Al-Ahram Hebdo : Vous venez d’occuper votre poste depuis quelques jours à peine. Comment voyez-vous les relations entre la France et l’Egypte ? Quels sont les dossiers importants dans les relations entre les deux pays ?
Stéphane Romatet : Je suis là depuis 12 jours et je suis enthousiaste dans la mission qui m’a été confiée et très motivé par la tâche qui m’incombe laquelle est de représenter la France ici. Heureusement, on ne commence pas de zéro. Il y a eu depuis très longtemps, depuis des décennies et décennies, et au fil du temps, un partenariat qui s’est noué et cette relation qui s’est intensifiée dans tous les domaines. Et puis, depuis 3 ou 4 ans, un cap a été franchi dans nos relations dans le domaine de la sécurité, de la défense et de la politique. Donc, on ne part pas de zéro, on est déjà à un niveau exceptionnel de partenariat et c’est cela qui rend la mission passionnante. L’Egypte est au coeur du monde arabe qui est en proie à des transformations profondes, mais à des crises également. Tout se passe au Caire, cette grande capitale. Et donc représenter la France ici est une tâche tout à fait enthousiasmante. Il faut que nous renforcions ce qui a été construit sur tant d’années avec ce cap supplémentaire qui a été franchi il y a quelques années. Nous avons l’ambition d’accroître, d’identifier la marge du progrès dans tous les domaines, et d’aller encore plus loin. On a beaucoup de travail à faire dans ce sens.
— Pour ce qui est des changements importants liés à la France, avec l’élection d’un nouveau président, les relations bilatérales franco-égyptiennes vont-elles connaître du renouveau ?
— Effectivement, chacun fait sa révolution. En France, il y a eu des changements très significatifs lors des élections présidentielles, puis les élections législatives qui ont donné une forte majorité à notre nouveau président. Il y a une volonté de reformer en profondeur le pays, de redonner à la France sa place en Europe, de reprendre un leadership en Europe ; et puis aussi d'avoir un regard nouveau sur le monde, notamment sur cette région. Mais aussi, on le ressent ici en étant en Egypte ; il y a une attente à l’égard de cette France incarnée par ce nouveau et jeune président. Moi, je crois qu’en ce qui concerne les relations entre la France et l’Egypte, je ferais deux commentaires. D’abord, la volonté du président Macron, et je dis cela parce que ce sont les instructions qui m’ont été données, est de continuer d’aller encore plus loin dans sa relation avec l’Egypte à travers un soutien absolu. Et en même temps, il faut tenir compte, et je pense que cela intéressera le président Macron, du nouveau visage de l’Egypte de la jeunesse, l’Egypte du numérique, l’Egypte de ces jeunes entrepreneurs. L’Egypte est aussi une terre d’innovation et je pense que le président travaillera à la fois dans la continuité, dans l’approfondissement de ces partenariats stratégiques avec l’Egypte, et aussi la recherche de la découverte de cette nouvelle Egypte.
— Ne pensez-vous pas que la France et l’Egypte doivent coopérer davantage en matière de lutte antiterroriste ?
— L’Egypte est confrontée à un défi sécuritaire et elle en paye le prix. On l’a vu récemment avec ces attaques qui ont causé tant de victimes en particulier dans la communauté copte. Des attaques qui ont suscité une très forte émotion en France. D’ailleurs, le président Macron avait appelé à ce moment-là le président Sissi pour lui exprimer les condoléances de la France. Vous êtes frappés par le terrorisme. La France est frappée par le terrorisme. Nous avons subi en 2015, en 2016 et aussi en 2017 des attaques ou des tentatives d’attaques. Et nous savons que nous continuerons à être frappés et donc la priorité absolue de notre gouvernement, c’est d’assurer la sécurité des citoyens. L’Egypte et la France ensemble. Evidemment, la lutte contre le terrorisme est absolument essentielle et centrale dans la relation entre la France et l’Egypte. Nous échangeons les points de vue, nous coordonnons et nous agissons ensemble en vue d’éradiquer le terrorisme dans nos deux pays, mais également dans la région. Evidemment, ce qui se passe en Libye soulève les inquiétudes du terrorisme là-bas face au risque de vide politique, et c’est également un sujet très important dans les relations entre l’Egypte et la France.
— Sur le dossier de la Libye spécifiquement, l’Egypte et la France se trouvent-elles sur la même longueur d’onde ou bien y a-t-il des divergences ?
