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Hanan Morsy : Il faut accroître la capacité du secteur privé à créer de l’emploi

Marwa Hussein, Mardi, 17 décembre 2019

Dans un entretien accordé à Al-Ahram, Hanan Morsy, directrice du département des politiques macroéconomiques, des prévisions et de la recherche auprès de la Banque africaine de développement, évoque le problème de la croissance économique en Afrique et le rôle de la banque pour y remédier.

Hanan Morsy

Al-Ahram He­bdo : En 2016, la Banque Africaine de Développement (BAD) a lancé une initiative ambitieuse visant à créer 25 millions d'emplois sur le continent africain d’ici 2025. Quelle en est la philosophie ? Et s'agit-il d'emplois créés par la BAD directement ?

Hanan Morsy : Nous cher­chons à créer ces emplois à tra­vers l'intervention de la BAD que ce soit en investissant ou en apportant une assistance technique à différents pro­jets, à des universités et à des centres de recherches. La BAD mène une évaluation annuelle pour suivre ce qui a été réalisé. En 2018, à titre d'exemple, la banque a soutenu 113 projets qui ont créé 1,5 million d’emplois sur le continent. Les investissements ont été réalisés dans divers domaines comme l'éner­gie, les infrastructures, l'agriculture entre autres. La banque mène une évaluation de tous ces projets en gé­néral pour mesurer leur impact sur le développement et pas seulement leur profitabilité. Notre priorité porte sur les projets impactant la création d'emplois, le renforcement de la coopération régionale, la création de nouveaux marchés, l'amélioration des infrastructures ou l'autonomisa­tion des femmes notamment.

— Plusieurs pays africains ont récemment connu un boom éco­nomique et une hausse des taux de croissance. Comment cette croissance peut-elle devenir in­clusive, améliorant le niveau de vie des citoyens et créant des em­plois et pas seulement en faisant grimper les indicateurs macroé­conomiques ?

— Le problème du continent c’est que ce qui est bien en général n'est pas suffisant pour l'Afrique. C'est-à-dire que, si dans une autre région du monde un pays réalisait une crois­sance de 4 % ou plus, ça serait ex­cellent mais en Afrique, les besoins sont plus grands étant donné les taux élevés de croissance démographique et les défis plus importants, surtout en ce qui concerne la création d'em­plois pour les jeunes. Chaque année, 830 millions de jeunes entrent sur le marché du travail, un chiffre qui doublera en 2050. Car un tiers de la population africaine a entre 15 et 35 ans. L'Afrique est un continent jeune, et le sera encore plus avec le temps. C'est un défi énorme de créer des em­plois qui soient décents. Nous avons besoin de transformations structu­relles pour que les pays africains opèrent une mutation des secteurs à basse productivité, comme ceux de la construction ou de l'agriculture, vers d'autres à productivité élevée comme le secteur manufacturier et les ser­vices. C'est ainsi que nous pourrons améliorer le niveau de vie et élever les salaires. Il faut aussi accroître le rôle du secteur privé. Actuellement, le niveau d'emplois dans le secteur public est trop élevé. Celui-ci de­meure le principal employeur, et ce n'est pas durable avec la croissance démographique. Il faut accroître la capacité du secteur privé à créer de l’emploi et créer l'environnement nécessaire pour que celui-ci puisse accomplir ce rôle, en facilitant l'ac­cès au financement, et en éliminant les obstacles pour développer des af­faires. Car le continent perd chaque année 2,3 millions d’opportunités d'emplois, à cause des difficultés qu'affrontent les entreprises, comme la corruption, l'inefficacité du sys­tème judiciaire dans la résolution des conflits commerciaux, et le manque d'infrastructures. Ce qui est positif en Afrique c’est que l'entreprenariat est parmi les plus élevés dans le monde. Mais les petites entreprises n'arrivent pas à croître. Il faut les aider à devenir des moyennes et grandes entreprises.

— Quelles sont les raisons de ce problème ne permettant pas aux petites entreprises de croître ?

— Les obstacles dont nous venons de parler affectent la capacité des petites entreprises à perdurer et à croître. Ainsi, il faut travailler à abaisser « l'analphabétisme financier » des petites entreprises. Ces der­nières n’ont pas besoin seule­ment de soutien financier mais aussi de support technique. Parfois même, le soutien tech­nique est plus important que l’aspect financier

— Y a-t-il un manque de financement en Afrique ?

