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Le magistrat Mohamad Hamed Al-Gamal: « Aucune affiliation ne doit disputer la loyauté du juge vis-à-vis du peuple »

Propos recueillis par Osman Fekri, Mardi, 07 mai 2013

La crise entre le régime et la justice a pris une nouvelle tournure après l’appel du président Mohamad Morsi à la tenue d’une conférence sur l’avenir de la justice. Ancien président du Conseil d’Etat, le magistrat Mohamad Hamed Al-Gamal évalue cette initiative ainsi que son accueil mitigé par le Club des juges.

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Al-Ahram hebdo : Le président Mohamad Morsi a essayé de calmer le jeu avec le pouvoir judiciaire au sujet du nouveau projet de loi, et a proposé de présider une conférence sur l’avenir de la justice. Comment voyez-vous cette initiative ?

Mohamad Hamed Al-Gamal : Le Club des juges est le représentant légitime et élu de ces derniers, c’est l’équivalent d’un syndicat, et le Conseil suprême de la justice est leur représentant officiel. Il n’est ni possible ni logique que l’amendement de la loi sur le pouvoir judiciaire soit discuté en dehors de ces deux instances. Une conférence au sujet du pouvoir judiciaire est une affaire qui concerne ce dernier. Il n’est pas question qu’elle soit tenue au palais présidentiel.

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Lors d'une assemblée générale extraordinaire le 24 avril, le Club des juges a rejeté le projet de loi sur la justice. (Photo: Reuters)
— Le président s’est toutefois engagé, à l’issue de sa rencontre fin avril avec les principaux responsables de l’appareil judiciaire, à respecter l’indépendance de la justice …

— Cette rencontre, ainsi que son engagement à respecter la dignité et l’indépendance de la justice sont des initiatives encourageantes. Il faut qu’ils soient suivis par des actes et des mesures concrètes. Il faut retirer ce projet de loi suspect et arrêter les manifestations et les campagnes médiatiques qui visent les juges. Il faut également traduire en justice ceux qui profèrent des propos diffamatoires et des menaces contre certains juges.

— Quel sera l’ordre du jour de cette conférence à votre avis ?

— Il faut premièrement débattre de l’indépendance de la justice. Pour la réaliser, il faut envisager de transférer certains pouvoirs du ministre de la Justice au Conseil suprême de la justice : le procureur général, le Parquet général, l’inspection judiciaire (instance disciplinaire) doivent dépendre du Conseil et non du ministre, ainsi que toutes les questions relatives au budget, à l’affectation et à la promotion des juges.

Deuxièmement, il faut discuter du développement des moyens nécessaires pour assurer une justice efficace. L’Egypte compte 14 000 juges qui ont en charge des millions de procès. Au niveau du Conseil de l’Etat, ils sont 12 000 magistrats pour plus de 25 000 procès. Il faut doubler le nombre des juges, tout en assurant aux plus jeunes la formation convenable …
Troisièmement, cette conférence doit se pencher sur les questions de la modernisation, l’informatisation des tribunaux et la protection des juges contre toute agression verbale ou physique. Cela nous amène à l’idée de créer une « police judiciaire » affiliée au pouvoir judiciaire non au ministère de l’Intérieur, pour se charger de la protection des juges, des tribunaux et des documents, et elle pourra également être investie du droit d’arrestation des inculpés en vue de l’application rapide des verdicts.

— Quelles sont vos principales réserves sur le projet de loi présenté par certains partis au Conseil consultatif ?

— Ce projet de loi est une déclaration de guerre contre le pouvoir judiciaire. C’est la loi de la destruction du pouvoir judiciaire en vue de sa « frérisation ». Sous prétexte de vouloir imposer une égalité entre les juges et les autres fonctionnaires, l’article principal de ce projet de loi prévoit l’abaissement de 70 à 60 ans l’âge de la retraite. Ceci se traduirait par la mise à la porte de plus de 3 500 juges parmi les plus expérimentés et les plus compétents, pour ensuite les remplacer par des avocats affiliés ou proches des Frères musulmans. Les autres articles visent à leurrer les juges, en leur faisant miroiter des avantages, pour éviter qu’ils s’opposent à ce projet de loi.

— Mais la question semble devenir une préoccupation populaire avec des manifestations récurrentes réclamant « l’assainissement » de la justice …

— C’est un slogan insolent. Il est inadmissible de prétendre que la justice est corrompue. Si vous voulez, l’appareil judiciaire est muni d’un système d’auto-purification : en cas d’infraction individuelle, la loi permet de récuser le juge, de le contester, ou de le dénoncer auprès de l’inspection judiciaire. Les mesures disciplinaires ne sont pas rendues publiques, afin de préserver la dignité de l’ensemble des juges et la confiance dans la justice. Mais pour être sûr, la célèbre prison de Tora abrite nombre de juges et de procureurs qui purgent leurs peines.

A part cela, les slogans scandés lors des manifestations et des sit-in à propos de l’assainissement de la justice ainsi que les accusations selon lesquelles les juges ont tous été nommés par Moubarak et sont contre la révolution … Tout cela n’est qu’une arme utilisée à des fins politiques.

— Fin mars, la justice a ordonné l’annulation du limogeage de l’ex-procureur général Abdel-Méguid Mahmoud et son retour à son poste. Mais l’actuel procureur Talaat Ibrahim Abdallah a fait appel de cette décision. Comment voyez-vous la fin de ce conflit ?

— Nous sommes face à un problème qui ne date pas d’hier et que nous n’aurions pas dû ignorer. Dès son élection en juin dernier, le président Mohamad Morsi s’est engagé dans un bras de fer avec le pouvoir judiciaire. Il a voulu réinstaurer le Parlement après sa dissolution par la Haute Cour. Ensuite, après la dissolution par la justice administrative de la première assemblée constituante, il a publié une déclaration constitutionnelle immunisant la deuxième assemblée, le Conseil consultatif, ainsi que toutes ses décisions antérieures et ultérieures. Il n’y a rien dans la légitimité constitutionnelle qui puisse justifier de telles mesures. Et pour finir, la Haute Cour a été assiégée par des protestataires islamistes, et des manifestations sont systématiquement organisées contre des verdicts dans des procès d’ordre pénal. Tout cela prouve qu’un vrai conflit oppose le régime au pouvoir judiciaire.

Les choses ne peuvent pas continuer ainsi : le président de la République et le régime en place doivent respecter la légitimité constitutionnelle et arrêter cette politique hostile aux institutions de l’Etat. Maintenir la pression sur les juges à travers les manifestations, les menaces et le siège des tribunaux ne risque pas de résoudre le problème. Pour mettre fin à cette tension, il faut commencer par retirer le projet de loi suspect et reconnaître la suprématie de la loi. Finalement, il faut comprendre que les juges ne doivent pas appartenir à tel ou tel courant politique, ils doivent garder leur indépendance. Aucune affiliation ne doit disputer leur loyauté vis-à-vis du peuple.

— Aujourd’hui que la légitimité du procureur général est contestée par la justice, quelle est la validité de ses décisions ?

— Ses décisions antérieures doivent être examinées à la lumière de la Constitution et de la jurisprudence du Parquet général. Celles prises après le verdict sont nulles et non avenues.

— Pensez-vous que certains magistrats soient partisans des Frères musulmans et jugent conformément à leur idéologie ?

— L’infiltration de la justice par les régimes oppressifs et dictatoriaux est évidente, non seulement en Egypte mais partout où ces régimes existent. Leurs moyens consistent dans un premier temps à utiliser la tentation, et dans un deuxième temps à utiliser la violence politique et législative pour remplacer les compétents par des hommes de confiance. Aujourd’hui, il existe sans doute des centaines de juges issus des Frères. Jusqu’ici, ils représentaient des cellules dormantes. Je crois que l’un des objectifs du projet de loi relatif à la justice est de leur permettre une prise de contrôle.

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