Al-Ahram Hebdo : Les coptes se sont toujours plaints d’être traités comme des citoyens de seconde zone, un sentiment qui prévalait avant, et qui existe toujours depuis le 25 janvier 2011. Aujourd’hui, après cette nouvelle « vague révolutionnaire », y aurait-il un espoir que leur condition s’améliore ?
Michael Mounir : Je ne veux pas être trop optimiste, même s’il y a des indices qui invitent à l’être. Les coptes ont participé aux manifestations du 30 juin, non en tant que chrétiens qui ne voulaient pas d’un régime islamiste, mais parce qu’ils ont réalisé, tout comme la majorité de leurs concitoyens musulmans, que le régime des Frères musulmans a amené le pays au bord du gouffre. On souhaite que ce constat débouche sur une séparation de la religion et de l’Etat et une interdiction des partis politiques se revendiquant de la religion.
— Cela ne semble pas être encore le cas, du moins dans la déclaration constitutionnelle émise par le président intérimaire il y a une semaine …
— Nous n’accordons pas beaucoup d’importance à cette déclaration, du fait que le pays traverse une phase transitoire chargée de dangers et de défis. Le président de la République a dit qu’il se posait en président de tous les Egyptiens, pas seulement de ceux qui sont hostiles aux Frères. On a l’impression que c’est un homme qui veut ramener le calme dans le pays. Mais au bout du compte, c’est la nouvelle Constitution qui devra introduire les changements qu’il faut.
— Pensez-vous que l’Egypte soit trop occupée aujourd’hui pour prêter attention aux doléances des coptes ?
— Il ne s’agit pas de minimiser l’importance des revendications coptes, c’est un dossier très ancien, très important et qui concerne toute une communauté, mais il serait aussi naïf qu’irréaliste de s’attendre qu’un gouvernement de transition confronté à toutes sortes de défis, à commencer par la pénurie de farine et d’énergie jusqu’à la chute des réserves de change, donne priorité à autre chose.

Des fidèles coptes pleurent leurs victimes tuées à Louqsor dans la foulée de violence ayant suivi la destitution de Morsi.
— Certaines demandes peuvent certainement attendre. Mais les coptes font aujourd’hui l’objet d’une campagne de violence dans presque tout le pays ...
— Les Frères musulmans, qui se sentent au bord de l’isolement politique et populaire, essayent par tous les moyens de créer un maximum de troubles. Dans cette tentative désespérée, ils peuvent recruter dans la rue pour attaquer une église par ici et tuer un prêtre par là. Mais les coptes, l’Eglise et toutes les institutions de l’Etat sont déterminés à faire avorter leur plan de déclencher une guerre confessionnelle en exerçant la plus grande retenue.
Ces défis que l’on comprend bien ne doivent pas pour autant empêcher le ministère de l’Intérieur d’avoir une présence dans la rue, notamment en Haute-Egypte, pour protéger les citoyens. Il doit être bien clair que le terrorisme ne sera pas toléré, sinon la violence contre les coptes risque de devenir un défouloir.
— Pensez-vous que l’activisme des coptes, un phénomène très récent, risque de se retourner contre eux comme en témoignent les récentes agressions confessionnelles ?
— Etre chrétien n’est pas une inculpation et ne doit pas signifier qu’on est moins égyptien que ses compatriotes. Le courant islamiste a eu beau essayer de dépeindre le 30 juin comme l’oeuvre des coptes : cela n’a pas marché, comme en témoignent les 33 millions d’Egyptiens qui sont sortis ce jour-là dans la rue.
Le fait qu’ils n’ont pas réussi à convaincre les gens montre que le discours confessionnel perd de son influence, sauf bien sûr auprès du noyau dur qui leur est acquis. Il y aura sûrement des actes de violence contre les coptes, mais il ne faut pas les interpréter comme le résultat de leur activisme.
