AL-Ahram Hebdo : Le Sénégal vient de prendre la présidence de l’Union Africaine (UA), et parmi les principaux dossiers sur la table, la lutte antiterroriste. Comment votre pays compte-t-il aborder ce dossier ?
Macky Sall : Il faut reconnaître qu’au sein de l’Afrique, il existe plusieurs foyers de terrorisme répandus dans plusieurs régions, en particulier le Sahel, théâtre d’une escalade grave. Cette crise émane, à l’origine, de la crise libyenne, engendrant nombreuses complications. Ce qui se passe dans la région du Sahel est accompagné par une autre crise déstabilisatrice causée par une série de coups d’Etat militaires dans trois pays Etats et qui ont eu lieu dans un laps de temps ne dépassant pas un an. Ceci complique encore plus la situation. Le défi d’assurer la stabilité dans ces pays et de parvenir au meilleur moyen de réaliser le développement devient plus grand, surtout que le problème du terrorisme dépasse la région du Sahel. Examinons ce qui se passe dans le bassin du lac de Tchad, où le groupe terrorisme Boko Haram est actif, menaçant la sécurité et la stabilité de plusieurs Etats, tels le Nigeria, le Tchad et le Cameroun. Parfois, ces groupes terroristes étendent leurs activités pour arriver jusqu’aux terres du Niger. A l’est, il y a la Somalie avec les menaces du groupe des Chebabs qui menace toute la Corne de l’Afrique. Plus au sud, il y a le Mozambique où pèse le danger de Daëch.
— Et quelle est votre stratégie face à toutes ces crises ?
— Je pense que le meilleur moyen de faire face à ces crises est de ne pas négliger les défis économiques, car il faut donner aux jeunes et aux peuples de l’Afrique l’espoir de vivre un avenir meilleur, basé sur la construction d’économies à la fois flexibles et solides, capables de créer des emplois. Les économies des Etats africains doivent être capables de réaliser une valeur ajoutée et, par conséquent, de posséder la capacité de réaliser la richesse au profit des Africains. Nous allons lutter jusqu’à ce que l’Afrique obtienne de la part de ses partenaires une part des Droits de Tirage Spéciaux (DTS) de 100 milliards de dollars, ce qui va aider à parvenir à un mécanisme permettant à l’Afrique d’avoir accès aux capitaux dans les meilleures circonstances (ndlr : les DTS sont un outil de financement essentiel développé par le Fonds monétaire international afin de soutenir la relance mondiale post-Covid). Certes, l’Afrique affronte de nombreux défis, mais nous allons lutter pour les dépasser.
— L’Egypte accueille cette année la COP27. Que représente cette conférence pour l’Afrique ?
— C’est un événement important qui constitue une occasion historique pour que l’Afrique parle et d’une seule voix, car il est inacceptable de continuer pour toujours à payer le prix de la pollution causée par autrui, ce qui a causé beaucoup de préjudice à notre continent. Tout le monde sait que l’Afrique n’est pas un continent industriel, nous n’avons donc pas causé le réchauffement climatique. L’Afrique ne produit pas plus de 4 % du total des émissions mondiales de CO2. Il n’est donc pas raisonnable de ne pas soutenir le continent africain dans la réalisation de son développement économique, en particulier en ce qui concerne l’accès des peuples africains à l’électricité. Aujourd’hui, plus de 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité. Il ne faut donc pas accuser l’Afrique de causer le réchauffement climatique.
— Ce dossier figure-t-il parmi les priorités du Sénégal durant sa présidence de l’UA ?
— Il est évident que nous adressons un intérêt particulier à de tels dossiers dans lesquels nous pouvons réaliser beaucoup de progrès. J’estime énormément le grand soutien accordé par Son Excellence le président de la République d’Egypte, en tant qu’ancien président de l’UA. Il assimile parfaitement le plan de route que nous devons suivre pour faire face à de telles crises, et il est également conscient du volume des défis que tous les Africains affrontent. La collaboration et le soutien de l’Egypte et de son président seront essentiels durant ma présidence de l’UA.
— Les évolutions du dossier de la crise du barrage de la Renaissance ont été à la tête de vos discussions avec le président Abdel- Fattah Al-Sissi, comment le Sénégal voit-il ce dossier ?
— J’ai discuté avec Son Excellence le président Abdel-Fattah Al-Sissi de la question du barrage de la Renaissance, le Sénégal a une expérience dans ce domaine, en particulier avec les Etats limitrophes au fleuve du Sénégal. Nous avons deux organisations régionales qui oeuvrent dans ce cadre. La première est chargée de l’investissement et de la gestion du fleuve du Sénégal et l’autre de l’investissement et de la gestion du fleuve de Gambie. Quatre décennies se sont écoulées depuis la fondation de l’Organisation de l’investissement du fleuve du Sénégal, qui comprend la Mauritanie, le Mali, le Sénégal et la Guinée. Ces quatre Etats se partagent l’eau du fleuve à travers les organismes de l’organisation qui garantissent une coopération et un fonctionnement exemplaire à travers des comités durables et spécialisés qui fixent les règles de l’utilisation de l’eau. Nous sommes donc prêts à partager nos expériences avec nos amis égyptiens et aussi nos amis au Soudan et en Ethiopie.
