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Mohamed Anis Salem : Les outils classiques des Nations-Unies sont inadaptés aux mutations que connaissent les conflits

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 06 mars 2018

L'ambassadeur Mohamed Anis Salem, coordinateur du groupe des Nations-Unies et des organisations régionales au sein du Conseil égyptien des affaires étrangères (ECFA), estime que le système de l’Onu doit être reformulé pour être plus efficace et plus équilibré.

Mohamed Kamel Anis

Al-Ahram Hebdo : Le bilan des Nations-Unies est loin d’être positif en ce qui concerne la gestion des crises dans le Proche-Orient, même sur le niveau humanitaire. Pourquoi ?

Mohamed Anis Salem: Je pense qu’avant d’évaluer le rôle de l’Onu dans la gestion des crises de la région, il faut d’abord signaler que la conception même du conflit armé dans le Proche-Orient a subi une profonde mutation. Ainsi, les outils classiques de ce système mondial, créé après la Seconde Guerre mondiale, sont aujourd’hui inadaptés et de plus en plus incapables d’accomplir le rôle essentiel, instaurer la paix. En fait, la notion du conflit dans la région est loin aussi d’être classique. L’émergence de nouveaux protagonistes qu’on qualifie d’« acteurs non-étatiques » a contribué au prolongement de la durée des conflits et à leur durcissement. Elle menace profondément les fondements de l’Etat. L’internationalisation rapide des crises, depuis les toutes premières phases des conflits, aussi bien que la montée en puissance des forces régionales comme l’Iran et la Turquie, qui entrent elles aussi en jeu et mettent leurs mains sur des zones géographiques spécifiques sur le terrain, sont deux autres phénomènes nouveaux. L’exclusion de toute présence arabe dans des pourparlers décisifs pour l’avenir de la région, comme ceux d’Astana sur la Syrie, devient également un fait de plus en plus remarqué. Bref, on peut désigner ainsi les conflits actuels par cette nouvelle terminologie militaire, désignée par l’acronyme VUCA : Volatile, Incertain (Uncertain), Complexe et Ambiguë. En fait, cette terminologie s’applique aux quatre conflits qui ravagent la région: la Syrie, la Libye, le Yémen et la cause palestinienne.

— Qu’entendez-vous alors par les méthodes classiques de l’Onu dans la gestion des crises, notamment du point de vue humanitaire ?

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— Tous ces facteurs ont contribué à l’allongement de la durée des conflits dans la région, alors que les mécanismes des Nations-Unies ont été programmés pour intervenir dans des conflits à court terme. Aujourd’hui, le nombre des réfugiés arabes dépasse la moitié du total des réfugiés dans le monde. C’est énorme. L’Onu n’était pas du tout prête pour affronter cette crise humanitaire de cette ampleur. Avec ces crises qui perdurent depuis 7 ans, le programme de secours peine à fonctionner. Ces pays, ravagés par les conflits, ont été classés par l’Onu dans la catégorie de CIT (Country In Transition) pays en transition. Actuellement, ni le personnel ni le budget ne sont adaptés pour contenir ces crises qui émergent brutalement. Tout le système de travail sur le volet humanitaire des Nations-Unies doit être reformulé pour être plus efficace.

— Concernant le volet politique, quel est l’impact du droit de veto ?

— Le conflit d’intérêts entre les deux grandes puissances, les Etats-Unis et la Russie, au sein du Conseil de sécurité est lui aussi un obstacle majeur qui empêche ce conseil d’accomplir son rôle politique et humanitaire. Il complique également la situation sur le terrain, où ces deux puissances ont aussi leurs zones d’influence. Le système international doit agir avec plus de responsabilité et de coopération dans la gestion des conflits. Je pense que ce sera difficile sous l’Administration Trump. Le langage provocateur de l’ambassadrice américaine auprès de l’Onu et le non-respect du droit international au sein de l’Onu sont édifiants. Cela ne veut pas dire que les autres puissances assument parfaitement leur rôle. La Chine ne veut pas jouer le rôle de la grande puissance jusqu’à présent. Et la Russie dans la crise syrienne agit conformément à ses intérêts.

— Beaucoup d’émissaires onusiens ont présenté ces dernières années leur démission. A quoi attribuez-vous leur échec ?

— Le contexte dans lequel ces émissaires mènent leur médiation est très complexe. La diplomatie classique des envoyés spéciaux ne s’adapte pas à ce genre de conflits où les intérêts des forces régionales et internationales interfèrent et se croisent. En Syrie par exemple, une dizaine de conflits se produisent en parallèle. D’abord, le conflit entre l’Etat et l’opposition. Cette dernière est à son tour subdivisée en quatre catégories. La Syrie est actuellement une scène de trois autres conflits: la Russie et les groupes terroristes, la Turquie et les Kurdes à Afrine, et Israël et l’Iran. Face à ce spectacle mouvementé, le médiateur se retrouve ainsi incapable de mener une négociation directe avec les acteurs locaux. La réussite de sa médiation est liée à ces quelques acteurs internationaux et régionaux s’accordant premièrement entre eux pour parvenir à un règlement politique.

— Avec autant de défaillances, n’est-il pas temps de réformer le système actuel ?

— La réforme du système de fonctionnement des Nations-Unies, et plus précisément celle du Conseil de sécurité, devient de plus en plus nécessaire. En fait, les tentatives de le modifier sont multiples, mais restent toujours en suspens. On peut citer le plan de paix de Boutros-Ghali, celui de Kofi Annan et finalement celui du secrétaire général actuel Antonio Guterres. Ces projets ont abordé les principaux thèmes, comme la question du veto, l’élargissement du conseil et l’amélioration des méthodes de travail du Conseil de sécurité et ses relations avec les autres organes. Je pense qu’il est nécessaire de modifier la composition du conseil afin d’élargir la représentation de la communauté internationale dans son ensemble et au vu des réalités géopolitiques modernes.

La France avait elle aussi présenté une initiative pour régler l’usage du droit de veto par les 5 membres permanents du Conseil de sécurité en cas d’atrocités de masse.

— Mais qu’est-ce qui entrave donc tous ces projets de réforme ?

— Ce n’est pas une affaire impossible, mais il faut savoir que la réforme du Conseil de sécurité est le reflet des relations internationales et non pas le contraire. C’est-à-dire que la réforme ne va pas améliorer les relations internationales. Alors, pour que cette réforme passe, il faut d’abord exercer plus de pression sur les Etats-Unis et la Russie pour parvenir à un accord. Outre les 5 puissances, le consensus fait aussi défaut entre les autres pays principaux de l’Onu. Par exemple, une alliance a été créée entre 4 pays: l’Inde, le Brésil, l’Allemagne et le Japon qui réclament des sièges permanents. D’autres groupes régionaux africains et asiatiques ont aussi formé des alliances similaires. La problématique réside alors dans cette question: comment parvenir à un terrain d’entente entre toutes ces parties pour pouvoir relancer le processus de réforme ?

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