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Abdelhamid Bouzaher : Arabes et Africains n’ont pas suffisamment exploité leur potentiel dans une action commune

Sabah Sabet, Lundi, 11 juin 2018

Abdelhamid Bouzaher, chef de la mission permanente de l’Union africaine auprès de la Ligue arabe, s’exprime sur les relations arabo-africaines et donne sa vision pour le développement de l’Afrique.

Abdelhamid Bouzaher

Al-Ahram Hebdo : Commençant par la coopération arabo-africaine, comment l’évoluez-vous et à quel point est-elle réalisée ?

Abdelhamid Bouzaher: Ce qui rassemble les Africains et les Arabes c’est un ensemble d’intérêts unique qu’on ne trouve pas entre les autres partenaires au monde. D’abord, c’est une relation historique. Africains et Arabes ont toujours été solidaires lors des crises les plus importantes, c’est le cas par exemple pour ce qui est de la cause palestinienne. Le partenariat arabo-africain, formé en 1977, est donc basé sur la solidarité. Cependant, ce partenariat a été bloqué pendant 33 ans avant de reprendre en 2010 au Koweït, ce qui a causé un grand retard. C’est vrai que le Conseil de coopération du Golfe a financé des projets de développement, mais en général, les deux côtés arabe et africain n’ont pas pu exploiter leur potentiel dans une action commune. Les relations actuelles sont plutôt bilatérales.

Pourtant, la Ligue arabe a préparé son plan 2030 de développement durable, qui a les mêmes objectifs que l’Agenda 2063 pour l’Afrique. Actuellement, il y a un plan de travail en faveur de ce partenariat dans les secteurs de l’économie, de l’agriculture, de la sécurité alimentaire, de la paix, de même en ce qui concerne les processus démocratiques. L’Afrique possède d’énormes potentiels, le marché africain est l’un des plus grands du monde; les Arabes aussi, en plus des fonds qu’ils peuvent consacrer aux investissements. Les domaines de coopération sont illimités. Espérons donc que le prochain sommet arabo-africain qui se tiendra en 2019 à Riyad va promouvoir et renforcer ce partenariat.

— La présidence de l’Egypte, en tant que pays arabe, de l’Union Africaine (UA) pourra-t-elle promouvoir cette relation ?

— Personnellement, j’ai confiance. L’Egypte connaît bien toutes les questions arabo-africaines et peut avoir un rôle important, notamment dans cette période de réforme constitutionnelle présentée par le président rwandais, Paul Kagamé, pour améliorer la performance de l’UA. Le président en exercice aura le rôle de surveiller ces travaux. De plus, la prochaine présidence de l’Egypte coïncide avec la tenue du sommet arabo-africain prévu l’année prochaine, ce qui donne plus d’espoir à l’avenir de ces relations. On s’attend donc à ce que cette présidence relance ce partenariat sur de nouvelles bases.

— De la coopération arabo-africaine à celle interafricaine. Est-elle à la hauteur des aspirations ?

— Depuis sa création en 1963, l’Organisation de l’unité africaine (Union Africaine depuis 2002) a déployé de gros efforts pour réaliser l’union et l’intégration africaines. Un long chemin a été parcouru. Le continent a franchi d’importants pas pour régler son retard dans les domaines économique, structurel et institutionnel. Après l’indépendance des pays africains, il a fallu construire les bases de la formation de l’Etat national et renforcer ses piliers, mettre en place les infrastructures, etc. Il a aussi fallu développer les moyens de communication pour créer des relations entre les pays africains que la colonisation avait enfermés, chacun dans ses frontières.

— Qu’en est-il de la coopération économique ?

— Au cours des dernières années, un véritable boom économique a eu lieu. Aujourd’hui, l’Afrique possède un taux de croissance très élevé par rapport au niveau mondial. Avec l’Agenda 2063, c’est différent. On mise sur les nouvelles générations, d’où l’importance donnée à l’éducation, sur le rôle de la femme, sur la santé aussi.

— Plus précisément, en quoi consiste l’Agenda 2063 ?

