Al-Ahram Hebdo : L’un des objectifs du programme de réforme égyptien est d’attirer les investissements étrangers pour relancer la croissance et créer des emplois. Mais jusqu’à présent, le gouvernement égyptien compte davantage sur les dettes et le financement extérieur. Comment relancer les investissements selon vous ?
Christine Lagarde : Les investissements étrangers ont tardé à intervenir sur le marché égyptien au cours de la première année du programme de réforme. Cela était bien normal. Mais maintenant, la situation est différente. Le marché égyptien a récemment connu une claire amélioration. Les indices macroéconomiques avancent, la sécurité du pays est stable et toutes les institutions gouvernementales sont déterminées à aller de l’avant dans la réforme. Certains indices de l’économie égyptienne sont satisfaisants comme le déficit budgétaire en partie comblé, les dépenses publiques qui ont été ramenées à la baisse et aussi les politiques de ciblage plus serrées au profit des couches les plus défavorisées. Le gouvernement égyptien doit être conscient de l’incapacité du secteur public à procurer des emplois, c’est une ancienne prescription. La barque doit être menée par le secteur privé qui est le seul capable d’injecter de nouveaux investissements sur le marché. Attirer les investissements étrangers est donc la bouée de sauvetage. Et cela est faisable, mais bien difficile. Pendant les périodes de transition difficiles comme celle que traverse le pays actuellement, tout le monde doit faire des sacrifices, que ce soit le gouvernement ou la population. Et l’Egypte a réussi à traverser cette période. Le taux de croissance est de 5%, dépassant ainsi la moyenne de la région qui est de 3,5%. Et il s’agit là d’un avantage en plus pour l’investisseur.
— Le FMI souligne l’importance pour l’Egypte d’adopter un système juste de taxation qui inclut les riches, pour diversifier les ressources de l’Etat et protéger les classes pauvres. Quel est votre conseil à cet égard ?
— La fiscalité est un mécanisme fondamental pour le gouvernement égyptien. C’est un axe fondamental pour générer des revenus publics. En attirant de nouveaux investissements, on injecte de nouvelles taxes dans l’assiette fiscale. Par ailleurs, l’élaboration d’un système de taxation juste, qui inclurait toutes les couches de la population non exemptée, est très importante pour les revenus de la caisse publique. Il faut élaborer un système de taxation qui réunit tout le monde sans exception. Il est incorrect que l’assiette fiscale se limite aux fonctionnaires et aux employés. Les taxes doivent être progressives en fonction de la classe sociale.
— Le chômage et l’inflation sont les principaux défis du programme de réforme égyptien. Quelles sont vos suggestions pour surmonter ces défis ?
— L’Egypte veut avoir une économie forte. Et c’est pour cela qu’elle a pris, au cours de la première année du programme de réforme, des mesures difficiles mais importantes, entre autres le flottement de la livre égyptienne et la réduction des subventions à l’énergie. Ces mesures étaient indispensables, car les réserves en devises étrangères ont fortement chuté et l’Egypte allait perdre ses relations commerciales avec le monde extérieur. Il est vrai que les prix ont augmenté et que le taux d’inflation a dépassé les 30%, sachant que l’Egypte importe plus qu’elle n’exporte. Mais la Banque Centrale d’Egypte et le gouvernement sont intervenus pour surmonter cet obstacle, avec la hausse des taux d’intérêt et des programmes de protection sociale. Le taux d’inflation a régressé, et selon nos prévisions, il atteindra 12 % en 2018. L’Egypte avance donc dans la bonne direction. Les réformes économiques vont donc porter leurs fruits, mais cela nécessitera quelque temps. Et c’est ainsi que les investisseurs, suite à ces réformes, commenceront à injecter leur argent sur le marché égyptien et nous verrons des offres d’emploi se créer sur le marché et des capitaux entreront donc sur le marché.
— Le FMI a organisé deux meetings régionaux sur la croissance inclusive, l’un en Jordanie en 2014 et le second à Marrakech. Quelles sont les conclusions des deux conférences ?
— L’une des plus importantes conclusions de la conférence de Marrakech est que toutes les parties doivent s’écouter, parler ensemble et construire ensemble. La réalisation de la croissance inclusive ne se fera pas uniquement par l’intermédiaire des gouvernements, mais également à travers les Banques Centrales, le secteur privé et les ONG. Tous doivent travailler ensemble pour réaliser l’objectif. La seconde chose importante est qu’il existe plusieurs autres éléments liés les uns aux autres qui doivent se réaliser pour parvenir à la croissance inclusive, comme l’anéantissement de la corruption, la réalisation de la transparence, le financement aisé et la réforme du marché du travail pour qu’il devienne plus flexible.
— Entendez-vous organiser la prochaine conférence en Egypte pour discuter du modèle de réforme égyptien qui doit servir d’exemple aux économies émergentes en Afrique et au Moyen-Orient ?
— Je ne sais pas encore où se tiendra la prochaine conférence du FMI. Il est possible que ce soit en Egypte, mais elle ne discutera pas seulement les questions qui concernent l’Egypte mais celles qui se rapportent à l’ensemble de la région.
La corruption, un obstacle pour les entreprises
Selon le Fonds Monétaire International (FMI), de nombreuses entreprises considèrent la corruption comme l’un des principaux obstacles aux affaires. C’est dans la région arabe que le taux de ces entreprises est le plus élevé.
Taux des entreprises considérant la corruption comme l’un des principaux obstacles aux affaires :
55 % dans la région arabe.
39 % dans l’Amérique latine.
36 % dans l’Afrique subsaharienne.
24 % en Asie.
22 % dans les pays européens émergents.
Source: Fonds Monétaire International (FMI)
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