Al-Ahram Hebdo : Pourquoi l’initiative lancée par le président Abdel-Fattah Al-Sissi, de couvrir les ouvriers du secteur informel d’une assurance sociale, est-elle importante ?
Mohamad Saafan : Tout simplement, parce qu’il s’agit d’un secteur regroupant des millions d’ouvriers qui travaillent dans des conditions précaires sans jouir d’aucune protection sociale, professionnelle ou médicale. Et cela alors qu’ils constituent une part importante du marché du travail. Le nouveau système de protection sociale est entré en vigueur le 1er mai. Il s’agit d’un véritable acquis pour les ouvriers.
— A quelle définition le ministère de la Main-d’oeuvre se réfère-t-il pour recenser les travailleurs informels ?
— Il convient tout d’abord de faire la différence entre la main-d’oeuvre du secteur informel et les ouvriers saisonniers. Les ouvriers saisonniers sont ceux dont la durée de travail est restreinte à une saison de l’année, notamment dans l’agriculture, dans les mines, la construction, etc. Quant à la main-d’oeuvre informelle, elle englobe des catégories comme les marchands ambulants, les petits entrepreneurs de construction à la campagne, les vendeurs de fèves qui possèdent des charrettes fixes ou mobiles, les vendeurs de boissons et de légumes dans les rues, les fabricants de cage en bois, les potiers ou les conducteurs de tok-toks.
— Existe-t-il des chiffres précis sur le nombre d’ouvriers saisonniers et ceux informels ?
— Selon le rapport gouvernemental émis par l’Organisme national pour la mobilisation et le recensement (CAPMAS), le nombre de la main-d’oeuvre saisonnière représente 6 millions de personnes. Quant à la main-d’oeuvre du secteur informel, elle se situe entre 6 et 10 millions de personnes, mais il s’agit d’estimations plutôt que de chiffres précis.
— A quel secteur le président Sissi a-t-il exigé d’étendre l’ombrelle de la protection sociale ?
— Il s’agit des ouvriers du secteur informel. Et là, c’est important d’expliquer que si le président leur accorde un grand intérêt et ordonne leur protection sociale et salariale, c’est parce qu’il n’existe aucune loi organisant leurs activités. Contrairement aux ouvriers saisonniers, dont le statut et les conditions de travail sont aussi à revoir, mais dont, au moins, la loi du travail n°12 de 2003 règle plus ou moins le travail. De plus, le règlement financier et administratif sur l’emploi et la protection de la main-d’oeuvre saisonnière garantissent certains droits aux ouvriers saisonniers, dont le droit à des indemnisations en cas de maladies entravant le travail.
— Quelles sont les procédures suivies par le ministère pour mettre en place le nouveau système d’assurance sociale ?
— Le ministère de la Main-d’oeuvre a entamé l’enregistrement des ouvriers informels à partir du 1er mars dernier et jusqu’au 30 avril dans toutes les administrations du ministère et dans tous les gouvernorats. Nous avons aussi lancé un site électronique pour l’enregistrement des travailleurs. Les informations collectées serviront à créer une base de données exacte et à classer ces ouvriers en catégories, avant denous mettre d’accord avec tous les ministères et organismes concernés sur les mécanismes d’emploi de ces ouvriers, ainsi que sur ceux relatifs à leur englobement sous un système d’assurance sociale et médicale. Jusqu’ici, le ministère a recensé 2 millions d’ouvriers du secteur informel, qui vont être inclus au système d’assurance sociale. Le recensement de tous les ouvriers du secteur informel et leur couverture d’assurance sociale devraient être achevés à la fin de l’année 2018.
— Mais un bon nombre de ces ouvriers, dont une majorité sont analphabètes, sont susceptibles de n’être au courant ni de l’initiative du président, ni des procédures à suivre pour légaliser leur statut. Qu’envisage de faire le ministère à leur égard ?