— Mais la crise du barrage préoccupe les trois pays ainsi que la communauté internationale. Comment est-il possible de parvenir à une solution globale ?
— Nous pensons qu’il n’est possible de parvenir à une solution que par le dialogue. L’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie doivent poursuivre le dialogue afin de parvenir à un accord de partage, qui soit transparent et équitable pour tout le monde. Nous tiendrons, le 22 mars et pendant une semaine, le Forum mondial de l’eau, qui sera l’occasion idéale de partager les diverses expériences mondiales de gestion de l’eau. J’ai d’ailleurs demandé au président Abdel- Fattah Al-Sissi d’envoyer une délégation pour participer à la conférence.
— Les relations égypto-sénégalaises sont de haut niveau, quels sont les mécanismes les plus importants pour les renforcer à l’avenir ?
— Nous sommes vraiment fiers de nos excellentes relations politiques et diplomatiques avec l’Egypte. Mais nous avons grand besoin de renforcer nos relations commerciales qui sont malheureusement très faibles. Nous avons suggéré que le comité bilatéral égypto-sénégalais se réunisse prochainement alors qu’il n’a pas eu l’occasion de se réunir depuis près de 20 ans. Il n’a publié aucun protocole de coopération, ni aucun accord capable de frayer la voie aux acteurs économiques des deux pays. Lors de notre visite en Egypte, nous avons signé quelques accords et nous avons convenu que le comité bilatéral se réunisse. Nous avons également invité le secteur privé des deux pays à converger ; l’Egypte a la capacité d’accorder plus d’attention au marché sénégalais, voire à tout le marché africain d’autant plus que nous ne devons pas oublier que nous avons la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAf) qui présente d’énormes opportunités économiques. Au Sénégal, nous avons de nombreux produits que nous pouvons présenter au marché égyptien. Mais, nous ne devons pas perdre de vue la coopération dans le domaine de l’investissement, qui est un domaine prometteur de coopération fructueuse pour les deux pays. Le Sénégal travaille actuellement sur un programme d’investissement pour construire 100 000 unités de logement, et l’Egypte possède une multitude d’entreprises de construction ayant une grande expérience dans ce domaine. Donc, à travers ce genre de canaux, nous pouvons renforcer la coopération entre les deux pays dans le domaine de l’investissement.
— Comment voyez-vous le niveau des relations entre le monde arabe et l’Afrique. Quel est votre plan pour les soutenir ?
— L’Afrique et le monde arabe partagent beaucoup de valeurs communes. Nous partageons la même géographie, vu qu’une grande partie du monde arabe se situe en Afrique. Ce qui signifie que de nombreux pays arabes sont également africains et représentent un pont de communication entre le monde arabe et l’Afrique. Au cours de mon entretien avec Son Excellence le président Abdel-Fattah Al-Sissi, nous avons discuté de la nécessité de renforcer les relations entre le monde arabe et l’Afrique, en particulier dans les domaines des affaires et de l’investissement. L’Afrique représente aujourd’hui la destination préférée. Elle représente un point où tout le monde se rencontre. Elle attire les investisseurs ainsi que tous ceux qui recherchent des opportunités prometteuses. Tout le monde veut investir en Afrique parce qu’elle est un grand et important marché. Nous représentons une génération africaine qui ne cherche pas des aides et des dons. Nous sommes une génération qui possède une mentalité et un raisonnement différents. Ce que nous voulons, ce sont des partenariats basés sur le profit conjoint. Nous voulons un partenariat gagnant-gagnant où les bénéfices sont partagés entre tous les partenaires.
— Quelles sont les plus importantes opportunités qui se présentent aux investisseurs arabes en Afrique ?
— Les opportunités sont immenses en Afrique. Par exemple, il existe de nombreuses opportunités d’investissement dans les infrastructures, les services, l’agriculture, l’énergie et la médecine qui sont des secteurs vitaux et importants. Alors que l’Afrique présente de nombreuses opportunités, le monde arabe possède des capitaux. Les opportunités et les capitaux doivent converger à travers des investissements garantis. La stabilité est une condition sine qua none à tout investissement privé. Raison pour laquelle nous oeuvrons à réaliser la stabilité en Afrique. Il existe en Afrique de nombreux pays stables et même dans les pays dits instables, les investissements privés ne sont pas ciblés et ne sont donc pas affectés par l’instabilité, car l’instabilité est souvent intangible sur le terrain..
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