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Stéphane Romatet : Dans un Moyen-Orient déchiré par autant de crises, l’Egypte est un pôle de stabilité

Abir Taleb et Fouad Mansour, Mercredi, 11 juillet 2018

En poste en Egypte depuis un an, l’ambassadeur de France, Stéphane Romatet, passe en revue les différents domaines de coopération égypto-française. Il met l’accent sur la convergence de vues entre Paris et Le Caire sur les principales crises de la région. Entretien.

Stéphane Romatet : Dans un Moyen-Orient déchiré par autant de crises, l’Egypte est un pôle de stabil

Al-Ahram Hebdo : Vous êtes là depuis un an maintenant, qu’est-ce qui vous a le plus marqué et comment évaluez-vous votre première année en tant qu’ambassadeur de France en Egypte ?

Stéphane Romatet : Ce qui frappe quand on arrive en Egypte et qu’on a la chance, l’honneur et le privilège d’y représenter la France, ce sont la chaleur de l’accueil et les attentes à l’égard de la France. Dans tous les contacts que j’ai eus pendant cette année, j’ai noté une forte demande de coopération avec la France dans différents domaines, que ce soit la culture, l’éducation ou les relations économiques. Et le défi pour nous, c’est de répondre à toutes ces attentes. C’est cela le plus difficile, car nous n’avons pas des moyens illimités. Mais pour moi et pour toute mon équipe, travailler à représenter la France ici, en cette période, est exceptionnel. C’est une chance.

— Et quels sont les domaines où les attentes sont les plus grandes ?

— Nous pouvons faire beaucoup dans le domaine politique, surtout à un moment où la région traverse une crise. Mais au-delà du renforcement des liens politiques entre la France et l’Egypte, les demandes sont très fortes dans les domaines de l’éducation, de la culture et de l’enseignement supérieur. Et cela est très important parce que c’est l’avenir, la Francophonie, la jeunesse. Il faut donc qu’on soit capable d’y répondre. Par exemple, la demande d’une éducation francophone de qualité est particulièrement importante. A cet égard, notre objectif, dans la ligne du récent discours du président Macron sur la Francophonie, est d’augmenter les capacités d’accueil des établissements francophones. Deuxièmement, la demande est aussi très forte dans le domaine de la coopération universitaire, avec notamment plus d’échanges universitaires. Nous voulons aussi relancer l’Université Française d’Egypte (UFE). Troisièmement aussi, dans le domaine de la culture. On sent qu’il y a une envie de la part des milieux culturels égyptiens d’avoir encore plus de partenariat avec la France. Il y a d’ailleurs beaucoup de projets dans le domaine de la culture. L’année 2019 va être une grande année culturelle franco-égyptienne. J’étais récemment à Paris où se tient, à l’Institut du Monde Arabe (IMA), cette superbe exposition sur les 150 ans du Canal de Suez qu’on aimerait bien faire venir ici. Le Grand Musée égyptien (GEM) nous intéresse aussi énormément. On ne peut pas imaginer que pour le GEM, il n’y ait pas un partenariat entre la France et l’Egypte alors que l’égyptologie est à l’origine une science et une passion françaises.

— Pour ce qui est du volet économique de la coopération entre l’Egypte et la France, il y a eu beaucoup de changements ici ces dernières années avec le plan de réforme économique entrepris par le gouvernement égyptien. Comment les entreprises françaises opérant en Egypte voient-elles cela ? Quelles sont leurs attentes ?

— D’abord, l’Egypte change. Elle a beaucoup changé depuis 2 ans avec ce plan de réforme et l’économie va beaucoup mieux qu’il y a 2 ou 3 ans. Il y a aujourd’hui un nouveau cadre économique. La situation de l’Egypte s’améliore même si c’est difficile pour les gens qui subissent la hausse des prix et la levée des subventions. Mais ce qui est important, c’est que les perspectives économiques de l’Egypte sont aujourd’hui bien meilleures que ce qu’elles étaient il y a quelques années, et ça, les entreprises françaises le voient. C’est la première chose. La deuxième chose, au-delà des réformes économiques, c’est que l’Egypte s’est engagée dans de grands projets, la Capitale administrative, les villes nouvelles, les projets d’infrastructures dans le domaine des transports, de l’énergie, etc. Dans tous ces secteurs, les entreprises françaises doivent être au rendez-vous pour aider l’Egypte avec leur savoir-faire, leurs technologies, mais aussi nos financements. C’est ma conviction. Il faut que nous puissions aider l’Egypte à mener à bien ces projets. Et le message que je fais passer aux entreprises françaises c’est : « Faites le pari de l’Egypte et venez en Egypte maintenant, l’économie va mieux et les opportunités à saisir y sont nombreuses ». La troisième chose, c’est que l’Egypte est un pays de 100 millions d’habitants, le plus grand pays du pourtour méditerranéen. Et aujourd’hui, en 2018, avec une Egypte qui a retrouvé la stabilité politique, la sécurité, qui a lancé ces réformes économiques, une entreprise française qui réfléchit à une stratégie dans la région ne peut plus ignorer le marché égyptien. D’ailleurs, j’ai senti cet intérêt renforcé lors du récent colloque économique France-Egypte à l’IMA et lors d’une rencontre avec les entreprises françaises au MEDEF (Mouvement des Entreprises de France). Tout cela montre que les choses changent positivement, dans le bon sens.