— Il y a d’abord un dialogue. Ce dialogue est activé, je vous dirais même presque tous les jours entre responsables officiels français et égyptiens pour échanger nos impressions, pour bien caler nos positions sur le dossier de la Libye. Nous avons trois objectifs. Premièrement, il faut que la Libye retrouve un pouvoir central, parce que le risque de rester sans pouvoir, sans autorité et sans gouvernement est dangereux. Il y en a un, mais l’essentiel est qu’il soit encore plus conforté parce que s’il n’y a pas un gouvernement qui représente tous les Libyens, il y a un risque d’avoir un vide politique, et l’on en voit tout de suite les conséquences. Deuxième objectif : c’est l’unité de la Libye qui est aujourd’hui fracturée entre différentes tendances et différents groupes. Elle est fracturée aussi sur le plan géographique. Je crois que la France et l’Egypte partagent absolument le même objectif stratégique : c’est de garder l’unité et l’intégrité géographique de la Libye. Et enfin, il y a un troisième objectif, et je ne les classe pas dans l’ordre ; je dirais qu’ils sont tous les trois d’importance différente. La Libye, faute d’un gouvernement fort représentant et reconnu par toutes les sensibilités, se trouve confrontée au grand risque que ce pays devienne un refuge pour les terroristes. La lutte antiterroriste en Libye est donc vraiment un objectif sur lequel la France et l’Egypte misent et elles se trouvent sur une même longueur d’onde, car c’est un dossier très important.
— La politique proche-orientale de la France va-t-elle changer sous la nouvelle présidence de M. Macron ?
— Effectivement, il y a une volonté de la France d’être engagée dans cette région et de contribuer par sa diplomatie, ses liens et son histoire dans cette région aux moments de crise. En ce moment, il y a la crise avec le Qatar, la question de la Syrie, le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens. Sur tous ces sujets, le président Macron et les autorités françaises sont très impliqués. Concernant la crise avec le Qatar, nous avons multiplié depuis près d’un mois des contacts intensifs avec tous les pays qui sont impliqués dans la crise et nous avons un dialogue intensif avec l’Egypte. Le rôle de la France est de parler avec tout le monde sans exception et nous avons un dialogue avec tous les pays de la région, et notre capacité de pouvoir parler à tous est un atout de notre diplomatie. Il est aussi question de contribuer par nos initiatives, nos idées et par notre rôle au Conseil de sécurité dont nous sommes membre perma¬nent, c’est-à-dire contri-buer au règlement des crises.
— La France entre¬tient de très bonnes rela¬tions avec le Qatar et il y a beaucoup d’investisse¬ment qatari en France. Elle entretient égale¬ment de très bonnes relations avec l’Egypte, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Où se situe donc la France par rapport à cette crise ?
— Nous discutons avec l’ensemble des pays qui sont impliqués dans cette crise, et actuellement, il y a une déci¬sion des pays de la région qui a été prise de confier la mission de la média¬tion au Koweït. Nous avons eu des contacts récents avec l’émissaire koweïtien qui était de passage à Paris il y a quelques jours. La priorité de la France est, premièrement, de faire confiance en cette médiation koweï¬tienne et, deuxièmement, de continuer à discuter intensément avec tous les pays de la région qui sont impliqués dans la crise, en particulier l’Egypte. Et troisièmement, c’est aux pays impli¬qués de trouver des solutions grâce à notre aide et celle des partenaires et de la médiation koweïtienne. La solution viendra des pays eux-mêmes. Donc à ce stade, il ne faut pas aggraver la situation et il faut laisser à la médiation koweïtienne la chance d’aboutir à des résultats. C’est la priorité durant les prochains jours.
— Au niveau des relations cultu¬relles entre la France et l’Egypte, quel sera votre plan de travail ?
— La culture et l’éducation consti¬tuent les fondements de la relation entre les deux pays depuis des décen¬nies, voire deux siècles. Il y a en France une expression qui résume les choses, c’est la passion française pour l’Egypte. Il y a peu de pays au monde pour lesquels les Français ont une pas¬sion et les Français éprouvent vraiment une passion pour l’Egypte. L’égyptologie a un grand succès en France et c’est un atout extraordinaire. Et je sens qu’il y a aussi en Egypte une grande communauté francophone. Il y a aussi un réseau d’écoles qui ensei¬gnent les programmes français qui, chaque année, forment des mil¬liers de jeunes Egyptiens francophones. J’accorde une grande importance à ces relations cultu¬relles et en même temps, je voudrais vous dire que je suis aussi convaincu qu’il y a ici en Egypte, et j’irai à sa rencontre, toute une génération de nouveaux artistes, de créateurs de mode, de chanteurs, d’artistes de la télévision qui souhaitent aussi s’enga-ger dans la relation culturelle avec la France. Donc, il faut créer des passe¬relles entre les nouvelles générations d’artistes égyptiens et français pour que les relations culturelles ne soient pas uniquement héritées du passé. En Egypte, il y a un dynamisme culturel très fort que je constate clairement puisque je commence à être invité à des manifestations culturelles très inté¬ressantes. Il faut qu’on mette en contact tous ces jeunes créateurs égyp¬tiens avec leurs homologues français. C’est une formidable tâche de pouvoir rétablir ces passerelles de coopération et d’échange culturels.
