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Dr Ayman Al-Raqb : Il n’y a aucun espoir qu’apparaisse un partenaire israélien qui croit en la paix

Osman Fekri , Mercredi, 17 août 2022

Dr Ayman Al-Raqb, professeur de sciences politiques à l’Université de Jérusalem et dirigeant au Fatah, revient sur les objectifs de la récente offensive israélienne à Gaza. Il estime minimes les chances d’une paix définitive avec Israël.

Dr Ayman Al-Raqb

Al-Ahram Hebdo : A votre avis, quelles sont les raisons de la dernière offensive israélienne contre la bande de Gaza ?

Ayman Al-Raqb: Aucun événement en provenance de la bande de Gaza n’a précédé l’attaque israélienne le 5 août courant. Au contraire, les frontières étaient stables et calmes. Après l’arrestation provocatrice à Jénine par l’occupation israélienne de Bassam Al-Saadi, le chef du Djihad islamique en Cisjordanie, Israël s’attendait à une réaction du Djihad islamique à partir de la bande de Gaza. Il a commencé à l’assiéger, à fermer les points de passage, à empêcher l’entrée des matières pétrolières et des denrées alimentaires, en plus de l’interdiction du transfert de patients de la bande de Gaza vers des hôpitaux palestiniens en Cisjordanie. Après un siège qui a duré 4 jours, l’occupation a réussi à réaliser ses objectifs à travers l’assassinat de Tayssir Al-Gaabari, le responsable des brigades Saraya Al-Qods, l’aile armée du mouvement du Djihad islamique dans le nord de la bande de Gaza. Dans cette opération, une femme et une enfant de 5 ans ont été tuées. 12 enfants ont été tués en 3 jours, en plus de dizaines qui ont été blessés.

Au lendemain de l’assassinat de Tayssir Al-Gaabari, le premier ministre israélien, Yair Lapid, a annoncé qu’il n’avait pas l’intention de poursuivre l’opération militaire dans la bande de Gaza et qu’elle avait réalisé ses objectifs. Malgré la médiation égyptienne qui est intervenue dès les premiers instants de la l’agression, les forces d’occupation n’ont réagi qu’au 3e jour, après l’assassinat du commandant des brigades Saraya Al-Qods dans le sud, Khaled Mansour, avec une bombe pesant 1000 kg, causant la démolition totale d’une maison habitée par des femmes et des enfants. Yair Lapid, avec l’aide de son ministre de la Défense, Benny Gantz, a voulu prouver à ses citoyens qu’il était capable d’accomplir ce que ses prédécesseurs ont échoué à faire, en particulier Netanyahu, et qu’il a réussi à neutraliser la force militaire du Djihad islamique afin de gagner la confiance de l’électeur israélien.

— Comment évaluez-vous la position de la communauté internationale envers les récents événements à Gaza et envers la question palestinienne de façon générale ?

— Le vrai visage de la communauté internationale a été dévoilé avec la position prise en faveur de l’Ukraine dès le début de la guerre, alors qu’elle laisse les Palestiniens subir l’occupation israélienne depuis plus de 74 ans. C’est l’occupant qui a attaqué la bande de Gaza, et les Palestiniens ont le droit de se défendre par n’importe quelle arme qu’ils possèdent. Cette fois aussi et comme d’habitude, la position internationale a été faible et confuse. Et comme d’habitude aussi, la Maison Blanche a annoncé qu’Israël a le droit de se défendre, mais pas le peuple palestinien apparemment. En tant que peuple, nous ne possédons pas des F35 ni même des F16 fabriqués aux Etats-Unis, mais l’occupant, malgré les armes qu’il possède, a le droit de tuer le peuple palestinien sous prétexte de défendre ses citoyens. Et même quand le Conseil de sécurité s’est réuni après que l’Egypte eut réussi à instaurer le cessez-le-feu, il n’a rien décidé.

— Que pensez-vous de la médiation égyptienne ?

— L’Egypte attache une importance particulière à la question palestinienne et la considère comme l’une de ses causes nationales. Cela était clair dans les derniers événements après l’arrestation de Bassam Al-Saadi, un dirigeant du Djihad islamique de Jénine. Le Djihad islamique a demandé au Qatar de transmettre un message aux dirigeants israéliens: si Saadi n’est pas libéré, le Djihad islamique attaquera Tel-Aviv par des roquettes. L’occupation a rejeté cette menace et a déplacé ses forces et ses chars vers la frontière de la bande de Gaza le 2 août. Dès que Le Caire a appris la nouvelle, il a dépêché une délégation sécuritaire à Tel-Aviv puis dans la bande de Gaza. Celle-ci a informé les dirigeants du mouvement du Djihad islamique que l’occupation refusait ce compromis et qu’elle pouvait lancer une attaque sur la bande de Gaza. Le 5 août, l’occupation israélienne a commencé son attaque contre la bande de Gaza. La délégation sécuritaire égyptienne a alors travaillé avec toutes les parties pour mettre fin à l’agression. Quand l’occupation a refusé, la délégation est restée dans la région jusqu’à ce qu’elle soit parvenue, le troisième jour des agressions, à un accord de cessez-le-feu. Elle s’est également engagée auprès de l’Egypte à suivre avec l’occupation israélienne le dossier des prisonniers Akram Al-Awawda et Bassam Al-Saadi. La médiation égyptienne est venue sauver le sang du peuple palestinien et mettre fin aux crimes de l’occupation contre notre peuple.

