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Saint-Clair Milesi : L’Egypte a toujours une chance d’accueillir la Coupe du monde

Amr Moheb, Mardi, 27 mars 2018

Entretien exclusif avec le Brésilien Saint-Clair Milesi, consultant stratégique de communication sportive et ancien directeur de la communication de la candidature Paris 2024, récemment en visite au Caire.

Saint-Clair Milesi
(Photo : Ayman Barayez)

Al-Ahram Hebdo : Est-ce que c’est votre pre­mière visite pour l’Egypte ?

Saint-Clair Milesi : Oui, c’est un grand plaisir pour moi d’être là. Je voyage beaucoup, mais malheureuse­ment, je n’avais pas encore visité l’Egypte. C’est ma toute première fois. Je suis ici en mission avec le Centre International d’Etude du Sport (CIES) de Neuchâtel en tant qu’expert de communication et conférencier CIES. Je suis ici pour animer une conférence pour les étudiants de la 10e édition du Programme du Certificat exécutif en Management du Sport FIFA/CIES. Ce programme est orga­nisé par la FIFA et le CIES en partena­riat avec l’Université du Caire. Il est composé de 6 modules : la communi­cation, le management sportif, la ges­tion des événements, le droit et le marketing.

Ma conférence est sur la communication en sport, et plus spé­cifiquement sur le rôle de la commu­nication dans la Coupe du monde. J’ai pris comme exemple la dernière Coupe du monde au Brésil en 2014. Je vais essayer de transmettre aux étu­diants mes expériences dans le domaine de la communication spor­tive comme j’étais le directeur de communication du comité local d’or­ganisation de la Coupe du monde 2014 au Brésil, directeur de la com­munication des Jeux olympiques et paralympiques à Rio de Janeiro 2016, et je suis directeur de communication des Jeux olympiques et paralym­piques à Paris 2024.

— Etes-vous connaisseur du sport égyptien ?

— Oui, sans doute, je connais le sport égyptien même si je n’ai pas accès aux championnats d’Egypte et je ne suis pas tous ses résultats. Mais j’aime bien le sport égyptien et je connais les principaux joueurs de football ainsi que les principaux ath­lètes. Je vois que le sport égyptien occupe une place avancée sur le plan africain. Les athlètes égyptiens sont parmi les meilleurs de leur continent, certains d’entre eux sont même parmi les meilleurs du monde et remportent des médailles aux Championnats du monde et aux Jeux Olympiques (JO). Cela est normal, car l’Egypte est l’un des grands pays de sa région.

— Durant votre présentation, vous avez expliqué comment un pays peut préparer un bon dossier de candidature pour organiser la Coupe du monde et comment mon­trer à la FIFA, et surtout aux membres de son bureau exécutif, que ce pays est capable d’accueillir le Mondial. D’après vous, qu’est-ce qui manque à l’Egypte pour pou­voir organiser un jour la Coupe du monde ?

— Je sais bien que l’organisation de la Coupe du monde de football est l’un des grands rêves des Egyptiens. C’est normal, presque tous les pays du monde rêvent aussi d’organiser les deux grands événements de la pla­nète : la Coupe du monde de football et les JO. En parlant du cas de l’Egypte, tout d’abord, je veux expli­quer que si le dossier de candidature de l’Egypte pour la Coupe du monde 2010 n’a pas eu de votes des membres du bureau exécutif de la FIFA, cela ne veut pas dire qu’au futur, le dossier de l’Egypte pour les prochaines Coupes du monde n’aura pas de votes. Vous pouvez travailler sur les fautes du passé. C’est un point très important : on ne doit pas perdre confiance en nos capacités et nos pouvoirs d’accueillir un grand événement sportif comme la Coupe du monde.

Premièrement, accueillir une Coupe du monde est un travail d’une unité nationale de préférence, c’est-à-dire qu’il faut avoir une volonté nationale, la force et le désir d’accueillir la Coupe du monde. Alors, le premier pas pour préparer un bon dossier de candidature est de mettre en relief l’engagement de tous les secteurs du pays. C’est crucial pour la FIFA. C’est un travail de conscience nationale, et dans ce point, la communication joue un grand rôle. Mais d’après mon expérience dans le domaine d’organi­sation de Mondiaux, avant de préparer le dossier de candidature pour le poser à la FIFA, la question doit être posée au peuple : est-ce que vous voulez vraiment avoir la Coupe du monde dans votre pays en ce moment ? Donc, tout d’abord, l’Etat doit savoir com­ment poser cette question à la popula­tion et avoir une réponse positive.

Saint-Clair Milesi
(Photo : Ayman Barayez)

Deuxièmement, les avantages d’ac­cueillir le Mondial doivent être bien calculés. Il faut savoir si l’organisa­tion de la Coupe du monde va bénéfi­cier au pays et aider son économie ou non. Cela varie d’un pays à l’autre. Mais comme je vous l’ai dit, c’est une question d’engagement à la fois de la part de l’Etat et de la population, pour éviter tout stress. Car souvent, après coup, les populations se posent des questions de ce genre : est-ce que ça vaut le coût d’organiser le Mondial et de dépenser des millions de dollars au moment où le pays a besoin d’investir ces millions dans des projets de déve­loppement dans d’autre secteurs ?

L’organisation de la Coupe du monde doit être bien calculée pour aboutir au profit du pays hôte, sinon, c’est clair que ça ne sera pas une bonne affaire pour le pays en ques­tion. Dans ce cas, il ne doit pas pré­senter sa candidature dès le départ.

— Vous faites là référence à ce qui s’est passé au Brésil lors de la dernière Coupe du monde 2014 ?

