Al-Ahram Hebdo : Les incidents ciblant les coptes et leurs lieux de culte sont survenus après l’évacuation des sit-in pro-Morsi. Marquent-ils un tournant ?
Isaac Ibrahim : C’est incroyable. Des coptes, leurs édifices religieux, leurs écoles, leurs maisons, leurs magasins ont été visés par des actes barbares. Depuis le 14 août, les attaques se multiplient d’une façon flagrante dans les villes à importante
agglomération chrétienne comme Le Caire, Alexandrie et Minya. En deux jours seulement, nous avons recensé l’incendie d’une trentaine d’églises, l’attaque contre deux écoles coptes, le pillage d’une centaine de maisons et de magasins, une dizaine de morts et des centaines de blessés. Les victimes et les dégâts sont innombrables.
Nous n’arrivons pas à avoir des chiffres précis à cause de cette multiplication d’incidents. Il est désormais clair que la violence frappe davantage les coptes.
— Mais ces représailles ne sont-elles pas liées à une situation politique déjà très instable et violente ?
— La situation s’est aggravée depuis le 30 juin certes. Le climat de violence s’est accentué, et les raisons des crimes confessionnels sont différentes. Aujourd’hui, pour des raisons politiques, les islamistes visent directement et clairement les coptes en les accusant d’avoir comploté avec l’armée pour destituer l’ex-président Morsi, oubliant que des dizaines de millions d’Egyptiens sont descendus dans les rues le 30 juin, y compris des musulmans conservateurs, pour rejeter l’agenda politique des Frères musulmans.
— Mais sous Moubarak, les problèmes des coptes n’étaient-ils pas les mêmes ?
— Sous Moubarak, la plupart des affaires ont éclaté à la suite d’une querelle verbale ou des rumeurs. Une autre partie des incidents était liée à une conversion du christianisme à l’islamisme ou vice-versa. Quelles que soient les raisons, la tension règne entre les deux communautés musulmane et copte. Certains parlent d’un crime social normal, mais d’après nos études, cette tension émane du discours religieux fanatique lancé souvent par des islamistes et des intégristes contre les coptes, les qualifiant d’apostats et les assimilant à une minorité. Ce genre de discours s’est accentué sous le pouvoir des Frères musulmans qui accusaient régulièrement les coptes de ne pas avoir voté pour Morsi. Et pour la première fois, sous Morsi, la Cathédrale de Abbassiya, au Caire, a été attaquée.
Selon les estimations, au moins 200 000 chrétiens ont quitté l’Egypte depuis la chute de Moubarak, pour des raisons économiques ou pour échapper aux violences.
— Un apaisement est-il envisageable ? Nous avons déjà vu certains habitants se mobiliser pour protéger les églises en province ...
— Malheureusement, ces incidents vont prendre plus d’ampleur surtout si la police et l’armée ne maîtrisent pas la situation. Dans notre dernier rapport, nous avons prévenu contre toute défaillance sur ce dossier épineux. Les autorités devraient se mobiliser et augmenter d’urgence la protection des églises par les forces de sécurité. Il faut appliquer la loi avec fermeté, pour éviter la répression des coptes. Bien sûr, plusieurs autres revendications sont sur la liste depuis longtemps, y compris la promulgation d’une loi organisant la construction des lieux de culte, notamment les églises, la suppression de la mention « religion » sur la carte d’identité, la fermeture des chaînes satellites religieuses extrémistes. Il faudra aussi renoncer aux traditionnelles rencontres de réconciliation tenues à la suite de chaque incident confessionnel et traduire en justice plutôt les auteurs de ces actes.
— Cela fait des années que des recommandations sont lancées sans un véritable changement ...
— C’est le problème ! Les ONG mènent des enquêtes et publient des rapports pour dévoiler les violations commises. Mais cela ne sort pas toujours du cadre des recommandations. Nous ne sommes pas des institutions de prise de décision.
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