— Beaucoup d’écoles proposent maintenant en Egypte le bac français, mais depuis la dévaluation de la livre égyptienne en novembre der¬nier, ils ont des problèmes impor¬tants. On parle même de fermer des programmes de bac ou de limiter le nombre d’élèves. Est-ce que vous êtes conscient de ce problème ?
— Oui, je suis parfaitement conscient de ce problème et des difficultés que rencontrent ces écoles et aussi les familles des élèves dont les frais de scolarité sont affectés par la dévalua¬tion de la livre égyptienne depuis l’au¬tomne dernier. A la rentrée, je vais aller faire le tour de toutes ces écoles égyp¬tiennes qui proposent des programmes français pour discuter avec les respon¬sables et les proviseurs et voir com¬ment on peut surmonter cette difficulté et réaliser encore plus de liens éduca¬tifs. Il y a aussi un point que je vou¬drais aborder concernant les relations universitaires entre la France et l’Egypte et qui ne sont pas au niveau de ce qu’elles devraient l’être, compte tenu de l’excellent partenariat entre les deux pays. Aujourd’hui, il y a 1 200 étudiants égyptiens en France et je pense qu’on peut faire beaucoup plus. Il faudrait aussi que des étudiants fran¬çais viennent faire des semestres d’études en Egypte afin de découvrir le pays : c’est par la jeunesse qu’on pour¬ra permettre aux deux sociétés de s’entremêler davantage. Je crois beau¬coup aux échanges universitaires. Nous avons les instruments et les outils ; il faudrait peut-être également leur donner une nouvelle mission.
— Parlons d’économie. Avez-vous pris contact avec des entreprises françaises en Egypte au cours des derniers jours ? Font-elles face à de nouveaux défis, liés aux importantes réformes économiques ? Comment voient-elles l’Egypte en ce moment ?
— Je me suis beaucoup préparé à mon poste en Egypte : avant d’arriver, j’ai vu les sièges des grandes compagnies. J’ai donc eu des contacts dès mon arrivée. Je suis allé à la rencontre de la commu¬nauté d’affaires française, j’ai passé une partie de la journée avec la Chambre de Commerce et d’Industrie Française (CCIF) en Egypte. Le pays et la population font face à des difficultés économiques. Je tiens à saluer les décisions difficiles prises sur des questions de changement de budget, de frais d’énergie et autres, ce n’est pas facile. Je pense que tout ce qui a été fait au cours des derniers mois contribuera à faire redécoller l’écono¬mie égyptienne. Donc d’une part, mal¬gré les difficultés que ressentent les gens, il faut dire qu’on est très admira¬tifs des décisions prises dans le domaine de la politique économique en Egypte. D’autre part, malgré ces difficultés, il faut que la France mise économiquement sur l’Egypte. C’est un partenaire considérable, avec une population de 95 millions d’habitants et plus dans les années qui viennent, et donc un grand marché. C’est aussi un pays qui a besoin de se moderniser dans le domaine des infrastructures, de l’énergie durable, dans ce que l’on appelle le domaine de la ville durable. Ce sont des domaines dans lesquels les entreprises françaises ont des réfé¬rences. Il faut regarder ce qui a été fait grâce à la collaboration franco-égyptienne sur le métro, par exemple. Il y a donc beaucoup de secteurs sur lesquels la France devrait miser en Egypte, car le potentiel est là, les réformes sont là et le besoin est là. J’ajoute que les entreprises françaises disent trouver en Egypte une haute qualité de main-d’oeuvre : les jeunes qu’elles embau¬chent sont très bien formés par les universités égyptiennes. Il y a évidem¬ment des choses que l’on peut amélio¬rer, mais je trouve tout de même chez les entreprises françaises une volonté de rester, de parier durablement sur l’avenir économique de ce pays. Mon défi reste d’encourager les petites et moyennes entreprises à venir en Egypte. Les grandes entreprises connaissent bien le pays ; certaines sont ici depuis très longtemps, parfois depuis plusieurs décennies. Je trouve aussi qu’il est fondamental de mettre ensemble des start-up françaises et des start-up égyptiennes.
— Pourriez-vous nous parler des problèmes et défis de ces entreprises françaises ?
— Il y a évidemment la situation économique générale de l’Egypte, qui est compliquée et que tout le monde subit, les sociétés françaises incluses. Il y a tout de même ce sentiment que les choses vont redémarrer, étant donné le potentiel de croissance impor¬tant. Certaines entreprises ont signalé les difficultés qu’elles ont pu avoir sur le plan monétaire, avant et après la dévaluation de la livre égyptienne. Il peut aussi y avoir des difficultés à caractère administratif, fiscal ou doua¬nier, mais là aussi, on va, avec le gou¬vernement égyptien, créer de meilleures conditions pour les affaires. Je crois beaucoup au rôle de la CCIF en Egypte, notamment pour favoriser et alerter les autorités lorsqu’il y a des difficultés que l’on peut résoudre ensemble.
Lien court: