AL-AHRAM HEBDO : Pourquoi, selon vous, la nomination de Hassan Diab au poste de premier ministre est-elle contestée dans le camps sunnite ?
Ayman Omar: Le Nord du Liban est le bastion du courant du Futur et des sunnites. Raison pour laquelle la réaction à la nomination de Diab y est la plus violente. A Tripoli, la rue est divisée. Il y a d’un côté, le mouvement révolutionnaire qui proteste contre les conditions de vie. Il n’est pas politisé et représente la majorité. De l’autre, il y a les fidèles du courant du Futur qui considère la nomination de Diab comme une provocation et une atteinte au pacte constitutionnel. En fait, le pacte constitutionnel est une innovation politique à la libanaise qui vise à garantir l’équilibre entre les différentes communautés de la société. La situation actuelle n’est pas une première. En 2011, le président Mikati avait obtenu les voix de 8 représentants sunnites seulement. Ce qui a fait que le courant du Futur a refusé de lui apporter son soutien.
— Comment expliquez-vous le soutien apporté par le Hezbollah à Hassan Diab ?
— Ce qui se passe au Liban aujourd’hui ne peut être dissocié des événements dans la région. Le Hezbollah est passé au stade de la confrontation avec les Etats-Unis, notamment après le durcissement des sanctions économiques contre lui. Le Hezbollah et ses alliés envoient ainsi un message aux Etats-Unis à la veille de la visite de l’émissaire américain, David Hill, au Liban. Je pense que le Hezbollah a choisi ce technocrate pour former un gouvernement de salut national qui lui soit loyal.
— Comment interprétez-vous le retrait de Hariri de la course à la dernière minute ?
— Je pense que le fait que Hariri n’avait pas été nommé le 15 décembre est l’une des raisons qui l’ont incité à se retirer au dernier moment. Que le courant du Futur ne nomme personne d’autre est un message destiné au Hezbollah. Il semble que nous assisterons à l’éclipse du phénomène Hariri.
— Comment les événements dans la rue se sont reflétés sur la situation financière et économique au Liban ?
— Il serait injuste de faire porter au mouvement de la rue la responsabilité de la dégradation de la situation financière, monétaire et économique du pays. Au contraire, ce soulèvement populaire a éclaté à cause de la dégradation de la situation à tous les niveaux. Il est vrai que ces protestations ont fortement influencé le secteur du tourisme et les importations, entraînant ainsi une pénurie majeure des produits de base. Mais le secteur bancaire est le premier touché par les événements et par la crise politique. Bien que le secteur bancaire représente un modèle pour ses hautes compétences et ses services de qualité, rétablir la confiance en ce secteur ne sera pas chose facile, du moins sur le court terme.
— La crise économique et financière au Liban est-elle due à la nature du système politique ou aux politiques financières ?
— En fait, ces crises qui sont à l’origine du soulèvement populaire sont le résultat d’une accumulation de plusieurs facteurs issus de la nature du système politique confessionnel formé après la guerre civile. D’ailleurs, le modèle économique est basé sur les transferts de fonds de l’étranger, le monopole, les importations, la domination des banques et des capitaux sur la politique et la négligence des politiques économiques productives. Tout cela a créé des distorsions structurelles dans l’économie et les finances publiques conduisant l’économie libanaise au bord de l’effondrement.
— Quelle est donc la feuille de route pour sortir de cette crise qui ne cesse de s’aggraver ?
— La solution à la crise est politique. Des mesures financières et économiques seront par la suite nécessaires. Le point de départ est la formation d’un gouvernement « de salut » composé de nouveaux visages compétents, technocrates, d’esprit clair et aux mains propres, même si ces personnes font partie de forces politiques existantes qui ne peuvent pas être facilement négligées. Ces personnes devront rétablir la confiance, restaurer l’ordre public et maintenir la stabilité de la lire libanaise et des finances publiques. Puis viendront des élections législatives anticipées via une loi électorale équitable qui donneront lieu à une nouvelle autorité qui représente le peuple.
Sur le plan financier et économique, il faut adopter des solutions à long et à court terme. Le Haircut doit être appliqué à tous ceux qui ont sucé le sang du peuple libanais pendant des décennies afin de récupérer une partie de l’argent volé. A long terme, la solution est la transition vers une économie productive, la protection des finances publiques et la lire libanaise. Mais toutes ces solutions resteront lettre morte s’il n’y a pas de compromis entre les principaux acteurs de la scène libanaise. Pour conclure, il semblerait que nous nous dirigions vers la « troisième république », la chute de l’accord de Taëf et le fameux principe de « ni gagnant, ni perdant ». Aujourd’hui, il est clair que la République libanaise, sous sa forme actuelle, ne peut plus survivre. On verra demain si les mouvements et les protestations peuvent imposer leurs conditions et proposer un modèle différent .
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