Au contraire, s’ils n’avaient pas participé à cette révolution, ils auraient pu s’attendre à pire, du moins maintenant, ils sont à l’intérieur du cadre, ils ont leur influence dans le processus de prise de décision : leur participation est reconnue et ils peuvent revendiquer leur part des gains de la révolution au même titre que tous les Egyptiens. Sur un autre plan, le fait que des jeunes activistes coptes et musulmans se côtoient dans l’espace public, cela enlève les susceptibilités et les différences imaginées. Aujourd’hui, j’étais en réunion avec des jeunes militants, et il était impossible de dire qui est copte et qui est musulman, et c’est justement à cela que l’on aspire : un pays où l’on parle de citoyens, non de confessions.
— Mais beaucoup d’Egyptiens coptes ont quand même décidé de quitter le pays …
— C’est vrai. Plusieurs églises coptes aux Etats-Unis et au Canada ont vu leur nombre de fidèles tripler depuis le 25 janvier 2011. Cela varie bien sûr d’un Etat à l’autre. Mais grosso modo, d’après les prêtres et les évêques que je connais et les rencontres que j’ai eues, le nombre des coptes dans ces deux pays est passé de 700 000 à quelque 1,5 million durant ces deux ans et demi. Mais le bon signe c’est que beaucoup aujourd’hui envisagent de rentrer. Je pense qu’ils attendront quelques mois pour voir comment les choses vont se passer, et vers la fin de l’année, beaucoup seront encouragés à rentrer par les réformes politiques et économiques qui auront lieu.
— Et à plus long terme, comment se soldera selon vous la crispation confessionnelle qui prend aujourd’hui des proportions sans précédent ?
— A long terme, le seul espoir c’est une nouvelle Constitution, et plus importantes encore sont les modalités d’application de la loi. Vient ensuite l’activisme : revendiquer ses droits n’est pas du confessionnalisme. Il faut que les coptes parlent de leurs problèmes et avancent leurs demandes. Je pense que, quel que soit le prochain gouvernement, s’il ne prend pas celles-ci en considération, cela signifiera que le 30 juin a échoué. Parce que la révolution n’était pas contre le président Morsi ou les Frères musulmans, mais contre tout un régime, contre une mentalité et une attitude, contre l’exclusion, le fanatisme, l’oppression, … Si l’Etat arrive à le comprendre, il pourra avancer vers une solution du problème confessionnel.
Les principaux incidents confessionnels depuis la destitution de Mohamad Morsi
Le 3 juillet, à Minya, l’église catholique Saint-Georges de Delgia et l’église d’Al-Saleh, situées dans la même ville, ont été prises d’assaut. Des protestataires ont attaqué des habitations et des magasins appartenant à des coptes. A Marsa Matrouh, une église a été attaquée à coups de cocktails Molotov.
Le 5 juillet à Dabeiya, un village près de Louqsor, des affrontements entre chrétiens et musulmans ont fait quatre victimes coptes et un musulman, tandis que vingt-cinq maisons appartenant à des chrétiens ont été brûlées. Tous les coptes du village sont, depuis, réfugiés dans l’église.
Le 6 juillet à Al-Arich, dans le nord du Sinaï, un prêtre copte a été tué : des hommes armés ont obligé le père Mina Aboud Charoubime, 39 ans, à sortir de sa voiture, avant de le tuer et de s’enfuir au volant du véhicule.
Le 9 juillet à Port-Saïd, des hommes cagoulés ont ouvert le feu de manière aléatoire contre les bâtiments de l’église Mar Mina, faisant deux blessés légers.
Le 11 juillet à Rafah, près de la frontière avec Gaza, un copte a été retrouvé mort après avoir été décapité, plusieurs jours après son enlèvement par des « groupes extrémistes », ont affirmé des responsables de sécurité et des témoins. L’homme, dont l’âge n’a pas été précisé, avait les pieds et poings liés, ont-ils précisé.
Dans un rapport publié mercredi 17, l’Initiative égyptienne pour les droits de la personne fait état de tracts incitant à la violence contre les coptes distribués dans plusieurs gouvernorats, alors que des magasins leur appartenant sont marqués comme cibles d’éventuelles agressions.
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