Al-Ahram Hebdo : Quelles sont les perspectives de coopération entre l’Egypte et Chypre ?
Nikos Anastasiadis : Ces dernières années, nous avons donné un coup d’accélérateur à notre coopération, ce qui s’est reflété à la fois au niveau bilatéral et au niveau trilatéral. En fait, nous avons élargi avec succès le cadre juridique de nos relations bilatérales, en concluant des accords importants susceptibles de renforcer notre coopération, et je peux vous affirmer avec plaisir que nous avons commencé à en récolter les fruits dans divers domaines d’intérêt commun tels que l’énergie, l’économie et le commerce, la sécurité et la défense.
Chypre a toujours valorisé l’importance stratégique du partenariat entre l’Egypte et l’Union, et nous continuerons à le faire. En outre, le partenariat trilatéral actuel entre Chypre, l’Egypte et la Grèce sert de modèle pour favoriser le dialogue et la coopération régionale. Nous sommes prêts à élargir et à approfondir ce partenariat, à continuer à travailler en étroite collaboration sur des questions d’intérêt mutuel, bénéfiques pour nos pays et toute la région, et à promouvoir la paix, la stabilité et la prospérité en Méditerranée.
J’en profite pour rappeler que le 30 avril, je serai à Alexandrie pour assister à l’inauguration du programme « Nostos, le retour », une excellente initiative égyptienne qui vient renforcer notre travail commun sur les problèmes de la diaspora.
— Comment décrivez-vous votre relation avec le président Sissi ?
— Au cours des dernières années, le président Sissi et moi avons noué une relation basée sur l’amitié, la confiance et le respect mutuels. Cette amitié nous a aidés à renforcer davantage les relations entre nos pays au niveau bilatéral, mais aussi au niveau trilatéral (avec la Grèce). Ce renforcement des relations est illustré par la multiplication des visites bilatérales au plus haut niveau, dont la visite du président Sissi en novembre 2017, la première d’un président égyptien à Chypre depuis l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays.
Je souhaite continuer à travailler étroitement avec le président Sissi durant son deuxième mandat, afin d’étendre et d’approfondir notre coopération et de réaliser nos objectifs communs de prospérité, de paix et de stabilité dans notre région.
— Comment voyez-vous la guerre antiterroriste menée par l’Egypte ?
— Le terrorisme est un fléau international dont le but est de créer le chaos et l’instabilité et de perturber le fonctionnement normal de l’Etat. Cela ne peut jamais être toléré. A cet égard, la République de Chypre a fermement exprimé son soutien à la République arabe d’Egypte dans sa guerre contre le terrorisme. L’Egypte a, en effet, beaucoup souffert du terrorisme, et nous soutenons ses efforts pour l’éradiquer de son territoire.
— Soutenez-vous l’ambition de l’Egypte de devenir un centre de commerce gazier au sud de la Méditerranée ?
— Récemment, l’UE et l’Egypte ont approuvé un mémorandum d’entente sur la coopération énergétique. Le texte sera signé par les deux parties au cours de ce mois d’avril et permettra à l’UE et à l’Egypte de développer leur coopération dans le secteur de l’énergie. L’UE soutient les efforts de l’Egypte pour devenir un pôle pétrolier et gazier régional. Un tel développement a une importance significative pour assurer et diversifier les sources d’approvisionnement en gaz de l’Europe.
Chypre soutient pleinement le renforcement des relations entre l’UE et l’Egypte. En outre, au niveau bilatéral, nous travaillons en étroite collaboration avec nos homologues égyptiens sur un certain nombre de projets dans les secteurs de l’énergie et de l’électricité, ce qui contribuera à la réalisation des objectifs du mémorandum d’entente entre l’UE et l’Egypte.
— Y a-t-il des efforts pour reprendre les négociations sur la réunification après l’échec du dernier cycle de négociations en juillet ?
— Compte tenu des récents agissements de la Turquie dans notre voisinage immédiat, je crois que vous partagez mon évaluation quant à la légitimité de notre position à Crans Montana, en voulant mettre fin au droit d’intervention et aux autres garanties dont bénéficie la Turquie, dont la présence de ses troupes sur le territoire de Chypre réunifiée. Malheureusement, en raison de l’intransigeance de la Turquie sur les questions susmentionnées, la Conférence de Crans Montana, organisée à Chypre en juillet 2017, a échoué.
Depuis, j’ai réitéré à maintes reprises mon engagement au secrétaire général des Nations-Unies en faveur de la poursuite des négociations sur la base du cadre qu’il avait lui-même établi. Mais mon intention de poursuivre les négociations et les efforts pour la réunification de Chypre ne peut porter ses fruits que si elle est partagée par les autres parties, à savoir la Turquie et la partie chypriote turque. Ce qui est encore plus regrettable, c’est qu’après ma réélection, et alors que des discussions étaient en cours avec l’Onu pour reprendre les négociations, la Turquie, adoptant une « diplomatie canonnière », a violé nos droits souverains d’exploration et d’exploitation de nos ressources naturelles, entravant ainsi notre politique énergétique. Ce que je voudrais souligner, c’est que si les actions illégales de la Turquie cessent et si les positions et les demandes inacceptables avancées par la partie chypriote turque sont retirées, je serai prêt à m’engager immédiatement dans un nouveau dialogue et à participer à une nouvelle conférence sur Chypre, mais cela demande bien entendu une préparation et un rôle actif de la part des cinq membres permanents du Conseil de sécurité et de l’UE.
