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Maria Fernanda Espinosa : L’Egypte est sur la bonne voie

Ghada El-Sharkawy, Mardi, 30 juillet 2019

En visite officielle en Egypte, Maria Fernanda Espinosa, présidente de l’Assemblée générale de l’Onu, revient, dans un entretien accordé à Al-Ahram Hebdo, sur les dossiers chauds de la région. Elle évoque notamment le rôle de l’Egypte dans la lutte contre l’extrémisme et le rétablissement de la sécurité dans la région.

Maria Fernanda Espinosa

Al-Ahram Hebdo : Comment avez-vous mené vos discussions en Egypte ? Et quels sont les sujets les plus importants abordés dans ces discussions ?

Maria Fernanda Espinosa : J’avais un programme très intense et intéressant, à commencer par la réunion avec Son Excellence le président Sissi, et nous avons eu une conversation très fructueuse sur la nécessité de renforcer le multilatéralisme, et utiliser l’expérience de l’Egypte en matière de leadership à l’Onu, afin de porter le travail de l’Onu à la connaissance des citoyens ordinaires.

Nous avons parlé des défis auxquels est confronté le multilatéralisme, et de la grande opportunité que représente la présence à l’Assemblée générale en septembre prochain des chefs d’Etat du monde, et la nécessité d’examiner des questions comme le changement climatique et les défis de l’agenda 2030 du développement durable.

Nous avons discuté de la migration, des réfugiés et des efforts qui ont été déployés par l’Egypte pour accueillir environ 5 millions de migrants. C’était une conversation très profonde et utile.

— Qu’attendez-vous de l’Egypte en tant que présidente actuelle de l’Union africaine ?

— L’Egypte est un acteur international très important. L’Egypte a exercé une brillante présidence du Groupe des 77 et de la Chine jusqu’à très récemment, et a accédé à la tête de l’Union africaine en 2019. Je pense qu’elle dispose d’un plan de travail très ambitieux pour l’Afrique. D’après ce que je comprends, l’un des projets de l’Egypte est de faire de la zone de libre-échange pour l’Afrique une réalité, et de renforcer l’intégration et la mise en oeuvre du plan de développement 2063 pour le continent africain. L’Egypte est un acteur international très sage, alors je suis sûre que son leadership fera une différence.

— Quel est le rôle de l’Onu dans la mise en place d’une coopération internationale efficace pour la lutte contre le terrorisme ? Comment évaluez-vous les efforts égyptiens en ce qui concerne le terrorisme ?

— Je pense que l’Onu a fait, et fera beaucoup pour lutter contre le terrorisme de plusieurs manières. En 2006, l’Onu a mis en place une stratégie de lutte contre le terrorisme. En 2017, l’Onu a également créé un bureau spécifique de lutte contre le terrorisme, et je pense que les Etats membres font preuve de beaucoup de volonté, surtout politique, pour comprendre et savoir que c’est peut-être l’une des principales raisons ou causes de l’insécurité et de la peur. Malheureusement, le terrorisme ne se produit pas dans un pays en particulier, il affecte toutes les régions du monde, tous les pays. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin d’un système multilatéral fort et d’une coopération solide pour résoudre ce problème critique. Je pense que l’instrument de dissuasion le plus puissant contre le terrorisme consiste à lutter contre la pauvreté et les inégalités, mais aussi à prendre des mesures préventives plus avisées.

Concernant l’Egypte, je dois dire que j’ai été très encouragée, parce que j’ai visité l’observatoire d’Al-Azhar, et j’ai pu voir le travail qu’ils ont fait, précisément à cibler et à empêcher l’extrémisme en réinterprétant les messages pacifiques du Coran et en identifiant les graines potentielles de l’extrémisme dans les réseaux sociaux. Je pense que l’observatoire est une initiative très intéressante, qui peut être partagée avec d’autres pays.

Je pense que l’Egypte prend ce problème au sérieux, tout effort de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme doit être salué. Pour une stratégie efficace de lutte contre le terrorisme et les violences extrêmes, il faut plus de collaboration, une approche multilatérale forte et, comme indiqué, une approche aux multiples facettes, une approche globale. Aucun pays ne peut résoudre ce problème seul.

— Comment l’Onu peut-elle faire face au discours de haine qui prévaut actuellement dans certains pays et régions du monde ?

— J’ai eu le privilège de rencontrer le pape Tawadros II et d’en discuter avec lui. L’Eglise copte orthodoxe joue un rôle très important dans le dialogue interconfessionnel en Egypte et dans le monde entier. Malheureusement, nous vivons des discours de haine et d’extrémisme en raison de croyances et de religions différentes. Ainsi, le dialogue interreligieux et pacifique entre les croyances et les religions est indispensable. Amour, compréhension et tolérance sont des principes que le pape a mentionnés plusieurs fois dans son dialogue avec d’autres autorités spirituelles du monde entier.

J’ai également eu l’occasion d’expliquer ce que faisait l’Onu. Nous avons récemment lancé à l’Onu une initiative, une stratégie pour lutter contre le discours de haine, et nous avons fait de notre mieux pour donner vie à l’alliance sur la civilisation, précisément pour établir une stratégie de protection des lieux de culte. L’humanité doit repenser les principes fondamentaux de la coexistence pacifique, pour comprendre que nous sommes tous identiques, même avec notre diversité, que nous faisons tous partie du genre humain, même avec nos croyances différentes. C’est un problème que nous avons également évoqué avec le président Sissi, qui fait lui-même un grand effort pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes religions du pays.