— L’agenda 2063 est le résumé de toutes les leçons et les expériences anciennes de l’Afrique. Il s’agit de corriger les erreurs passées, se mettre sur la bonne voie et donner un nouvel élan au développement. On a donc des buts stratégiques, l’agenda n’a omis aucun secteur de développement. Les dirigeants africains, au cours de leurs précédents sommets, ont pris des décisions stratégiques et ont mis des accords qui doivent être une référence pour tous les pays. Il faut désormais que les Etats membres de l’UA adaptent ces décisions à leurs propres législations pour qu’ils puissent les appliquer. On appelle cela la domestication du cadre législatif. C’est nécessaire pour l’intégration. C’est un pas nécessaire vers l’ouverture des frontières et vers la création d’un espace géopolitique harmonisé, puisque les lois qui régissent l’économie, le transport, la liberté d’expression sont identiques.

— Justement, qu’est-ce qui a été réalisé jusque-là dans le domaine de l’intégration économique ?

— Le cadre législatif et juridique pour les politiques économiques a été mis en place, comme les lois concernant les systèmes douanier et fiscal, la libre circulation. Actuellement, des zones de libre-échange existent mais d’une manière limitée. Le taux de commerce interafricain est de 12%. Cela dit, les opportunités futures sont très grandes. L’application totale de la zone de libre-échange dans le continent va booster le développement du commerce interafricain. Actuellement, 44 pays ont signé un accord au sommet de Kigali en mars dernier, pour la formation de la zone de libre-échange africaine. Le principe d’un passeport unique a été adopté et officiellement la délivrance du passeport africain se fera en 2020. C’est un grand but stratégique et un pas géant. Il y a aussi un accord sur la libre circulation des marchandises et des individus.

Mais face à ces progrès, il y a aussi des politiques conservatrices et protectionnistes de certains qui pensent ainsi protéger leur économie. Ceci peut entraver la mise en exécution de tous ses plans. Pourtant, l’UA insistera dans la période à venir sur le rapprochement entre les communautés économiques. On doit avoir une seule référence, les mêmes critères pour pouvoir ouvrir les frontières.

— Le continent fait face à des défis sécuritaires importants. Or, on ne peut pas réaliser un vrai développement dans un tel contexte. Comment résoudre cette équation ?

— Les menaces sécuritaires en Afrique proviennent de deux facteurs. Le premier est lié aux conflits frontaliers ou internes. Ces conflits ne sont plus aussi nombreux qu’il y a quelques années. Le deuxième facteur est lié à des problèmes politiques, notamment la longévité de certains chefs d’Etat. Mais le facteur le plus important et qui représente le plus gros danger est le terrorisme. La lutte contre le terrorisme n’est pas du tout une affaire facile. Il faut une coopération internationale, car ce sont des réseaux transfrontaliers. Le terrorisme se propage partout. Dans cette lutte, le plus important est de sanctionner les pays qui soutiennent et financent les groupes terroristes.

— La corruption est un autre fléau qui entrave le développement. Qu’en est-il de la lutte contre la corruption ?

— La corruption est un phénomène international qui ne concerne pas seulement l’Afrique, mais en Afrique ce problème a pris des dimensions graves. La corruption est toujours plus présente dans les pays où les outils et les mécanismes de surveillance sont faibles. Dans ces pays, les transferts illégaux de fonds, l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent, etc. ont des effets très négatifs. Les groupes mafieux et terroristes vivent de cet argent. Tout est lié. Le président nigérian, Muhammadu Buhari, a pris la charge de mettre une vision de lutte contre la corruption. Il faut savoir que, selon un rapport présenté lors du dernier sommet africain, le coût annuel des pertes liées à la corruption est estimé à 50 milliards de dollars. Et je crois que c’est bien plus. C’est pour cela que le thème qui avait été choisi cette année était: « Vaincre lacorruption: une option durable de transformation ».

— Face à autant de défis, y a-t-il chez les Africains une vraie volonté pour créer une nouvelle Afrique développée et puissante ?

— Certainement oui. Chaque chef d’Etat est chargé par l’UA d’une question précise. Par exemple, le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, est chargé du dossier du terrorisme, le président nigérien de la lutte contre la corruption, le président du Sénégal, Macky Sall, est chargé du NEPAD. Il y a des comités spécialisés pour chaque dossier. Il y a donc une volonté pour progresser, pas seulement dans le cadre du développement économique, mais aussi dans les domaines de la démocratie et des droits de l’homme. Il faut savoir que l’UA est la deuxième organisation mondiale en termes de nombre de membres (55 pays). Elle a un poids dans les forums internationaux. Mais une vraie union parmi les Africains est nécessaire pour protéger leurs droits.

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