Al-Ahram Hebdo : Selon vous, quelles sont les politiques que les gouvernements doivent mettre en place pour atténuer l’impact du coronavirus, notamment dans des pays comme l’Egypte ?
Paolo Mauro: La politique fiscale est la clé pour sauver des vies et protéger la population contre les dommages de la pandémie du Covid-19.
Les gouvernements doivent financer autant que nécessaire les ressources sanitaires et médicales. Les décideurs politiques doivent offrir des bouées de sauvetage d’urgence au moyen de mesures fiscales opportunes, temporaires et ciblées pour protéger les citoyens contre les pertes d’emplois et de revenus, et mettre les entreprises viables à l’abri de la faillite.
Un allégement fiscal est particulièrement nécessaire pour les particuliers et les entreprises les plus vulnérables, surtout dans les secteurs les plus touchés. Les autorités des pays en développement peuvent recourir à des mesures comme l’augmentation des allocations chômage, les transferts en espèces pour les ménages à faibles revenus ou les travailleurs irréguliers et les allégements fiscaux pour les petites entreprises. Le défi est souvent plus grand dans les marchés émergents et les économies en développement qui ont plus de difficulté à accéder au financement et, dans certains cas, font face à de fortes baisses de revenus. Grâce à une bonne coordination mondiale, on peut mettre au point un vaccin et des médicaments universellement bon marché et soutenir les pays en développement — en particulier ceux dont les capacités sanitaires sont limitées — par le biais de l’aide et d’un financement d’urgence concessionnel.
— Qu’est-ce qui est plus efficace en tant que politique économique, les subventions et les allégements fiscaux pour les entreprises afin de préserver l’emploi, ou les transferts monétaires directs aux ménages ?
— A l’heure actuelle, l’objectif est de sauver des vies et non pas de stimuler la demande. Comme dans d’autres économies en développement dotées de programmes de sécurité sociale moins développés, l’efficacité du soutien budgétaire peut être améliorée en liant les transferts supplémentaires aux programmes existants. Par exemple, des transferts supplémentaires par le biais des programmes de prestations Takafol we Karama en Egypte semblent appropriés pour protéger les moyens de subsistance des populations.
Du côté des revenus, les reports des impôts et des cotisations sociales sont des outils courants dans les pays, pour aider à maintenir la trésorerie des personnes et des entreprises dans les moments difficiles. Les avantages fiscaux basés sur les bénéfices, tels que les exonérations fiscales, doivent être évités car ils récompensent de manière disproportionnée les entreprises.
— Et le secteur informel et les entreprises ?
— Dans les pays qui possèdent de vastes secteurs informels, le soutien aux individus par le biais du système de protection sociale doit jouer un rôle de premier plan. S’il existe déjà un système de transfert en espèces, une option consiste à augmenter les montants transférés et à assouplir les critères d’éligibilité. S’il n’existe aucun système de transfert monétaire, une alternative consiste à subventionner les factures de services publics (ou d’autres dépenses de base). Dans certains cas, la fintech peut également aider. Les paiements mobiles sont bien développés, le gouvernement peut utiliser cette infrastructure pour les transferts monétaires.
Pour les entreprises, l’objectif est d’éviter des séquelles permanentes. Les politiques budgétaires peuvent contribuer à préserver l’emploi et les salaires tout en maintenant des capacités qui seront cruciales pour la reprise. Il faut éviter les faillites inutiles qui entraînent des pertes d’emplois et la liquidation des actifs. L’aide aux entreprises peut aider à préserver des emplois.
Il est important que tous ces outils politiques intègrent dès le départ des mécanismes clairs afin qu’ils facilitent et n’entravent pas une reprise éventuelle.
— Comment les Banques Centrales peuvent-elles équilibrer les efforts budgétaires et empêcher les intérêts sur la dette publique de monter en flèche ?
— Dans les marchés émergents et les pays en développement, il est particulièrement important de garantir que l’inflation soit sous contrôle, non seulement parce que la hausse des prix réduit le pouvoir d’achat, mais aussi parce qu’une inflation plus élevée exerce une pression sur les taux de change. L’augmentation de la dette publique devrait être ponctuelle en raison de la nature temporaire du choc pandémique. Néanmoins, le coût élevé de ces mesures fiscales doit être intégré dans le cadre budgétaire à moyen terme, et des mesures telles que les garanties publiques doivent être gérées et enregistrées de manière transparente.
Les autorités monétaires devront procéder à un acte d’équilibrage dans ce contexte. La réduction des taux d’intérêt soutiendrait l’économie et l’effort budgétaire, mais cela aurait des répercussions sur le taux de change, avec des effets sur le fardeau de la dette en devises. Vendre des devises pour maintenir en ordre les conditions du marché peut parfois aider à trouver un compromis, mais les Banques Centrales devront faire preuve de prudence pour préserver les rares réserves de change.
— Que devraient faire les pays en développement, l’Egypte en particulier, pour permettre à leurs économies de se rétablir dans la période post-pandémique ?
— Les mesures que les gouvernements prennent maintenant détermineront la vitesse et la force de leur rétablissement au cours de la période post-pandémique. Les politiques, qui soutiennent les ménages et les entreprises afin de préserver le réseau complexe des relations au sein de l’économie (par exemple, entre les entreprises et les travailleurs, les entreprises et les banques), et protéger les revenus des familles pendant la pandémie, faciliteront la reprise ultérieure à mesure que la pandémie recule. Pendant cette situation d’urgence, les décideurs doivent faire tout ce qu’il faut, et ils doivent également protéger les sources de revenus. Cela signifie que les dépenses de santé et les services d’urgence doivent être entièrement pris en charge et fournir des bouées de sauvetage aux ménages et aux entreprises durement touchés.
En Egypte, le gouvernement a annoncé un paquet budgétaire s’élevant à 2 % du PIB. Cela comprend des allocations supplémentaires au secteur de la santé, une augmentation des transferts en espèces pour les ménages vulnérables et un soutien ciblé aux travailleurs et aux entreprises dans les secteurs les plus durement touchés, comme le tourisme. Les autorités ont également prolongé les délais de paiement de l’impôt sur le revenu et annoncé une exonération temporaire de la taxe foncière. Ce sont des pas dans la bonne direction.
Cela signifie également prendre toutes ces mesures de manière temporaire, transparente et efficace pour minimiser les risques budgétaires.
S’agissant plus généralement des économies en développement, la détérioration temporaire des déficits publics devrait, dans la mesure du possible, être financée par des sources concessionnelles. A cet égard, le soutien international sera essentiel pour mobiliser les financements sanitaires et budgétaires indispensables.
Une fois la crise sanitaire passée, les économies en développement devront remettre leur situation budgétaire sur une trajectoire durable. La composition de l’assainissement budgétaire devrait reposer principalement sur l’amélioration de la capacité fiscale et de l’efficacité des dépenses courantes afin de minimiser les effets sur la croissance, tout en préservant et en élargissant les investissements indispensables dans les personnes et les infrastructures pour atteindre les objectifs de développement durable .
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