— Vous êtes la 4e femme à diriger l’Assemblée générale en 73 ans d’histoire de l’Onu et la première femme latino-américaine à occuper ce poste. Dans votre discours de remerciement, vous avez dédié votre victoire aux femmes et aux filles. L’égalité des genres est l’une des priorités de votre programme de travail. Comment évaluez-vous l’expérience de l’Egypte dans ce domaine ?

— Eh bien, pour n’être que la 4e femme en 73 ans d’histoire des Nations-Unies, je pense que cela ne suffit pas. Nous devons faire plus et mieux. En fait, je suis la première femme d’Amérique latine et des Caraïbes à avoir l’honneur de présider l’Assemblée générale. Cela signifie que nous devons faire plus en termes de parité hommes-femmes, d’autonomisation des femmes et de droits des femmes.

J’ai eu l’occasion d’avoir un échange de vues avec des femmes dirigeantes égyptiennes et avec 4 ministres travaillant dans différents domaines comme la migration, la protection sociale et l’investissement. Nous avons également discuté de l’augmentation du quota des femmes au parlement à 25 %. J’ai eu l’occasion d’échanger avec des femmes parlementaires très jeunes, ce qui permet au parlement de faire entendre la voix des femmes. Je pense que l’Egypte est sur la bonne voie. Nous aurons une occasion en or l’année prochaine, lorsque nous commémorerons le 25e anniversaire du programme d’action de Beijing (la quatrième Conférence mondiale sur les femmes et l’adoption de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing 1995), et je pense que ce pays peut être un exemple et une référence pour la région et le continent. Il se passe beaucoup de choses en Egypte, et j’ai eu l’occasion d’observer les progrès de l’Egypte en ce qui concerne les droits des femmes, leur autonomisation et leur participation à la vie politique.

— Comment évaluez-vous les résultats de l’atelier « Paix et prospérité » de Manama ?

— J’ai dit que la question palestinienne était la blessure ouverte de la communauté internationale. Je ne sais pas combien de résolutions nous avons adoptées, à la fois au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale, concernant la question palestinienne, et je pense que tout effort visant à créer des ponts, un dialogue, une compréhension mutuelle est bien accueilli et, bien sûr, toutes les parties devraient être assises à la table des négociations.

— Comment voyez-vous la situation en Syrie ?

Maria Fernanda Espinosa
Maria Fernanda Espinosa avec notre journaliste.

— Toute solution en Syrie doit respecter l’unité et l’intégrité territoriale du pays. A cet égard, j’encourage les parties concernées à poursuivre le dialogue en vue d’instaurer une paix juste et durable en Syrie, y compris pour les habitants de la Syrie du nord. Nous devons toujours laisser un espace politique et encourager la coopération.

— De votre point de vue, comment mettre fin à la crise yéménite ?

— J’exhorte les parties concernées à continuer d’oeuvrer en faveur d’une solution durable et pacifique de la crise politique et humanitaire au Yémen

— Pensez-vous qu’une solution politique soit possible en Libye ?

— Je condamne fermement la violence en Libye et l’escalade militaire ainsi que les combats à Tripoli et aux alentours. J’exhorte toutes les parties à mettre fin aux hostilités. Il faut fournir un soutien aux travailleurs humanitaires et à tous les civils. Je suis profondément préoccupée par les informations faisant état d’une augmentation des effectifs militaires en Libye et de l’attaque d’un camp de migrants à Tripoli la semaine dernière.

J’exhorte toutes les parties en Libye à désamorcer les tensions et à s’abstenir de tout acte de provocation et à reprendre le dialogue.

— Quelle est votre vision pour résoudre le conflit entre les Etats-Unis et l’Iran et pour assurer la sécurité dans la région du Golfe ?

— Je demande un maximum de calme. L’escalade ne profitera à personne. Nous devons investir dans la diplomatie. Il est temps d’atténuer les tensions, de promouvoir le dialogue et d’éviter une nouvelle escalade.

Je crois que le PAGC (Plan d’Action Global Commun) représente un pas majeur dans la non-prolifération nucléaire et la diplomatie, et qu’il a contribué à la paix et à la sécurité régionales et internationales. J’encourage toutes les parties à poursuivre le dialogue en abordant cette question importante de la dénucléarisation.

Je suis contre toutes les formes de sanctions et d’embargos économiques, commerciaux et financiers unilatéraux contraires aux normes du droit international et contraires aux buts et aux principes de la Charte des Nations-Unies.

Un agenda chargé

Durant sa visite en Egypte, Maria Fernanda Espinosa a eu plusieurs réunions importantes. Elle s’est notamment entretenue avec le président Abdel-Fattah Al-Sissi et le pape Tawadros II d’Alexandrie. En outre, elle s’est rendue à Al-Azhar. Elle a été accueillie par le Conseil national de la femme lors d’un séminaire intitulé : « Autonomisation des femmes : défis et opportunités », et elle a donné une conférence à l’Université du Caire sous le titre : « Le multilatéralisme dans un monde en mutation ».

Avant de partir, elle a visité les pyramides et a exprimé son admiration pour la civilisation égyptienne.

Elle est la première femme latino-américaine à occuper le poste de présidente de l’Assemblée générale de l’Onu après son élection en juin 2018, et la 4e à occuper ce poste en 73 ans. La promotion de l’égalité des sexes est l’une des priorités de son programme de travail.

Espinosa a étudié la géographie, la politique et la linguistique. Elle a dirigé la délégation de son pays, l’Equateur, aux Nations-Unies en 2008 et est la première femme à occuper ce poste dans son pays.

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