— Comment décrivez-vous le blocage par la Turquie du navire de forage travaillant pour le compte du groupe gazier ENI ?
— Les actions illégales et les provocations de la Turquie dans les zones maritimes de la République de Chypre constituent une violation flagrante du droit international, des lois de l’UE, de la Convention des Nations-Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM) et des droits souverains de la République de Chypre.
Cet acte a empêché le groupe gazier italien ENI d’atteindre la zone de forage prévue dans le bloc d’exploration numéro 3 dans notre zone économique exclusive. De tels actes portent préjudice aux intérêts et à la politique de l’Union européenne en matière de sécurité énergétique, et sont totalement contraires aux obligations de la Turquie en tant que pays candidat à l’UE.
De plus, les agissements de la Turquie dans nos zones maritimes n’ont rien à voir avec les intérêts des Chypriotes turcs, alors qu’ils ont tout à voir avec la promotion des intérêts de la Turquie en Méditerranée orientale.
Les affirmations de la Turquie, selon lesquelles elle agit pour protéger les intérêts des Chypriotes turcs, sont totalement infondées pour les raisons suivantes. Lors des négociations précédentes sur la question de l’exploration et de l’exploitation des ressources naturelles, il était convenu que les décisions concernant les zones maritimes rentrent dans les compétences fédérales de Chypre unifiée. Cela n’a jamais été contesté par la partie chypriote turque.
Autre chose, nous avons soumis à l’approbation de la Chambre des représentants un projet de loi pour la création d’un fonds souverain pour la gestion des ressources potentielles d’hydrocarbures, de manière à sauvegarder les intérêts des futures générations de tous les Chypriotes.
— Chypre peut-elle changer ses plans d’exploration de gaz et de pétrole à cause de cette menace turque ?
— Au cours des dernières années, nous avons fait des progrès remarquables dans la réalisation de notre programme d’exploration. Ce programme consolidera la position de Chypre comme pays producteur et de transit du gaz naturel. Notre objectif est d’explorer et d’exploiter pleinement le potentiel d’hydrocarbures dans notre zone économique exclusive et de mettre en oeuvre notre programme ambitieux d’exploration conformément à la stratégie globale de développement des hydrocarbures de la République.
Actuellement, le ministère de l’Energie et le consortium Aphrodite sont engagés dans des discussions pour établir, le plus tôt possible, le plan de développement et de production du gisement de gaz Aphrodite.
Parallèlement, d’importants progrès sont réalisés au niveau des activités d’exploration dans la zone économique exclusive de la République de Chypre. Après le troisième appel d’offres des autorités chypriotes et la décision d’octroyer des permis d’exploration d’hydrocarbures pour les blocs 6, 8 et 10 respectivement à ENI-TOTAL, ENI et ExxonMobil-Qatar Petroleum, nous anticipons avec impatience l’achèvement du programme d’exploration de toutes ces sociétés.
En même temps, personne ne peut contester le fait que les agissements de la Turquie visent à long terme à monopoliser l’approvisionnement énergétique de l’UE ou même, comme nous pouvons le conclure des événements récents, à contrôler le transport du gaz naturel de la Méditerranée orientale vers l’Europe. Cela dit, les menaces turques ne nous empêcheront pas, en tant qu’Etat indépendant et membre à part entière de l’UE, d’exercer nos droits et de poursuivre notre programme comme prévu. J’espère que la Turquie adoptera enfin une approche réaliste et une politique conforme au droit international et aux normes, principes et valeurs européens. Cela est dans l’intérêt de tous.
— Etes-vous satisfait du soutien européen sur la question du gaz ?
— Lors du dernier Conseil européen, ainsi que lors du sommet UE-Turquie à Varna, l’UE a fermement condamné les actions illégales de la Turquie et a transmis un message ferme aux dirigeants turcs.
De même, dans les conclusions du Conseil européen de mars 2018, il y a eu une condamnation sans précédent de l’activité illégale de la Turquie en Méditerranée orientale, qui comprend bien entendu la zone économique exclusive de Chypre. En outre, le Conseil européen a instamment demandé à la Turquie de cesser ses actions et de respecter les droits souverains de Chypre d’explorer et d’exploiter ses ressources naturelles conformément aux lois de l’UE et au droit international. Le Conseil européen a également rappelé l’obligation pour la Turquie de respecter le droit international et les bonnes relations de voisinage, et de normaliser les relations avec tous les Etats membres de l’UE, y compris la République de Chypre. Enfin, le Conseil européen a affirmé qu’il demeurerait saisi de ces questions. Il s’agit d’une position de principe et d’une position de solidarité qui s’inscrit dans l’intérêt de l’UE.
Lien court: