Al-ahram hebdo : L’industrie égyptienne a connu des turbulences après la libéralisation des taux de change et la suppression des subventions sur le carburant. Où vont, selon vous, les investissements industriels ?
Tarek Kabil : Le secteur industriel a connu une période difficile en 2014-2015, mais le pire moment est venu en 2016, et ce, pour plusieurs raisons, parmi lesquelles la hausse des prix de l’énergie et la pénurie des terrains industriels. Cependant, le manque de devises étrangères est considéré comme la cause essentielle de la crise qui a frappé ce secteur, puisqu’il a contraint de nombreuses usines, incapables de se procurer les matières premières et les pièces de rechange, à fermer leurs portes. De 2012 et jusqu’à fin 2015, l’industrie a connu un recul à cause des importations excessives et « débridées ». Il fallait faire une pause pour redresser ce secteur. Pour ce faire, nous avons dû travailler sur plusieurs volets. L’une des mesures importantes a été la rationalisation des importations, et cela a permis de booster la production industrielle « made in Egypt ».
Cela s’est répercuté positivement sur la croissance industrielle, qui a littéralement bondi au cours des trois derniers mois. L’Egypte a aujourd’hui une croissance de 4,2 %. Le ministère a délivré 1 231 licences à des usines pour qu’elles s’installent. Cela représente des investissements de 23,5 milliards de L.E. Le ministère a également approuvé l’augmentation du capital de 487 unités industrielles, soit un montant de 21 milliards de L.E. Les appels d’offres pour les terrains industriels ont enregistré une hausse au cours des 16 derniers mois. 16 millions de mètres carrés de terrains ont été consacrés à l’industrie, contre 9,5 millions entre 2007 à 2015.
— Dans quelle mesure la décision de limiter les importations a-t-elle été effective ? Entendez-vous continuer sur cette voie ?
Cette décision a amené la facture des importations égyptiennes à baisser d’environ 30 %, soit l’équivalent de 8 milliards de dollars en 2016 et de 10 milliards depuis le début de 2017. La baisse a touché tous les secteurs de l'importation. Ainsi, le prêt-à-porter, par exemple, a enregistré un recul de 64 %, les produits en cuir de 52 %, les meubles de 49 %, les produits alimentaires de 35 % et les produits médicaux de 15 %. Nous nous attendons à ce que la tendance à la baisse se poursuive.
— Cette baisse n’a-t-elle pas affecté la demande sur certains produits sur le marché local ?
— Est-ce que nous avons arrêté de nous habiller après avoir réduit les importations du prêt-à-porter ? Non, nous avons tout simplement remplacé le produit importé par un produit local. Cela fait travailler les usines, afin de répondre à la hausse de la demande. Il est vrai qu’il y a eu une crise au début à cause de l’absence de certains produits, mais il n’en demeure pas moins que les capacités de production ont pu être augmentées pour absorber la demande. Il faut comprendre que le cycle industriel a besoin de temps pour se régulariser.
— Quelles sont vos prévisions concernant la croissance du secteur industriel pour le second semestre de l’année en cours ?
— Je ne peux pas donner de chiffre précis. Mais sans aucun doute, la tendance est à la hausse et le chiffre en question, comparé à la même période de l’année fiscale précédente, a augmenté.
La facture des importations a baissé de 30 %.
— Quelle a été l’attitude des détenteurs de licences industrielles temporaires après la modification de la loi sur les licences ? Prévoyez-vous le recul du système informel ?
— Ces détenteurs intégreront le système formel de manière permanente avec l’application des nouvelles modalités. Nous avons avancé dans ce sens et avons finalisé et légalisé tous les statuts. Oui, le secteur informel verra certainement un repli. Le ministère est sur le point d’amender la loi 141 relative aux petites et moyennes entreprises. Elle accorde des avantages au secteur, dont le plus important est l’exonération des taxes et impôts anciens. Avec ces deux lois, nous nous attendons à la formalisation annuelle de 5 à 7 % du secteur informel.
— Qu’en est-il des usines en difficulté ?
— Ce dossier a pris une ampleur exagérée. Il y a des usines en difficulté dans beaucoup de pays, et c’est normal que leur nombre augmente chaque jour. Les raisons de ces difficultés sont multiples. Nous avons étudié le portefeuille des 872 usines qui avaient des difficultés pendant la révolution et avons découvert que les raisons étaient soit des procès intentés contre elles, soit des divergences familiales. Le nombre exact est de 135 usines, dont 36 ont vu leur situation réglée via les banques.
— Qu’en est-il des licences industrielles dans les zones franches ? Relèvent-elles du ministère de l’Industrie et du Commerce ou du ministère de l’Investissement ?
— L’Organisme du développement industriel est le seul responsable de l’octroi des licences des terrains industriels sur toute l’étendue de la République. L’objectif étant de faciliter la vie à l’investisseur.
— Avez-vous engagé des négociations avec l’Union des industries pour une nouvelle tarification de l’énergie pour le secteur industriel ?
— Non, pas encore. Je lutte pour retarder au maximum la décision de réduire les subventions accordées à l’industrie bien que je sois pleinement convaincu que le secteur industriel doit apprendre à payer le prix des services qu’il reçoit.
— Certains organismes gouvernementaux n’encouragent pas les produits égyptiens et continuent à importer des produits qui ont un équivalent égyptien. Pourquoi ?
— Il faut changer la culture de ces organismes. Cela prend du temps. Je me suis adressé aux ministres. Il ne s’agit pas des ministres mais des organismes qui leur sont affiliés. Tous les ministères se sont montrés coopératifs et l’Organisme du contrôle administratif nous aide à confirmer leur engagement et à prendre les mesures nécessaires contre les organismes qui continuent à importer de tels produits.
— Comment expliquez-vous la hausse importante des prix du béton armé malgré les frais provisoires antidumping imposés par le ministère ?
— Cette hausse est due à la hausse des cours mondiaux de blet et non pas au monopole des compagnies de béton. Dans ce contexte, j’aimerais préciser que l’imposition des frais antidumping n’est pas une décision ministérielle. Cette décision est prise lorsque les compagnies présentent des plaintes. Ces plaintes sont examinées par l’Organisme de lutte contre le dumping qui les soumet à son tour à l’OMC. Dans le cas des frais provisoires antidumping, les frais prélevés sont mis à part dans un compte indépendant. S’il s’avère que les compagnies sont innocentes et ne pratiquent pas le dumping, ces frais leur sont rendus.
— Le gouvernement avait déclaré qu’une stratégie en faveur de l’industrie automobile serait annoncée, mais cela n’a pas été fait. Pourquoi ?
— Cette stratégie est actuellement soumise au Conseil des députés. Le retard vient de l’interférence des intérêts. Chaque compagnie automobile défend ses intérêts. Nous avons dû recourir à un expert allemand pour répondre à certaines questions qui nous retardaient. Il s’agit d’une industrie délicate où il y a de nombreux acteurs. Mais l’essentiel est de faire prévaloir l’intérêt du pays.
— Avez-vous l’intention d’accroître à 60 % le pourcentage des composants locaux dans les voitures assemblées en Egypte ?
— Les pourcentages actuels seront modifiés non seulement dans l’industrie automobile mais aussi dans les industries affiliées.
— Le transfert des tanneries hors du Caire a soulevé un tollé. Certains accusent le ministère d’octroyer des privilèges aux grandes tanneries uniquement. Qu’en dites-vous ?
— Dès le début du projet, le ministère a annoncé qu’il allait octroyer des privilèges aux 10 premières compagnies qui proposeraient de déménager sans savoir quelles seront ces compagnies. Le ministère a annoncé qu’il assumerait le coût de transfert des 10 premières tanneries parmi lesquelles figuraient d’ailleurs de petites usines. Le président de la République a prolongé le délai jusqu’à fin août au cours de sa visite à Damiette. C’est-à-dire que toutes les tanneries qui ont présenté leurs plans au ministère avant cette date butoir ont bénéficié des mêmes privilèges, et le ministère assumera les coûts de leur transfert. Les travaux sont en cours. 18 tanneries fonctionnent déjà depuis fin août. Les contrats de plus de 120 usines ont été signés pour commencer les travaux de construction. Nous préparons actuellement l’inauguration de la première phase de la région d’Al-Robeiki.
— La rupture des relations avec le Qatar aura-t-elle un impact sur les relations commerciales entre les deux pays ? Qu’en est-il de la Turquie ?
— Nous sommes les plus grands bénéficiaires de l’accord du libre-échange de la région arabe auquel le Qatar prend part. J’essaye toujours de dissocier les accords commerciaux de la politique. Le commerce avec le Qatar ne s’est pas interrompu, et le Qatar n’a adopté aucune mesure contre le boycott de l’Egypte. Il en est de même pour la Turquie. Nous sommes le principal bénéficiaire de l’accord du libre commerce. Nos exportations vers la Turquie ont enregistré une augmentation de 30 % au cours de la première moitié de l’année alors que nos importations ont diminué de 50 % au cours de la même période. Il n’est pas dans notre intérêt en tant que ministre de l’Industrie et du Commerce de handicaper le commerce avec Ankara sauf en cas de volonté politique. Ce qui n’est pas le cas.
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