— Concrètement parlant, comment cela se traduira-t-il ? Y a-t-il des projets communs prévus dans la période à venir ?

Stéphane Romatet : Dans un Moyen-Orient déchiré par autant de crises, l’Egypte est un pôle de stabil

— 2019 doit être un bon millésime. On a tous les atouts pour faire de 2019 une grande année franco-égyptienne. D’abord, il va y avoir, dans les mois qui viennent, la visite ici en Egypte du président français Emmanuel Macron, un événement politique très important pour les relations bilatérales. Ensuite, nous voulons que 2019 soit une grande année culturelle. Il y a donc toute une série de manifestations culturelles sur lesquelles nous travaillons en partenariat étroit avec le ministère de la Culture et le monde culturel égyptiens. Il y a aussi comme vous l’avez cité le projet du GEM, nous aimerions contribuer au succès de ce projet. Donc, dans les domaines politique, culturel, archéologique et muséologique, il y a beaucoup de choses que nous voulons faire avec l’Egypte. C’est aussi le cas dans le domaine universitaire. La relance de l’UFE nous mobilise beaucoup, tout comme le projet d’Ecole nationale d’administration égyptienne que nous sommes en train de monter avec la National Training Academy pour former les cadres dirigeants de l’Etat égyptien. Nous voulons donner à tout cela une impulsion décisive en 2019.

— Vous avez dit tout à l’heure que la région arabe traverse une période troublée. Y a-t-il une convergence de vues entre Le Caire et Paris sur les principales crises régionales ? Et quels ont été les résultats de la récente visite au Caire du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian ?

— Il est certain que le voisinage de l’Egypte est en crise, et que l’Egypte peut en subir les conséquences. Je pense notamment à la crise libyenne, à la situation à Gaza et au blocage du processus de paix, à la Syrie, au Yémen, à la question de l’influence de l’Iran. Cette série de crises affecte l’ensemble de la région et donc l’Egypte. Et ce que l’on constate, c’est que dans ce Moyen-Orient déchiré par autant de crises, l’Egypte est un pôle de stabilité. Le Caire a en plus une diplomatie très modérée. Et la France considère que l’Egypte est un partenaire essentiel dans la région, un partenaire avec lequel nous travaillons pour parvenir à une solution à toutes ces crises qui représentent pour Paris des enjeux essentiels. Effectivement, nous avons, sur toutes ces crises régionales, pris la décision de travailler encore plus étroitement avec l’Egypte. Jean-Yves Le Drian était récemment au Caire pour sa 4e visite en tant que chef de la diplomatie française. S’en est suivie celle du ministre de la Défense égyptien, Mohamad Zaki, à Paris. C’est donc un agenda bilatéral politique extrêmement dense, une intensification du dialogue politique entre Paris et Le Caire qui va se poursuivre encore.

— L’une des questions pour lesquelles l’Egypte comme la France portent un intérêt particulier est la situation en Libye, qui représente pour les deux pays un enjeu majeur dans la lutte antiterroriste, et pour la France, un enjeu également important pour ce qui est de la crise migratoire. Peut-on espérer que les efforts fournis puissent prochainement se traduire en quelque chose de concret ?

