Al-ahram hebdo : Pouvez-vous nous parler en détail de l’enquête que vient de publier la CAPMAS ?
Hania Sholkami: Les revenus et la consommation sont deux outils nécessaires au moment où des politiques économiques et publiques sont conçues. N’importe quel pays développé ou non développé doit effectuer ce genre de recherche, qui constitue un mécanisme méthodologique et ponctuel pour mesurer les taux de croissance, en comparant les différents ménages et les différents pays. En Egypte, cette recherche est devenue régulière depuis 2004, quand les responsables ont commencé à prendre des décisions en lien avec des indicateurs précis et des évaluations. Différents organismes internationaux, comme la Banque mondiale, ou nationaux financent cette recherche pour avoir une idée sur l’économie d’un pays donné. En Egypte, elle est effectuée tous les 3 ans, et parfois, on réactualise les données, soit quand des incidents nationaux ou globaux se produisent, comme la crise financière de 2008. Les ménages représentatifs, sélectionnés en fonction d’un échantillon structuré d’après des critères spécifiques, remplissent d’abord un formulaire sur les éléments analysés dans l’enquête. Viennent ensuite le suivi et l’évaluation trimestriels par les chercheurs, qui se rendent sur le terrain et qui ont la responsabilité de collecter les informations manquantes.
— Selon le rapport, les indices des revenus et de la consommation dans les zones rurales et urbaines ont connu des hausses se situant entre 30 et 40%. Comment expliquez-vous la hausse du taux de pauvreté de 27,8% en 2015 à 32,2% en 2017-2018, malgré l’amélioration de la croissance et la baisse de l’inflation ?
— Les informations que je détiens sur les revenus, la consommation et les dépenses nous donnent des bribes d’images qu’on essaie d’analyser, d’interpréter et de comprendre. Tout d’abord, l’analyse de ces informations s’est faite à un moment différent de leur collecte et sans prendre en compte les fluctuations liées au flottement et à l’inflation en 2017. Pour mieux comprendre ces deux composantes, on doit avoir une idée précise des tendances de la consommation et des dépenses, parce qu’en règle générale, plus la pauvreté s’accroît, plus la part du revenu consacré à l’achat de denrées alimentaires augmente. Je peux consommer, mais à une qualité moindre. Ou bien je peux consommer, mais pas suffisamment. Les revenus et les dépenses peuvent croître, mais pas à un niveau suffisant et, dans ce cas, il s’agit de pauvreté. A l’exception des informations provenant des fonctionnaires, les données sur les revenus sont approximatives. Il faut absolument introduire de nouveaux critères d’évaluation, tels que l’épargne, la dette et les investissements à long terme.
— Est-il difficile de mesurer la pauvreté? Et que pensez-vous des indices et de la carte de pauvreté inclus dans le rapport ?
Les 10 % les plus pauvres consacrent environ 50 % de leur budget pour
l'alimentation.
— L’enquête s’est basée, dans sa méthodologie, sur l’indice de la pauvreté matérielle et, malheureusement, moins de la pauvreté multidimensionnelle. Bien que la première soit une mesure internationale et avérée, elle n’est pas suffisante. La pauvreté matérielle est l’incapacité de l’individu à subvenir à ses besoins essentiels en nourriture, logement, vêtements, éducation, santé et transport. L’indice de la pauvreté multidimensionnelle est utilisé pour évaluer la pauvreté dans les pays en développement par le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD). Il utilise des micro-données et donne une image détaillée des ménages. Il identifie ainsi les multiples privations en matière d’éducation, de santé et de niveau de vie, et permet d’établir des comparaisons entre les différentes zones et régions. Pour travailler avec cet indice, il faut des données de qualité, c’est-à-dire plus précises. Le travail avec l’indice multidimensionnel est un processus continu. C’est le perfectionnement des indicateurs qui permettra de savoir quels sont les sacrifices faits par les individus et les ménages pour s’adapter à la pauvreté. Je n’ai pas d’informations précises sur l’investissement dans l’éducation ou la santé des familles pauvres en Egypte. Pour plus d’efficacité, il faut effectuer des recherches sociales et économiques, comme par exemple le Health Audit, et avoir d’autres sources d’informations. Il faut aussi appliquer les indices du PNUD, soit ceux du Human Development Index (HDI), qui renferment des indicateurs très précis. Il y a 6 ans, il y a eu des tentatives d’appliquer les HDI au niveau des gouvernorats.
Un autre point important est qu’il faut avoir des cartes de pauvreté détaillées au niveau local et de tous les gouvernorats. Même pour les dépenses et les revenus, je n’ai pas d’indicateurs précis au niveau des villages et des gouvernorats. Les données sont compilées au niveau national, et ensuite, une analyse statistique est effectuée, ou ce qu’on appelle une méta-analyse. L’avantage de l’indice de pauvreté multidimensionnel est que les menus détails apparaissent. Comme par exemple jusqu’à quel degré les individus et les ménages manquent de soins médicaux, dans quelle mesure ils bénéficient d’une éducation, quels sont les problèmes de transport qu’ils affrontent, et bien d’autres points. Un autre genre de pauvreté doit également être analysé, ce qu’on appelle la pauvreté structurelle, qui est hérité de génération en génération au sein d’une même famille.
— Quelle est, à votre avis, l’efficacité des programmes de protection sociale ?
— Le ciblage du programme Takafol wa Karama est excellent, il faut en être fier, d’autant plus que 70% des aides financières vont aux 40% les plus pauvres de la population. Ce sont des Investissements Directs Etrangers (IDE) en espèces. Il s’agit d’un outil simple et il est facile d’accroître les aides pour les distribuer à une plus large échelle. La pauvreté extrême a besoin de ce genre d’aide matérielle. Toutefois, il sera difficile d’évaluer les conséquences de la suppression des subventions à l’énergie, car le rapport concerne des données datant d’avant la suppression totale des subventions. Il serait judicieux, par exemple, au niveau de l’énergie de prendre en considération que certaines tranches de la population en ont besoin pour être productives. Toutefois, les aides matérielles ne sont pas suffisantes. Il faut travailler à ce que les différents secteurs économiques soient productifs, ce qui requiert d’autres outils de soutien et de financement.
— Comment l’enquête de la CAPMAS doit-elle, selon vous, se répercuter sur les politiques publiques et les projets de développement ?
— L’enquête doit permettre aux décideurs de concevoir des politiques publiques en mesure d’améliorer la situation économique. Elle leur permet de voir, par exemple, s’il y a une pauvreté centralisée dans des régions ou des secteurs déterminés, et ce, dans le but d’élaborer des politiques publiques et économiques capables de résoudre les problèmes. Cependant, bien que les indices du rapport constituent un bon outil, il n’en demeure pas moins qu’il est impossible d’évaluer des politiques économiques uniquement en fonction de données sur les revenus ou la consommation. Il faut en l’occurrence évaluer l’impact d’une politique économique sur des groupes, des secteurs ou une société donnés pour esquisser de meilleures orientations l
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