— Bien sûr, d'où l’impor­tance du rôle d'institutions comme la BAD qui soutien­nent les secteurs en manque de financement de la part des banques commerciales. Notre rôle au niveau de développement est de fournir un financement à plus longue échéance pour donner l'opportunité à ces pro­jets de devenir profitables.

Il faut accroître la capacité du secteur privé à créer de l’emploi
Les lacunes du financement de l'infrastructure en Afrique sont estimées entre 130 et 170 milliards de dollars. (Photo : AFP)

— L'un des problèmes majeurs de l'Afrique est le sous-dévelop­pement des infrastructures et du transport. Qu'est-ce que la Banque africaine de développement fait à cet égard ?

— Ce sont les domaines priori­taires de la banque. L'un de nos rap­ports l'année passée a fait le point sur le financement des infrastructures. Nous avons évalué les lacunes dans ce domaine sur le continent et estimé entre 130 et 170 milliards de dollars d’investissements nécessaires. Il s'agit d'un chiffre trop élevé néces­sitant des solutions variées, soit de la part d'institutions de financement comme la BAD et les institutions internationales, soit de la part du sec­teur privé. Il y a plusieurs exemples de projets de routes construites en partenariat entre le secteur public et privé, où les citoyens payent pour circuler sur ces routes. Elles raccour­cissent les distances de façon impor­tante et sont aussi économiquement profitables.

— L'accord de libre-échange africain qui vient d'être approuvé pourra bénéficier à certains pays plus développés que d'autres, qu'en pensez-vous ?

— Je crois que cet accord béné­ficiera à tous les pays du continent, mais pas forcément au même point. Il y a des pays qui vont en tirer da­vantage profit, mais tout le monde en profitera grâce à l'unification et à l’harmonisation des standards. Il existe actuellement plusieurs accords de libre-échange en Afrique, mais différents selon les pays.

Un seul accord regroupant tous les Etats africains faciliterait la tâche. Par exemple, prenons un agriculteur qui cherche à exporter ses produits. Il serait pour lui diffi­cile de se conformer aux standards spécifiques réclamés par chaque pays. Mais si les mêmes règles s’appliquent à tous, il pourra alors vendre à tous les pays du continent. Il était jusqu’alors plus facile d'ex­porter vers l'Union européenne que vers des pays africains. L'accord offre un grand potentiel d'intégra­tion entre les pays africains, mais il faut s'assurer qu'il y a une complé­mentarité au niveau des infrastruc­tures et une bonne connexion entre les pays africains. Car s'il faut pas­ser par l'Europe pour exporter vers un autre pays africain ça devient absurde. Actuellement, l'échange commercial intercontinental est in­férieur à l'échange entre l'Afrique et la France par exemple. Si l'accord fonctionne bien, nous prévoyons une hausse de 4,5 % du Produit In­térieur Brut (PIB) africain.

— La Banque africaine de déve­loppement a organisé en décembre la Conférence économique afri­caine. Quel est l'apport de cette conférence annuelle aux solutions des problèmes du continent afri­cain ?

— La majorité des conférences économiques sont plutôt acadé­miques, concernant davantage les chercheurs et les professeurs d'uni­versité. Nous essayons de créer des connexions entre les chercheurs et les preneurs de décisions pour com­bler ce fossé entre les deux mondes. Nous avons donc réuni les preneurs de décisions, des académiciens, des jeunes et des entrepreneurs pour que les différents partis expliquent les dé­fis auxquels ils sont confrontés afin de trouver ensemble des solutions pratiques. Ainsi, les académiciens et les chercheurs peuvent avoir une idée plus concrète des problèmes qu'af­frontent les preneurs de décisions. Nous cherchons aussi à développer les échanges d’expériences entre les pays africains, pour que chacun ap­prenne des expériences des uns et des autres, que ce soit des réussites ou des échecs. Or, actuellement les pays africains n'échangent pas suffisam­ment leurs expériences. Cette confé­rence a permis un dialogue interafri­cain. Elle a été organisée par la BAD en coopération avec la Commission économique des Nations-Unies pour l’Afrique et le Programme des Na­tions-Unies pour le développement. Nous avons choisi cette année d'or­ganiser la conférence en Egypte, vu que le pays est à la tête de l'Union africaine cette année. En plus, le thème était l'emploi des jeunes et la création d'emplois, qui est la priorité de l'Union africaine et de l'Egypte.

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