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Le Commissaire aux Affaires Economiques de l’Union Africaine : Il est temps aussi de sauvegarder nos richesses

Fouad Mansour et Marwa Hussein, Mardi, 14 août 2018

Dans un entretien accordé à Al-Ahram Hebdo, Victor Harison, commissaire aux affaires économiques de la Commission de l’Union africaine, évoque les transferts financiers illicites qui quittent le continent et la collaboration économique interafricaine.

Victor Harison

Al-Ahram Hebdo : Pourquoi considérezvous la lutte contre les flux financiers illicites sortant du continent comme une priorité pour l’Afrique ?

Victor Harison : L’Afrique a besoin de financement pour se développer. Selon les estimations de la Banque africaine d’investissement, le continent a besoin de 130 à 170 milliards de dollars par an pour développer ses infrastructures, mais il ne faut pas continuer à dépendre de l’argent des aides. L’Afrique doit recourir à une mobilisation des ressources internes : les fonds de pension en Afrique sont évalués à plus de 300 milliards de dollars et les fonds souverains à 160 milliards de dollars. En parallèle, l’aide au développement est de 29 milliards de dollars seulement. En réalité, elle est négative et il faut tenter de lutter contre les flux financiers illicites. On se presse à y faire face, parce que nous avons besoin d’argent pour notre développement, et il est temps aussi de sauvegarder nos richesses, parce qu’elles ne se renouvellent pas. Ces flux viennent de l’évasion fiscale, et c’est dans le secteur de l’exploitation minière qu’il y a le plus de flux financiers illicites.

— Comment fonctionne l’évasion fiscale en Afrique ? Et comment l’arrêter ?

— Les multinationales fondent des entreprises variées dans différents pays pour que ces derniers n’arrivent pas à suivre le cours des transactions et des transferts. Parfois, ces entreprises ne sont pas immatriculées fiscalement dans le pays d’exploitation, mais dans un pays ayant une juridiction fiscale plus favorable et font leurs transferts vers ces pays. C’est ce en quoi consistent les flux financiers illicites, en plus du blanchiment d’argent. On a de la chance d’avoir une Association des Banques Centrales stable. Parmi les institutions continentales actuelles, les Banques Centrales ont un rôle important à jouer pour arrêter l’hémorragie des devises à cause de l’évasion fiscale. L’Afrique a besoin d’une union monétaire comme l’euro. Les chefs d’Etat africains veulent créer une zone de libre-échange continentale, ce qui est très positif, mais les transactions dans cette zone se feront en dollars, comme c’est le cas au niveau du COMESA (Marché commun de l’Afrique orientale et australe, ndlr). Les pays africains perdent dans les échanges.

Un pays pétrolier africain vend son pétrole en dollar, mais importe de l’Union européenne en euro et perd dans cette transaction. Finalement, les échanges commerciaux africains profitent aux autres. L’union monétaire prendra encore du temps, mais elle fait partie des objectifs des Banques Centrales.

— Quels sont les pas entrepris pour réaliser l’union monétaire ?

— En Afrique, il y a huit communautés économiques régionales ; c’est le premier pas de l’intégration. Elles ont déjà un plan d’intégration afin d’arriver à l’union douanière. Trois de ces communautés se sont regroupées ; elles ne sont pas encore près de l’union monétaire, mais ont une union douanière. Il y a des facilitations, mais les échanges se font encore en dollar. On essaie vraiment de pousser et d’aller de l’avant au niveau des communautés économiques régionales, et l’Union africaine essaie d’assurer l’harmonisation au niveau continental. Prenons le cas de la Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) : les pays francophones de cette communauté ont déjà une union monétaire, soit les pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA). L’objectif est d’avoir une monnaie unique pour la CEDEAO.

— Quelles sont les mesures prioritaires pour réduire les flux financiers illicites ? Et quel est le rôle de l’Union africaine dans ce contexte ?

— Il y a 21 pays africains qui travaillent pour la transparence au niveau fiscal à travers le Forum mondial sur la transparence à des fins fiscales de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), notamment en matière d’échange d’informations. L’échange des informations douanières et fiscales est essentiel, puisqu’elles nous permettent de savoir qui a volé, où et combien. Il y a des standards internationaux qui sont développés et qu’on peut suivre. A la demande de la France, par exemple, des pays africains ont pu récupérer de l’argent de certaines entreprises. Il existe déjà certains échanges entre les pays africains et des démarches à suivre selon les standards internationaux.

Il faut de plus renforcer les capacités des pays africains, surtout les capacités de négociation des contrats internationaux.

L’harmonisation des statistiques est elle aussi importante : dans certains pays africains, les statistiques au niveau des Banques Centrales et des autres départements administratifs ne sont pas harmonisées. Au sein de la Commission aux affaires économiques, nous adoptons ce qu’on appelle la stratégie pour l’harmonisation des statistiques en Afrique, qui ne porte pas sur les statistiques commerciales seulement, mais aussi sur les statistiques humaines.

— Comment les pays africains peuvent-ils collaborer afin d’améliorer leurs économies ?

— Il y a cinq économies majeures en Afrique, dont l’Egypte. Je pense que si l’Egypte se tourne vers l’Afrique, il y aura beaucoup de choses à faire. Le secteur privé égyptien doit de plus en plus s’intéresser à investir en Afrique. Ce n’est pas facile dans un premier temps, mais il faut se lancer au lieu de laisser ce rôle à d’autres pays non africains. Brièvement, je plaide pour que le secteur privé africain travaille pour l’Afrique. L’Egypte joue un rôle de leader au niveau du COMESA. Si, dans mon pays, le Madagascar, on consomme des huiles alimentaires, de la farine et du fromage produits en Egypte, c’est grâce au COMESA.

Le marché africain, c’est le marché du futur, avec la croissance de la classe moyenne africaine. Je rappelle que l’année prochaine, la présidence de l’Union Africaine sera égyptienne. L’Afrique a besoin de 130 milliards de dollars par an pour les infrastructures, pourquoi laisser ça aux autres ? A cet égard, le concept de péage commence à fonctionner en Afrique. En Ethiopie notamment, certaines portions de routes sont payantes. Il en est de même à Abuja, et les gens préfèrent payer au lieu de perdre du temps dans les embouteillages. Si les gouvernements ont des problèmes à payer, le système de péage constitue un retour sur investissement assuré pour les investisseurs privés. Je suis optimiste pour le marché africain commun. Je ne dis pas que ça va marcher tout de suite — il y a des difficultés à surmonter —, mais je suis optimiste.

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