Al-ahram hebdo : Un nouveau mouvement djihadiste a récemment vu le jour au Sahel, une région où prolifèrent déjà plusieurs groupes terroristes. Qu’en est-il exactement et quelles conséquences cela peut-il avoir ?
Dr Amira Abdel-Alim : Il s’agit d’un nouveau mouvement qui s’est donné pour nom le « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans », dont la création a été annoncée début mars. C’est, en fait, l’alliance de cinq groupes actifs au Mali et dans les autres pays du Sahel. Sur une vidéo récemment diffusée sur les réseaux sociaux, figurent les photos des dirigeants du nouveau mouvement : Iyad Ag-Ghali, le chef incontesté du mouvement Ansar Eddine, entouré par Abul Hammam, commandant de « l’Emirat du Sahara », Amadou Koufa, chef de la brigade « Macina, katiba peule », dépendant d’Ansar Eddine, et Al-Hassan Al-Ansari, deuxième figure du mouvement d’Al-Mourabitoune, dirigé par l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, l’un des djihadistes les plus dangereux et dont le sort est toujours incertain. La plupart de ces leaders et leurs disciples étaient actifs au Mali, mais sont dernièrement en désaccord avec la rébellion touareg du Mali. Ces derniers ont découvert que ces groupes veulent uniquement mettre la main sur le nord du pays et gagner du terrain. De plus, en démolissant des lieux traditionnels et mausolées sacrés des Maliens, ils ont attisé la colère des rebelles maliens. Du coup, leur présence n’est pas acceptable comme avant.
Autre chose, l’intervention militaire française en 2013 a provoqué aussi la dispersion de ces groupes, qui se sont dirigés vers d’autres régions pour poursuivre leur activité, notamment la région sahélo-saharienne. La fragilité de cette région, son instabilité politique, la multiplicité des coups d’Etat, les mandats allongés des présidents, le manque de démocratie, les conflits ethniques. Autant de facteurs qui ont rendu cette région une terre fertile à ces groupes pour poursuivre leur activité terroriste.
— Mais pourquoi cette annonce maintenant ?
—Il faut savoir que la création de ce groupe intervient quelques semaines après la décision des pays du G5 (cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité, créé en février 2014) de créer une force conjointe au Sahel pour lutter contre le terrorisme. Les cinq pays du G5 (Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad et Mauritanie) ont, en effet, décidé le 7 février de fournir des troupes pour lutter contre les groupes djihadistes et le trafic de drogue dans la région, (une des activités des groupes et source essentielle de leur financement). La décision du G5 a été prise suite à l’attentat-suicide au Mali le 18 janvier, qui a fait près de 80 morts à Gao, principale ville du nord. Cette attaque a été revendiquée par Al-Mourabitoune, le groupe de Mokhtar Belmokhtar, rallié à Al-Qaëda au Maghreb Islamique (AQMI) et l’un des principaux groupes de la nouvelle alliance. Ainsi, on peut dire que ces groupes ont formé cette nouvelle organisation pour répondre à la formation de la nouvelle force du G5.
— La menace de ces groupes est-elle réelle ? Est-elle surévaluée ou sous-évaluée ?
— D’abord, ces groupes opèrent sous la bannière d’Al-Qaëda et suivent son idéologie. Ils prennent comme cible les étrangers, leurs intérêts en Afrique et même hors du continent. Les forces de l’armée et des appareils sécuritaires viennent en deuxième position. Donc, la menace sera plus grande sur les étrangers. Ensuite, Iyad Ag-Ghali, qui se présente comme le leader du groupe, est un « poid lourd » en matière de communication, qui a posé problème aux milieux sécuritaires de la sous-région. Et ici, je dois signaler que les groupes djihadistes sont actuellement très développés en matière de technologie et communication. Ils ont réussi même à attirer de nouveaux membres pour les rejoindre à travers Internet. De même, la présence du groupe Al-Mourabitoune de Belmokhtar va donner une dimension plus dangereuse à ce mouvement. Moukhtar est l’un des plus anciens et des plus dangereux éléments dans le terrain du djihadisme. Son expérience, qui remonte à 1997, lorsqu’il a rejoint le groupe terroriste GIA (Groupe Islamique Armé) en Algérie jusqu’à sa présidence d’Al-Mourabitoune, le rend plus dur et plus dangereux.
En outre, ce groupe a été créé alors que la situation dans les pays du Sahel laisse à désirer, notamment en ce qui concerne la situation socio-économique. Ces circonstances aident certainement le groupe à s’attirer plus de membres et va aussi faciliter le trafic d’armes, d’hommes et l’enlèvement des étrangers pour financer leurs activités. Tout cela fait qu’il existe une certaine menace, cela dit, on ne peut pas déterminer exactement son ampleur. Cela dépendra aussi de la capacité des forces des pays de la région de combattre le groupe.
— Face à cet état des lieux, les pays africains sont-ils capables de lutter seuls contre le terrorisme ? Une intervention étrangère est-elle nécessaire ?
— Certes, ce n’est pas facile. Mais contrairement à l’idée reçue selon laquelle les pays africains sont incapables de lutter contre le terrorisme, la coopération militaire entre les pays africains peut rendre efficace la lutte contre les groupes terroristes. Par exemple, lors de la crise en Gambie, la mobilisation des pays africains a donné ses fruits en contraignant l’ex-président Yahya Jammeh à céder le pouvoir pacifiquement. Les Africains ont finalement compris qu’ils doivent eux-mêmes résoudre leurs problèmes et pas avoir recours aux étrangers. A mon avis, toutes les interventions militaires étrangères en Afrique n’ont abouti à rien. Cela a toujours été de mauvaises décisions. On l’a vu lors de l’intervention américaine en Somalie, Restore Hope en 1993, qui a été un vrai fiasco. On l’a vu aussi plus récemment lors de l’intervention française au Mali, qui n’a pas ramené la paix et n’a pas réussi à mettre fin à l’existence des groupes djihadistes.
Le problème essentiel des Africains, c’est le manque de financement. Si les pays européens veulent vraiment aider les Africains, ils peuvent leur accorder les aides financières et logistiques dont ils ont besoin et les laisser résoudre leurs problèmes sur le terrain tous seuls. Egalement, au-delà de l’aspect militaire de la lutte antiterroriste, d’autres facteurs sont primordiaux, comme la démocratisation, le développement économique, la répartition équitable des richesses et la prise en compte des appartenances ethniques ou religieuses .
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