— La crise libyenne est en effet un dossier prioritaire pour l’Egypte et pour la France. Une situation de vide politique dans un pays frontalier de l’Egypte avec les risques que cela représente est une situation dangereuse, et, comme vous l’avez dit, c’est un enjeu essentiel pour Paris au regard de la crise migratoire que l’Europe affronte actuellement et bien sûr de la lutte antiterroriste. Là aussi, on a pris la décision de travailler ensemble avec les Egyptiens, notamment pour mettre en oeuvre la Déclaration de Paris, le texte qui a été signé lors de la Conférence sur la Libye organisée à Paris le 29 mai dernier. Il y a un énorme travail à faire, organiser des élections, réfléchir aux évolutions constitutionnelles du pays, travailler à l’unité de tous les groupes armés pour renforcer l’Armée nationale libyenne et d’autres sujets comme la reconstruction économique, la gouvernance, la question pétrolière. Sur tous ces sujets, Français et Egyptiens ont décidé de travailler ensemble.

— Et pensez-vous que les élections puissent être tenues cette année en Libye ?

— Il le faut. Tout simplement parce que s’il n’y a pas d’élections, pas de légitimité politique et électorale donnée à un pouvoir libyen, le vide politique va se perpétuer. Il faut un pouvoir libyen fort et légitime.

— Au sujet de la Syrie, Le Caire et Paris sont-ils autant sur la même longueur d’onde que sur la Libye ?

— L’Egypte se réinvestit dans le dossier syrien et elle a un rôle important à jouer. Elle a des relations avec la plupart des protagonistes de la crise syrienne, elle a un dialogue avec la Russie, et il y a au Caire des groupes d’opposition. Pour la France, c’est une crise majeure, qui a un impact sur la stabilité de la région, sur la crise migratoire, sur le terrorisme. Eliminer Daech est un enjeu essentiel pour les Français. Donc, sur la crise syrienne, là encore, on travaille ensemble.

— Lors de sa dernière visite en Russie en mai dernier, le président Macron avait fait part de sa volonté de rapprocher le « small group » (France, Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Arabie saoudite) du groupe d’Astana (Russie, Iran, Turquie). Qu’en est-il aujourd’hui, notamment avec les récentes évolutions dans le sud ?

— Plus que jamais, il faut aujourd’hui, dans cette situation très particulière que connaît la Syrie, après six ans de guerre, 500 000 morts et 6 ou 7 millions de déplacés, ce pays effondré, il faut aujourd’hui rouvrir une perspective politique.Il y a le groupe d’Astana, il y a le « small group » que l’Egypte va rejoindre, le rôle de l’émissaire onusien, Staffan de Mistura, et nous souhaitons maintenant unir tous ces efforts. Nous avons proposé une espèce de convergence entre tout cela pour qu’il n’y ait plus qu’un seul processus politique.

— Pour un retour à un Genève ou un nouveau processus ?

— Pour un processus politique quel que soit le lieu où il se passe, mais il faut évidemment que les Nations-Unies soient impliquées. L’avenir de la Syrie ne peut pas être uniquement dicté par la Russie, encore moins par l’Iran. Et donc, il faut nécessairement relancer un processus inclusif. C’est dans l’intérêt de tout le monde.

— Justement, face à cette Russie qui fait un peu ce qu’elle veut en Syrie, l’Europe s’investit-elle suffisamment selon vous ?

— Pour la France en tout cas, la situation en Syrie est l’une des priorités de notre politique étrangère. Nous avons une relation très spéciale avec cette région, tout un passé historique, cette relation particulière avec le Liban qui subit de plein fouet les conséquences de la crise syrienne. La France ne peut donc pas se désintéresser de l’avenir de cette région et de celui de la Syrie, car il faut éviter qu’il ne soit dicté par quelques pays extérieurs qui ont chacun des intérêts politiques propres. C’est la responsabilité de la France, avec d’autres pays européens, comme le Royaume-Uni et l’Allemagne, de relancer une perspective politique en Syrie.

— Et qu’en est-il de la question palestinienne, avec le blocage du processus de paix, le deal du siècle, la décision américaine sur Jérusalem ?

— Les choses sont à la fois très compliquées et très simples, car tout le monde sait quelles sont les conditions d’une paix. Il ne pourra pas y avoir de paix si le droit des Palestiniens à avoir un Etat viable, dans les frontières de 1967, n’est pas garanti. Aussi, toute solution qui évacuerait complètement Jérusalem — qui a une symbolique à la fois politique, morale, religieuse — , n’aurait aucune chance d’être acceptée par les Arabes et par les Palestiniens. On connaît les conditions d’un accord de paix. Et donc, toute initiative, tout projet américain ou autre qui dénierait ces principes, notamment sur : Jérusalem, les frontières de 1967, le droit à un Etat, serait inévitablement voué à l’échec. Et même si la situation est catastrophique et qu’il faut tout faire pour améliorer la situation des 2 millions d’habitants de Gaza, penser qu’on pourrait faire la paix uniquement par des investissements massifs, par une initiative uniquement économique qui ignorerait les principes de base de la paix ne pourrait pas avancer. C’est un sujet dont nous discutons d’une manière très proche avec les Egyptiens. La France et l’Egypte sont totalement sur la même ligne.

— Après les derniers développements et notamment le refus des Palestiniens de traiter avec les Américains suite à leur reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, la France ou plus généralement l’Europe peuvent-ils devenir le nouveau parrain du processus de paix ?

— Ce que nous constatons après les décisions récentes — décisions que nous avons par ailleurs regrettées, transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, baisse de l’aide à l’UNRWA, etc. —, c’est que le rôle de médiateur honnête des Américains est aujourd’hui contesté. Pour ce qui est de l’Europe, les pays européens ont des sensibilités différentes. Le sujet n’est pas de savoir si l’Europe peut se substituer aux Etats-Unis, la question principale est de savoir ce qu’on peut faire politiquement pour relancer une perspective de paix entre Israéliens et Palestiniens, pour convaincre les Américains qu’une initiative purement économique serait vouée à l’échec, et convaincre Israël aussi que le statu quo n’est pas tenable dans l’intérêt même de la sécurité d’Israël. Que peut-on faire aussi collectivement pour éviter un embrasement ? Cela dit, il n’existe pas de recette miracle, la paix, ce sont d’abord les Israéliens et les Palestiniens qui doivent la faire. Il faut qu’il y ait un désir de paix dans les opinions publiques et des leaders qui aient la capacité de faire des choix courageux.

— Avec toutes ces crises, la lutte contre le terrorisme reste un enjeu majeur …

— Nous considérons que l’Egypte est placée sur la ligne de front dans la lutte antiterroriste. Elle mène ce combat d’abord pour elle-même, mais aussi pour la sécurité de la Méditerranée, donc pour celle de la France et de l’Europe. Donc, on a un intérêt majeur, stratégique, sécuritaire et politique à ce que l’Egypte réussisse son combat contre le terrorisme. Il faut donc que nous fassions tout pour accroître notre coopération avec l’Egypte dans ce domaine de la défense, de la sécurité et de la lutte antiterroriste.

— Vous avez tout à l’heure évoqué les agissements déstabilisateurs de l’Iran dans la région, c’est là une autre question importante, en plus de celle de l’impasse de l’accord sur le nucléaire …

— On a avec l’Iran, trois sujets : premièrement, veiller à ce que l’Iran ne développe pas l’arme nucléaire, c’est le but de l’accord de 2015. Les Américains ont pris une très mauvaise décision en s’en retirant. Aujourd’hui, nous sommes pleinement engagés avec nos partenaires, notamment européens, en faveur de la préservation de cet accord, qui doit rester en place malgré la décision américaine. L’Iran doit continuer à respecter l’ensemble de ses obligations nucléaires. Deuxièmement, le développement des missiles balistiques qui peuvent représenter une menace pour les équilibres de la région. Là aussi, il y a un travail à faire avec nos partenaires. Troisièmement, le rôle régional déstabilisateur de l’Iran, et il faut que nous réussissions à faire en sorte que l’Iran cesse ce rôle, ce qui suppose des discussions approfondies. Pour traiter de cette question de l’Iran, il faut maintenir un dialogue exigeant avec ce pays. Notre intérêt, c’est donc de continuer à parler à l’Iran. C’est ce que fait la France.

Remerciement spécial à M. Aurélien Chauvier, Conseiller de presse auprès de l’ambassade de France au Caire, et M. Ahmed Fadel, Attaché de presse auprès de l’ambassade de France au Caire

Remerciement

A l’occasion de la Fête nationale française, Al-Ahram Hebdo a le plaisir de publier un supplément en vue de consolider les relations franco-égyp­tiennes à tous les niveaux. Dans ce contexte, toute l’équipe de rédaction voudrait présenter leurs plus vifs remerciements à M. Aurélien Chauvier, Conseiller de presse auprès de l’ambassade de France au Caire, et M. Ah­med Fadel, Attaché de presse auprès de l’ambassade de France au Caire.

Ils ont apporté un vif soutien et une aide précieuse à toute l’équipe pour que ce supplément soit publié en bonne et due forme à l’occasion de la Fête nationale française.

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