Al-Ahram Hebdo : Quelle est l’importance de ce premier Sommet arabe-européen, et comment peut-il faire avancer les intérêts arabes ?
S.E. Mahmoud Afifi : Le sommet est important à plus d’un égard. D’abord, parce qu’il implique deux régions voisines qui entretiennent des relations stratégiques dans les domaines politique, sécuritaire, économique, commercial et culturel, qui partagent de nombreuses priorités et qui font face à des défis communs. Ensuite, en tant que premier sommet du genre, il permettra de déterminer les fondements de la relation institutionnelle entre les deux parties dans la période à venir. Par ailleurs, ce sommet, du fait qu’il soit au niveau des chefs d’Etat, est la preuve de la volonté politique de renforcer les programmes et les cadres de coopération existants, que ce soit entre la Ligue arabe et l’Union européenne ou au niveau bilatéral entre les Etats des deux côtés. Bien entendu, il nous importe, nous, du côté arabe, que ces relations servent nos priorités et intérêts dans les divers domaines, y compris le volet politique. Il s’agit d’obtenir un maximum de soutien de la part de l’Europe pour les positions et visions arabes sur les questions et les crises politiques, en particulier celles liées à la situation au Moyen-Orient, notamment les développements de la question palestinienne, et les pays arabes qui traversent des crises ou qui sont en proie à des conflits armés, comme la Syrie, la Libye ou le Yémen. Il y a aussi la question de la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme dans notre région arabe, avec ses implications sur l’Europe.
— Comment est née l’idée de ce sommet ? Et quelle signification donnez-vous au choix de l’Egypte pour l’accueillir ?
— L’amélioration des relations institutionnelles entre les pays arabes et l’Europe est en marche depuis un certain temps. On peut dire que cette idée s’est cristallisée et a pris un véritable élan avec la réunion conjointe des ministres des Affaires étrangères arabes et européens au siège de la Ligue arabe au Caire en décembre 2016. Il y avait un besoin d’un dialogue plus soutenu tout en tenant au courant les dirigeants de ce qui a été réalisé.
Il ne fait aucun doute que l’accueil du premier sommet au Caire a une signification très importante : L’Egypte a un grand poids politique aux niveaux régional et international, et ses relations avec l’Europe sont anciennes et diversifiées. Le choix de l’Egypte comme pays d’accueil n’est pas aléatoire, il vise à donner un élan aux relations arabo-européennes.
— Pensez-vous que ce soit la bonne occasion pour appeler l’UE à adopter une position claire et unique en faveur de la solution des deux Etats ?
— La question palestinienne constituera bien sûr un sujet de discussion important, en particulier les événements survenus au cours des 18 derniers mois, depuis que l’Administration américaine a commencé à prendre des mesures biaisées, notamment la décision de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem et de cesser de financer l’UNRWA. Un dialogue est en cours entre Arabes et Européens sur ces développements, notamment au niveau des réunions conjointes des ministres des Affaires étrangères. La position de l’Union européenne est claire : elle soutient officiellement la solution des deux Etats et condamne l’occupation israélienne des Territoires palestiniens, en particulier de Jérusalem-Est. Par ailleurs, l’UE a critiqué dans des termes clairs la décision du transfert de l’ambassade américaine en raison de son impact négatif sur l’avenir des négociations israélo-palestiniennes. Ceci sans tenir compte des déclarations de certains responsables européens qui évoquent par exemple le transfert de leurs ambassades à Jérusalem. A ce jour, l’UE n’a pris aucune action officielle en ce sens. Comme je l’ai dit plus tôt, nous essayerons d’obtenir une confirmation de cette position européenne qui soutient les droits légitimes du peuple palestinien et qui fait pression sur Israël pour qu’il arrête ses activités coloniales et les violations qu’il commet presque quotidiennement contre les Palestiniens.
— Comment voyez-vous la position européenne concernant les crises en Syrie et en Libye ? Quels sont les points de convergence et de désaccord avec les Européens sur ces deux dossiers ?
— La situation dans ces deux pays est très compliquée. Il existe des points de convergence avec les Européens qui, comme nous, croient que le conflit en Syrie n’a pas de solution militaire et qu’il faut trouver une solution via un règlement politique susceptible de satisfaire les intérêts et les aspirations du peuple syrien, qui a payé un lourd tribut ces dernières années avec des centaines de milliers de morts et plusieurs millions de déplacés et de réfugiés.
La cause palestinienne figure au centre de l'agenda arabe.
Bien sûr, l’Europe a tout intérêt à trouver un règlement approprié à cette crise qui l’affecte en termes de réfugiés et de terrorisme. Il y aura donc un dialogue important autour de cette crise lors du sommet. La crise libyenne sera aussi un sujet de grande attention, surtout en l’absence d’un chemin clair pour une solution durable de cette crise malgré les efforts considérables déployés par l’envoyé de l’Onu qui bénéficie d’un soutien arabe et européen. Il est donc nécessaire de poursuivre le dialogue tout en tenant compte de l’existence de certaines divergences de vue entre les pays européens sur la manière de gérer la crise.
— Quels sont les domaines de coopération avec l’UE pour faire face à la menace terroriste ?
— Comme je viens de le mentionner, un dialogue est entamé depuis des années avec les Européens, pas nécessairement au niveau institutionnel entre la Ligue arabe et l’Union européenne, mais il n’en reste pas moins un dialogue actif qui englobe les aspects sécuritaires et politiques du terrorisme, ainsi que les renseignements permettant d’intercepter les activités des organisations terroristes et leurs circuits de financement réels et virtuels, et de démanteler leurs réseaux politiques. Le sommet sera l’occasion d’un échange de vues plus approfondi pour adopter une approche coordonnée de lutte antiterroriste.
— La question des réfugiés et de la migration clandestine aura-t-elle une grande place sur l’ordre du jour du sommet ? Les Européens ont-ils développé une vision particulière pour faire face à cette crise ?
— Nous réalisons très bien l’importance de cette question pour les Européens. C’est désormais une question d’ordre public dans la mesure où elle affecte la stabilité de certaines sociétés européennes. Cependant, du moins du côté arabe, nous ne considérons pas ce sommet comme un sommet exclusivement consacré à la question migratoire et aux réfugiés. Nous estimons que nos relations avec l’UE comportent de nombreux sujets importants qui, comme je l’ai expliqué, méritent d’être discutés. Ceci, bien entendu, sans minimiser ce drame humain qui affecte des millions d’Arabes et l’importance de la gestion des flux migratoires de manière plus humaine et plus sûre.
— Et qu’en est-il de la coopération économique ?
— Bien sûr, il s’agit là d’un élément-clé des discussions du sommet. L’Union européenne est un investisseur majeur dans les pays arabes, et elle représente un grand potentiel d’échanges économiques et commerciaux. Du côté des pays arabes, certains possèdent une capacité de financement, d’autres possèdent la main-d'œuvre, et dans tous ces domaines, nous avons besoin les uns des autres. Il est tout aussi important que la consolidation des relations avec l’UE favorise la création d’emplois et le transfert de la technologie moderne vers les pays arabes.
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