— Le gouvernement va lancer des campagnes de sensibilisation via les médias audiovisuels pour faire savoir aux ouvriers saisonniers et à ceux du secteur informel l’importance de s’enregistrer auprès des bureaux de main-d’oeuvre, afin de jouir des services d’assurance. Le ministère envoie par ailleurs des délégués sur le marché du travail pour informer et expliquer à ces ouvriers le processus en cours.
— Sous le nouveau système, comment les ouvriers informels bénéficieront-ils de l’assurance médicale ?
— Le gouvernement oeuvre à conclure des contrats avec des hôpitaux privés et ceux de l’assurance médicale pour offrir aux ouvriers saisonniers, comme à ceux du secteur informel, une assurance médicale de qualité. A l’avenir, les mécanismes de l’assurance sociale et médicale seront déterminés d’après les résultats du recensement et la classification de la main-d’oeuvre en coopération avec le ministère de la Santé.
— Comment se fait-il que le phénomène de la main-d’oeuvre saisonnière et informelle ait pris une telle ampleur ?
— Ce phénomène existe depuis longtemps, mais il ne cesse de s’accroître à cause de l’absence d’une loi organisant ces activités. C’est pourquoi un projet de loi est actuellement en cours d’élaboration.
— L’absence d’une peine répressive contre les patrons qui emploient une main-d’oeuvre sans contrat ne favorise-t-elle pas la propagation de ce phénomène? Que faut-il faire?
— Oui, et c’est pourquoi le projet de loi du travail prévoit une amende allant de 200 à 1000 L.E. pour chaque personne employée par le patron sans contrat. Cette sanction est suffisante pour décourager les patrons. De plus, le projet de loi donne le droit à l’ouvrier de prouver la relation de travail par tous les moyens en cas d’absence de contrat écrit.
— Prévoit-il aussi un mécanisme permettant d’inclure la main-d’oeuvre informelle au secteur formel ?
— Non. Cependant, il est possible de résoudre cette problématique en concluant des conventions de travail collectives entre les patrons et les organismes syndicaux ouvriers pour que cette main-d’oeuvre devienne régulière après une période de trois ans par exemple.
— Le projet de loi stipule la création d’un fonds relatif à la protection et à l’emploi de la main-d’oeuvre saisonnière. Pouvez-vous nous en parler ?
— Ce fonds dépendra du ministre de la Main-d’oeuvre. Le Conseil des ministres devra émettre une décision relative à la création du conseil d’administration du fonds. Quant au financement, il sera assuré via la collecte d’un pourcentage allant de 1 à 3% du montant des salaires. Le ministre concerné décidera, en coopération avec le ministre des Assurances sociales, du statut financier et administratif du fonds, qui comprendra les règlements régissant l’emploi de la main-d’oeuvre informelle et les services qui lui sont présentés, ainsi que les conditions pour obtenir ces services, outre les sources du fonds et les dépenses, conformément à la loi. Le fonds possédera un compte à la banque commerciale accréditée par la Banque Centrale d’Egypte (BCE). Le fonds préparera, de manière annuelle, les documents qui font état de sa situation financière selon les systèmes de comptabilité en vigueur. Il sera soumis au contrôle de l’Organisme central de la comptabilité.
— Le système de financement du fonds permettra-t-il une pension de retraite convenable et une prime de fin de service assurant une vie décente ?
— Certes. Leurs valeurs seront déterminées en fonction des ressources financières du fonds et pourront être augmentées annuellement selon les revenus de l’investissement du capital du fonds.
— Le paiement en espèce des salaires des ouvriers informels peut compliquer les procédures de prélèvement des prestations de l’assurance sociale. N’est-il pas mieux de se convertir au système de paiement électronique pour les journaliers ?
— Nous étudions la question, mais rien n’a été décidé jusqu’à présent. Il est possible de se mettre d’accord avec les patrons pour verser les sommes des prestations mensuelles par le biais d’un versement électronique. Quant à la main-d’oeuvre journalière, il est possible de lui verser des salaires mensuels en coopération avec les patrons et les organismes ouvriers s’ils y adhèrent.
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