Al-Ahram Hebdo : Le Caire a accueilli la semaine dernière deux sommets africains sur la Libye et le Soudan. Comment voyez-vous le dynamisme de la diplomatie égyptienne pour résoudre ces deux crises ?
Ramadan Korani : L’intérêt apporté par l’Egypte aux causes libyenne et soudanaise émane de la conviction de l’Egypte de la nécessité de trouver des solutions pacifiques aux crises du continent africain partant de deux principes ancrés de la politique étrangère égyptienne : la non-ingérence dans les affaires internes des pays et les efforts pour trouver des solutions africaines aux problèmes africains. L’importance accordée par l’Egypte à ces deux pays confirme leur importance pour la sécurité nationale africaine, mais aussi arabe.
— La situation ne cesse d’évoluer au Soudan et en Libye, ces deux voisins de l’Egypte. Quelles peuvent être les conséquences en Egypte ?
— Tout d’abord, il faut être clair que l’intérêt apporté par l’Egypte à ces deux causes n’est pas motivé par la recherche de ses intérêts personnels ou de la protection de ses frontières. L’Egypte essaye de trouver des solutions en sa qualité de présidente de l’Union Africaine (UA). Le moteur de l’action égyptienne est de préserver l’Etat national au Soudan et en Libye. Le plus dangereux est que les frontières libyennes sont très longues. L’insécurité de ses frontières n’influence pas seulement l’Egypte, mais aussi les régions du Sahel et du Sahara. Cette région a connu de grandes perturbations sécuritaires au cours des dernières années, comme le trafic d’armes, la traite des êtres humains et la migration clandestine. Ces régions représentent également un corridor pour l’arrivée de migrants jusqu’aux côtes européennes. Par ailleurs, en cas d’instabilité sécuritaire du Soudan, l’Egypte sera amenée à accueillir des immigrants en grand nombre. Nous avons d’ailleurs témoigné, au cours des dernières années, un flux important d’immigrants à travers les frontières soudanaises. Contrôler les frontières s’avère donc d’une grande importance.
— Quel danger représentent les ingérences de l’axe de la Turquie et du Qatar, que ce soit au Soudan ou en Libye ?
— Au Soudan, le Conseil militaire de transition a adopté une position claire dès le départ, lorsqu’il a mis un terme à tous les contacts avec la Turquie et le Qatar. C’est ainsi qu’il a aboli l’accord autour de l’île de Suakin signé par la Turquie en 2017. Il a également refusé d’accueillir le ministre qatari des Affaires étrangères adressant un message clair que le Conseil militaire de transition rompait avec les politiques de Béchir avec le Qatar et la Turquie. Mais la situation est différente en Libye, car l’axe de la Turquie et du Qatar joue un rôle provocateur en soutenant telle ou telle partie en les finançant ou en leur apportant des soutiens logistiques et économiques. Par conséquent, la situation en Libye est liée à la capacité de l’armée libyenne à imposer sa domination sur le terrain.
— Après l’accord entre les militaires et l’opposition sur la répartition du pouvoir, comment voyez-vous l’avenir de la crise au Soudan ?
Le 27 avril, au Soudan, le Conseil militaire et l'opposition sont parvenus à un accord de principe sur la formation d'un conseil de transition commun. (Photo : AFP)
— Cette mesure ajoutée à la décision adoptée par l’UA d’accorder un délai de 3 mois aux Soudanais pour résoudre leur crise représente un poumon pour le Soudan. La flexibilité montrée par l’Alliance pour la liberté et le changement avec le Conseil de transition est un prélude important pour parvenir à des ententes politiques. Le délai de 3 mois est donc une grande chance, surtout que le discours politique du Conseil de transition confirme la proximité de la remise du pouvoir à un gouvernement civil. Je pense que le refus soudanais de toute ingérence étrangère conduira les différentes parties à des ententes autour de la forme de la Constitution, la forme de l’Etat, la formation d’un gouvernement de technocrates …
— Et qu’en est-il de la Libye ? Quelle est la situation actuelle avec la bataille de Tripoli ?
— Malgré le discours sur l’approche de l’armée libyenne de Tripoli, les conjonctures sécuritaires détériorées et l’éminence du déclenchement d’une guerre civile soulèvent de nombreuses craintes. La principale problématique de la crise libyenne est que les parties libyennes ont des relations d’appartenance et de loyauté pour des forces étrangères. Ce qui peut conduire à une guerre par intérim sur les territoires libyens. Cependant, les nouvelles qui parlent de la probabilité que l’armée libyenne impose sa domination sur Tripoli et sur la totalité des territoires libyens peuvent représenter le prélude à une stabilité politique.
— Et les pays arabes ? Quel rôle peuvent-ils jouer dans par exemple la résolution de la crise économique au Soudan et la reconstruction de la Libye ?
— L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont effectivement annoncé leur intention d’apporter des aides de 3 milliards de dollars au Soudan pour soutenir l’économie soudanaise. Par ailleurs, il est possible de créer un fonds de développement arabe regroupant les grands pays arabes donateurs, comme les Emirats, l’Arabie saoudite, le Koweït ainsi que les institutions arabes de financement, comme la Banque arabe de développement, et les institutions islamiques de financement, comme la Banque islamique pour le développement, afin de former ce qui ressemblerait au fonds de Marshall pour sauver le Soudan et oeuvrer à stabiliser les conjonctures économiques.
Pour ce qui est de la reconstruction en Libye, il se peut qu’il s’agisse d’une reconstruction au caractère international, car de nombreuses forces étrangères sont impliquées dans la cause libyenne. Cependant, il est encore trop tôt de parler de la reconstruction. Le pays est encore en feu.
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