— Tout à fait. Comme je vous l’ai dit au début de cette interview, j’étais le directeur de communication du comité local d’organisation de la Coupe du monde 2014 au Brésil et j’ai vécu les problèmes qui se sont produits juste avant le début des matchs du Mondial, lorsque des mil­liers de Brésiliens ont manifesté, car ils voient que l’argent dépensé par l’Etat pour accueillir la suivante Coupe du monde devait être investi dans des projets de développement local. Cela est arrivé avec le Brésil, bien que son peuple soit fasciné par le football. C’est le pays le pays de Pelé, Ronaldo et Neymar.

Alors, d’après mes expériences dans ce domaine, je vois que la com­munication joue un grand rôle avant, pendant et après les grands événe­ments sportifs comme la Coupe du monde. Son rôle avant la Coupe du monde est très important pour bien communiquer avec le peuple et savoir si l’organisation d’un tel événement est une demande nationale ou bien ça vaut mieux investir l’argent dans des projets d’infrastructures sportifs ou dans d’autres domaines de développe­ment.

— Alors, les pays pauvres ne devraient pas penser à accueillir la Coupe du monde, les pays riches étant plus favoris …

— Non. Je ne veux pas dire ça. Le football est le sport le plus populaire de la planète, et ce n’est pas juste de priver les pays sous-développés d’ac­cueillir la Coupe du monde. J’ai parlé de la situation au Brésil avant la Coupe du monde, mais celle-ci a réussi et le Brésil a donné l’exemple qu’un pays sous-développé peut bien organiser le Mondial.

— Justement, le Maroc a posé son dossier de candidature pour organi­ser la Coupe du monde 2026 …

— On va voir le 13 juin 2018 au Congrès de la FIFA qui va accueillir la Coupe du monde 2026, nous avons 4 pays candidats de nature différente : avec le Maroc, nous avons aussi les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Ça sera intéressant. Je vois que le Maroc a une grande chance. Il a l’ex­périence, puisque c’est la 3e fois qu’il prépare un dossier de candidature, il s’est déjà présenté pour le Mondial 1998 attribué à la France et celui de 2010 attribué à l’Afrique du Sud. Maintenant, le Maroc sait ce qu’il doit faire pour préparer un bon dossier ainsi que les exigences de la FIFA pour l’organisation de la Coupe du monde.

— Et si l’Egypte se présente un jour, d’après votre grande expé­rience dans le domaine, comment voyez-vous ses chances ?

— Franchement, je vois que l’Egypte est un candidat intéressant pour l’organisation de la Coupe du monde. Le football est le sport popu­laire numéro 1 en Egypte. Le peuple est fasciné par le foot, c’est un pays de football. Vous avez de bonnes infras­tructures et installations sportives. Le peuple égyptien est accueillant ; depuis mon arrivée, je sens l’amour du peuple égyptien pour les touristes. Je suis très bien accueilli. C’est un pays hyper vivant et hyper intéressant. Je sens aussi qu’il y a une grande sécurité en Egypte, le pays maintenant est bien sécurisé et il n’y a pas de danger de visiter l’Egypte comme on disait aux médias il y a quelques années.

Il reste seulement, comme je vous l’ai expliqué, d’avoir la volonté et la décision de la population que c’est le bon moment d’accueillir la Coupe du monde. Sur le plan technique, vous avez aussi un bon championnat natio­nal et de grands clubs qui sont parmi les meilleurs de l’Afrique. Vous avez de grands joueurs qui sont comme des ambassadeurs du football égyptiens en Europe comme Mohamad Salah par exemple.

Vous avez aussi d’autres bons joueurs égyptiens qui évoluent en Europe, mais Je pense que Salah est exceptionnel. Je suis la Premier League et je suis la bonne perfor­mance de Salah avec Liverpool. Aussi avec l’équipe nationale de l’Egypte, je vois qu’il a joué un grand rôle dans la qualification des Pharaons à la Coupe du monde 2018. Je parlais il y a quelques jours avec de grands joueurs en Europe sur Salah et nous nous sommes tous mis d’accord qu’il a le potentiel d’élever le niveau technique de l’équipe nationale égyptienne. Comme il avait joué un grand rôle dans les bons résultats de Liverpool à la Premier League cette saison, Salah jouera sans doute un grand rôle avec l’Egypte en Russie grâce à sa vitesse, sa force, sa technique et ses buts. Il pourra mener les Pharaons à se quali­fier au deuxième tour et peut-être même aller plus loin dans la compéti­tion.

— Vous avez une grande expé­rience dans le domaine du sport, et surtout celui de la communication sportive. Après cette longue car­rière, quels sont vos meilleurs et vos pires souvenirs ?

— Bien que le football soit mon sport préféré, les deux plus beaux souvenirs de ma carrière sont les deux candidatures aux JO que j’ai tra­vaillées et que j’ai gagnées avec le comité de candidature. La première est la candidature de Rio de Janeiro 2016 que j’ai gagnée en 2009. Je me rappelle le moment de l’ouverture de l’enveloppe du pays gagnant et nous avons vu Rio de Janeiro, c’était une explosion de joie. La deuxième candi­dature c’est celle que nous venons de gagner en septembre dernier à Pérou, c’est celle de Paris 2024, lorsqu’on a appris que Paris organiserait les JO après 100 ans, après Paris 1924.

Quant au mauvais souvenir de ma carrière, je n’ai pas vraiment de mau­vais souvenir, mais lorsque je regarde le passé, je vois que nous pouvions faire mieux au Brésil en utilisant la Coupe du monde 2014 comme un outil stratégique de promotion du tourisme. Je pense que nous n’avons pas coordonné la promotion des sec­teurs du pays au Brésil. Nous avons très bien fait le tournoi, mais nous pouvions faire mieux pour l’intérêt du pays, et surtout le tourisme au Brésil.

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