Al-Ahram Hebdo : Quel est l’objectif de votre visite en Egypte ? Et quels ont été les dossiers discutés au Caire ?
Bruno Le Maire : Il s’agit de ma troisième visite en Egypte en ma qualité de ministre de l’Economie et des Finances. Mon premier déplacement au Caire était en janvier 2019, durant la visite du président Emmanuel Macron en Egypte. Ma deuxième visite était en 2021, durant laquelle un certain nombre d’accords importants avaient été conclus. Au cours des 5 dernières années, les relations franco-égyptiennes ont connu un grand essor sous l’impulsion des deux présidents Abdel-Fattah Al-Sissi et Emmanuel Macron. La visite actuelle avait pour objet trois questions essentielles. La première se rapporte aux évolutions de la crise russo-ukrainienne et son impact sur l’Egypte. Nous voulons transmettre un message clair au président Sissi et à la population égyptienne, selon lequel la France est disposée à apporter un soutien total à l’Egypte pour l’aider à faire face à la conjoncture économique actuelle et au défi posé par les marchés mondiaux des produits de base. Le deuxième point est d’affirmer à l’Egypte que toutes les décisions prises récemment aux niveaux économique et financier sont sur la bonne voie à l’ombre des circonstances actuelles. Le troisième axe de la visite est de consolider la coopération avec l’Egypte dans un certain nombre de nouveaux domaines. Les plus importants sont la production de l’hydrogène vert et le passage au biocarburant en plus de la coopération dans les domaines de la santé et des chaînes d’approvisieonnement des produits alimentaires. En outre, nous voulons faire le suivi des accords conclus au cours de notre visite précédente en juin dernier, qui avaient permis de mettre en place une feuille de route pour certains projets. Nous voulons inciter également les Egyptiens à accélérer l’exécution des grands projets qui figurent sur la liste des financements français.
— Pensez-vous que le climat des affaires en Egypte soit attractif pour l’investissement en général et l’investissement français en particulier ?
— L’Egypte est un pays attractif pour l’investissement parce qu’il a de l’influence, possède des actifs et des ressources humaines énormes, soit plus de 100 millions d’individus. Le volume des investissements français en Egypte est de 5 milliards d’euros, représenté par 200 entreprises et institutions qui procurent 500 000 emplois. Nous tenons à augmenter ce chiffre, surtout que le gouvernement égyptien tient à supprimer toute entrave qui pourrait impacter directement les décisions des investisseurs. Il existe également des opportunités de coopération dans les grands projets nationaux, dans les secteurs du transport, des voitures électriques, de l’infrastructure, des télécommunications, des services numériques, de la gestion des déchets et du biocarburant.
— De nouveaux financements français sont-ils prévus ?
— Nous n’avons pas parlé d’un nouveau financement à l’Egypte au cours de notre visite actuelle. Mais nous sommes prêts à coopérer, surtout dans le domaine des chaînes d’approvisionnement des produits alimentaires, comme le blé, qui est d’un intérêt primordial pour le citoyen égyptien. La France veut augmenter sa production de blé. Elle produit 35 millions de tonnes par an et exporte 18 millions de tonnes. Nous coopérons avec l’Egypte depuis longtemps et avons une expérience en matière de financement. L’expérience la plus réussie est celle du métro souterrain. Récemment, les deux pays ont signé un accord visant à rénover 55 wagons de la ligne 1 du métro, avec des investissements de 777 millions d’euros. Ce financement est l’un des plus importants ayant été accordé à un Etat étranger depuis des années. Une preuve de la solidité des relations entre les deux pays.
— Comment voyez-vous les réformes économiques et financières adoptées par l’Egypte et les mesures visant à faire face aux répercussions de la guerre russo-ukrainienne ?
— Le président Sissi et le gouvernement égyptien ont mené avec succès le programme de réforme économique pour réduire le déficit budgétaire, restructurer la dette publique et renforcer la protection sociale. La crise entre la Russie et l’Ukraine a compliqué la situation économique en Egypte. Mais ceci s’applique de manière variable à tous les pays du monde. Il était donc nécessaire de prendre des mesures pour faire face à la complexité de la situation au niveau monétaire (ndlr : la hausse des taux d’intérêt et la flexibilité des taux de change). Ces décisions arrivent au bon moment avant que la situation ne se complique. Je sais qu’elles ont un impact sur la population, mais elles étaient nécessaires à ce moment précis.
— L’Egypte a soumis une demande au FMI pour obtenir un nouveau financement en raison de la crise actuelle. La France soutient-elle l’Egypte à cet égard ?
— Nous soutenons fermement l’Egypte dans sa demande au FMI. J’envisage éventuellement de contacter la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, pour renforcer la demande égyptienne. Nous appuyons d’ailleurs toute demande égyptienne du FMI qui, selon nous, est une étape importante à l’heure actuelle.
— L’Egypte travaille maintenant sur le transfert à l’économie verte et la production de l’énergie propre, y compris l’énergie nucléaire, alors qu’elle prépare l’organisation de la COP27 en novembre prochain. Comment nos deux pays peuvent-ils coopérer dans ce domaine ?
— La France possède une grande expérience dans le domaine de la production des énergies propres, nouvelles et renouvelables, ainsi que dans le domaine de l’énergie nucléaire et de ses utilisations pacifiques. Si l’Egypte a l’intention de se lancer dans ce domaine, nous nous en réjouirons, car l’énergie nucléaire est considérée comme une alternative efficace et propre. Pour ce qui est de la production de l’hydrogène vert, l’Egypte a un grand potentiel dans ce domaine et peut bénéficier de l’expérience des entreprises françaises qui ont une longue histoire dans la production de ce type d’énergie. Les deux pays peuvent également coopérer dans la réduction des émissions de carbone et la préservation de l’environnement. Nous sommes également prêts à soutenir l’Egypte dans l’accueil de la prochaine conférence sur le climat, grâce à l’expérience de la France dans ce dossier et à l’attention particulière qu’elle lui accorde.
— Pensez-vous que la crise ukrainienne ait remplacé celle du Covid-19 et que ses effets négatifs en soient plus grands ?
— La crise ukrainienne est très différente de la crise de Covid-19. Elles ne peuvent être comparées. Avant la crise sanitaire, le taux de croissance économique en Europe était élevé. En France, les réformes menées par le président Macron lui avaient permis d’enregistrer un taux de croissance économique qui était le meilleur de la zone euro. Pendant la crise, le confinement et les mesures préventives ont conduit à une baisse du taux de croissance de 1,5 % à (-8 %). Comme tous les pays d’Europe, nous avons mis en oeuvre toutes les mesures pour réduire au maximum l’impact économique de la crise, y compris le soutien des entreprises et du secteur privé et le soutien financier des PME. Notre première priorité était de préserver les emplois. Par conséquent, il y a eu une forte reprise économique en 2021. Puis est survenue la crise ukrainienne que nous pouvons qualifier de « choc énergétique ». Elle s’est limitée à la hausse des prix de l’énergie, et en particulier du gaz. Mais l’économie est toujours forte et en croissance. Je voudrais souligner que les fondements de l’économie européenne sont solides. Certes, il y a maintenant des défis à relever en ce qui concerne la hausse des taux d’inflation. Mais nous travaillons à ce sujet et je suis convaincu que nous sortirons de la crise en accélérant la croissance en investissant dans les nouvelles technologies et en obtenant une plus grande indépendance en ce qui concerne les chaînes d’approvisionnement.
— Pensez-vous que la crise ukrainienne puisse changer la forme du système économique mondial ?
— Je pense que la crise va effectivement changer le système économique mondial dans 3 domaines principaux. Le premier concerne les efforts actifs des pays pour devenir plus indépendants des chaînes d’approvisionnement énergétique, de façon à réduire le besoin d’importer de l’énergie. Raison pour laquelle la France comprend parfaitement le désir du président Sissi de renforcer la production de l’énergie en Egypte, pour réaliser une plus grande indépendance. Il s’agit d’un changement radical dans le système économique mondial. Quant au deuxième changement, il est lié à la nécessité de réduire les émissions de carbone. Le dernier changement qui, je pense, est extrêmement important, porte sur la nécessité d’assurer les sources de nourriture. J’ai longuement appelé, depuis que j’occupais le poste de ministre de l’Agriculture en 2008, à la sécurité alimentaire. D’aucuns considéraient que la nourriture ne constituait plus de problème grâce à l’échange des denrées. Mais je suis convaincu qu’il est indispensable et impératif pour les pays d’assurer leurs besoins alimentaires. Ceci est également une leçon importante de la crise ukrainienne qui changera certes le système économique mondial.
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