— Pensez-vous que les Etats-Unis, principal parrain du processus de paix, aient lâché les Palestiniens ?

— Rien ne change dans la position américaine qui soutient l’occupation palestinienne, que le président américain soit républicain ou démocrate. C’est pour cela que nous, les Palestiniens, nous n’avons jamais parié sur les Etats-Unis. Joe Biden n’a rien apporté, il a même renoncé aux tentatives de tenir une conférence internationale de paix se basant sur la solution des deux Etats. Il s’est contenté d’annoncer timidement que c’était la meilleure solution pour tous, mais sans mettre en place un mécanisme permettant la réalisation de cet objectif. Lors de sa récente visite dans la région, il s’est rendu à Bethléem et a rencontré le président palestinien, Mahmoud Abbas, qui lui a expliqué les conditions difficiles dans lesquelles vit le peuple palestinien et la nécessité de faire avancer le dossier politique. La réponse de Biden a surpris tout le monde : « C’est une question que seul Jésus peut résoudre ».

— Une paix définitive est-elle donc une chimère ?

— En l’absence d’un partenaire israélien, les chances de paix sont nulles dans la région, même si tous les pays arabes normalisent leurs relations avec Israël. Tout cela n’a aucune valeur si les Palestiniens ne réalisent pas leur rêve d’établir leur Etat palestinien. Les Palestiniens sont le principal moteur de n’importe quel processus de paix. Ceci a été confirmé par plusieurs dirigeants arabes au sommet de Djeddah en présence du président américain, Joe Biden, et souligné à plusieurs reprises par le président égyptien, Abdel-Fattah Al-Sissi. A court terme, il n’y a aucun espoir qu’apparaisse un partenaire israélien qui croit en la paix avec les Palestiniens. Tous les candidats au poste de premier ministre ne croient pas en la paix avec les Palestiniens ni au droit du peuple palestinien d’établir un Etat. Ils ne croient qu’à la paix économique avec le peuple palestinien. Ce qui signifie reporter le conflit car il existe plus de 7 millions de Palestiniens sur les terres historiques de la Palestine. L’occupation ne pourra pas les expulser.

Avec le temps, deux solutions se présentent, soit le retrait des Territoires occupés en 1967 pour y établir un Etat palestinien, et dans ce cas, il y aura un heurt avec les colons qui augmentent chaque jour, dépassant un million dans les colonies établies sur les terres palestiniennes occupées en 1967, soit la création d’un seul Etat où vivent Palestiniens et juifs sur un pied d’égalité. Ce qui est contraire à la pensée juive et à l’idéologie de l’Etat juif, car il ne sera pas possible d’appliquer la politique de discrimination raciale au peuple palestinien dans cet Etat.

— Vous avez évoqué le concept de paix économique, pourtant, les conditions économiques dans les Territoires occupés sont déplorables …

— La situation n’est pas la même en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. C’est en Cisjordanie que siège l’Autorité palestinienne, la Cisjordanie est ouverte sur Israël et sur le monde. Par contre, la bande de Gaza, dont la superficie ne dépasse pas 360 km2, abrite environ 2,25 millions d’habitants avec un taux de chômage frôlant les 60%, alors que 65% de la population a moins de 16 ans. A la pauvreté s’ajoutent la pollution de l’eau, le manque de réseaux d’égouts et la pénurie d’électricité. La bande de Gaza a été victime de cinq guerres au cours des dix dernières années. Elles ont détruit les infrastructures, les usines et les maisons. Tout ce qui a été reconstruit ne résout pas la crise à la lumière de la croissance démographique galopante. Ni les usines ni les ateliers démolis n’ont été reconstruits. Ce qui a augmenté le taux de chômage. Les Palestiniens de Gaza ont respiré un peu d’air quand Israël a déclaré autoriser à 30000 Gazaouis de travailler dans les villes israéliennes. Mais jusqu’à présent, elle n’a accordé des permis qu’à 12000 seulement alors qu’en Cisjordanie, l’occupation accorde à 500000 Palestiniens des permis de travail et de tourisme dans les villes israéliennes.

— Les prochaines élections israéliennes sont-elles susceptibles d’apporter un quelconque changement ?

— Aucun candidat à ces élections ne propose une coexistence pacifique avec le peuple palestinien. La question palestinienne n’est même pas soulevée dans leurs programmes électoraux. Que Netanyahu arrive de nouveau à la tête du gouvernement ou bien ses opposants Gantz ou Lapid, aucun d’eux ne développera une vision pour une solution politique avec les Palestiniens. Au contraire, ils exploiteront l’extrémisme contre le peuple palestinien pour obtenir plus de sièges aux élections. L’objectif de la récente guerre contre Gaza et des attaques contre Naplouse et Jénine était d’ailleurs de gagner plus de voix au détriment du sang palestinien.

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