausser l’efficacité de la ville et du centre de conférences qui est censé accueillir des nombres énormes de visiteurs : présidents, délégations, société civile ou secteur privé.
— Un autre dossier d’actualité soulevé par l’Egypte aux Nations-Unies est la sécurité alimentaire. Les propositions égyptiennes peuvent-elles être concrétisées ?
— La sécurité alimentaire était un thèmeclé à l’Onu. Nous avons beaucoup parlé de la nécessité d’assurer une ligne maritime pour l’acheminement sécurisé des céréales, que ce soit d’Ukraine ou de Russie. Il faut fixer également des critères sur la distribution et la réception des frets dans les pays qui sont fondamentalement importateurs d’aliments. Pour l’Egypte, le dossier de la sécurité alimentaire est extrêmement sensible, d’autant plus que le pays est l’un des plus grands importateurs de blé au monde. Raison pour laquelle il était primordial que l’Egypte initie des actions pour prévenir la crise.
— Au niveau politique, le dossier du barrage de la Renaissance est au top des actions égyptiennes depuis plusieurs années. De nouvelles mesures vont-elles être prises par l’Egypte ?
— En général, nous mettons l’accent dans nos rencontres avec tous les responsables internationaux sur le danger qui menace la sécurité hydrique égyptienne et la stabilité régionale. Nous assurons toujours que toute déstabilisation de la sécurité hydrique égyptienne engendrera inévitablement des séquelles sur le long terme. Cependant, l’Egypte a de tout temps été soucieuse et flexible vis-à-vis des besoins des frères éthiopiens. Nous insistons également sur la nécessité de travailler à travers un cadre juridique contraignant régularisant le remplissage et le fonctionnement du barrage. Nous n’avons toujours pas atteint un cadre contraignant et cela revient à l’absence de la volonté politique de la part du côté éthiopien. Ce que je veux affirmer, c’est que l’Egypte fait un suivi minutieux de n’importe quel comportement unilatéral de la part de l’Ethiopie et n’hésitera pas à protéger ses intérêts hydriques et ceux du peuple égyptien.
— La politique étrangère égyptienne repose sur le concept des cercles d’intérêt. Quelles sont vos priorités dans la période à venir ?
— Les cercles d’intérêt égyptiens sont inchangés. Ils commencent par le cercle arabe, le cercle africain, ensuite les partenaires internationaux, comme les Etats-Unis, l’Union européenne, la Russie et la Chine, les groupes économiques comme celui des BRICS, outre les relations Sud-Sud. Nous tenons à ce que le respect mutuel et les intérêts communs soient la base de nos relations avec tous ces partenaires et que celles-ci soient loin de la polarisation et des tentatives d’imposition d’une volonté. Nous tenons beaucoup aux piliers de la politique étrangère de l’Egypte qui reposent sur les relations équilibrées, à travers lesquelles nous pouvons porter des fruits et qui impactent les efforts de développement et d’amélioration du niveau de vie du citoyen égyptien.
— La question palestinienne reste la cause centrale des Arabes, pourtant, c’est la paralysie …
— La question palestinienne est effectivement centrale pour les Arabes. L’Egypte soutient depuis toujours ses frères palestiniens et déploie d’importants efforts pour que les Palestiniens obtiennent leurs droits légitimes et créent leur Etat indépendant. L’Egypte a soutenu pendant des décennies la solution pacifique à travers les négociations. Nous faisons notre mieux pour contenir les tensions entre les deux parties et éviter les mesures unilatérales ou provocatrices. Nous tenons au principe inaliénable des deux Etats, qui n’a toujours pas vu le jour. En réalité, la scène politique israélienne témoigne tout le temps de changements continus. Mais la question palestinienne ne doit en aucun cas être liée à ces changements. La communauté internationale et les Etats-Unis, qui ont toujours été les parrains du processus de paix, doivent intensifier leurs efforts pour concrétiser la solution des deux Etats, alors que sa concrétisation devient de plus en plus difficile à cause des mesures unilatérales entreprises par Israël, parmi lesquelles la colonisation et le changement de l’identité de Jérusalem- Est. Les dangers du statu quo actuel et l’état de frustration chez les Palestiniens peuvent aboutir à la déstabilisation de la région tant que la question n’est pas traitée avec sérieux.
— En Libye aussi, le statu quo représente un vrai danger. Quels efforts déploie Le Caire à ce sujet ?
— L’Egypte joue un rôle important dans ce dossier en rapprochant les points de vue entre les frères libyens. Des concertations sont actuellement en cours afin d’établir la base constitutionnelle qui servira de socle à la tenue d’élections libres. L’Egypte entend parvenir à un consensus entre toutes les parties libyennes. Ce peuple mérite, après plus de dix ans d’instabilité, de présence de forces étrangères sur son sol et de contrôle des milices, de vivre en paix et en sécurité et de réaliser ses espoirs. Nous espérons avoir atteint un point d’entente sur fond constitutionnel et ceci se fera par la nomination d’un nouvel émissaire onusien. Il faut que la vision soit plus claire et que le cadre constitutionnel soit relancé pour préparer le terrain à la tenue des élections.
— L’Algérie accueille le Sommet arabe en novembre prochain. Quels sont les principaux dossiers qui seront mis en avant par l’Egypte ?
— Le sommet, dans sa globalité, abordera un certain nombre de questions pour réaffirmer la stabilité et la solidarité arabes. L’Egypte mettra sur la table une initiative, au cours du sommet, dans le sens de la solidarité et la coopération arabes conjointes afin de protéger la sécurité nationale arabe et dépasser les crises actuelles, que ce soit au Yémen, en Syrie, en Iraq ou en Libye.
— Et quelles sont les principales actions de l’Egypte dans le dossier du terrorisme transfrontalier ?
— Nous avons une expérience glorieuse dans ce dossier. L’Egypte, qui a beaucoup souffert à ce niveau, a toujours eu une vision avant-gardiste dans la lutte contre le terrorisme. Il a été prouvé plus tard que cette vision était perspicace. Nous avons réussi à mettre un terme à une organisation qui ciblait la stabilité de la nation, non seulement sur le plan sécuritaire, mais aussi idéologique. Il est question d’une coopération avec nos frères arabes et africains pour booster leur capacité afin de mettre un terme au terrorisme en contrecarrant les sources de financement des organisations terroristes. Pour contrer ce fléau, l’Egypte a focalisé sur l’action internationale.
— Où en sont-elles les relations entre Le Caire et Khartoum ?
— La relation qui lie les deux peuples du Nil et leur destin commun fait que nous sommes très proches de la scène soudanaise. Nos relations avec toutes les parties soudanaises sont fraternelles et solidaires. Nous oeuvrons toujours à réaliser les intérêts communs et à encourager les Soudanais à parvenir à des solutions satisfaisantes pour tous. Des solutions qui donneraient un essor au Soudan pour traverser en toute sécurité la période transitoire et parvenir à la paix, que ce soit au Soudan ou au Sud-Soudan, loin de toute ingérence étrangère.
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