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Jack Lang : L’IMA n’est pas au service d’un gouvernement ou d’une idéologie

Dalia Chams et Fouad Mansour, Mardi, 31 janvier 2017

Docteur en droit et agrégé de droit public et de sciences politiques, Jack Lang est aussi un fin gestionnaire qui essaye de rendre à l’Institut du Monde Arabe sa vitalité, dans un contexte difficile. Entretien avec le président de l’IMA.

Jack Lang
Jack Lang

Al-Ahram Hebdo : Vous êtes à la tête de l’IMA depuis janvier 2013, comment concevez-vous le rôle de cet outil mi-culturel, mi-diplomatique, dans le contexte politique français assez difficile, après les attentats de Charlie Hebdo et les menaces terroristes actuelles ? Comment faire pour que le monde arabe ne soit pas limité à l’islam ?

Jack Lang: L’Institut n’est pas au service d’un gouvernement ou d’une idéologie, mais c’est un lieu ouvert, un lieu où toutes les idées peuvent s’exprimer. Il y a les grandes expositions comme celles prévues sur les chrétiens d’Orient, le Canal de Suez et les trésors de l’islam subsaharien, mais il y a aussi des rencontres et des forums qui se déroulent presque tous les jours, sur tous les sujets liés à la société, à l’éducation, aux droits des femmes, etc. Aucun sujet n’est tabou.

Après les assassinats de Charlie Hebdo, nous avons pris position. Le président de la République est venu nous rendre visite. En novembre dernier, après les massacres du Bataclan, nous avons organisé une nuit de poésie, en hommage des victimes, avec la participation de poètes arabes, de chanteurs. Il y avait des milliers de personnes.

Ces derniers temps, le président François Hollande m’a associé à tous ses déplacements dans les pays arabes. Pendant la période de froid entre la France et le Maroc, on a tenu une exposition importante sur la peinture marocaine. J’y étais très présent et j’ai contribué à calmer la situation, car j’ai l’avantage de bénéficier de la confiance de plusieurs responsables arabes. Avec l’ex-ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, nous avons réuni tous les imams de France à l’IMA, soit quelque 600 imams lesquels ont signé une déclaration selon laquelle ils respectaient la République et la laïcité française. Mais il ne faut pas tout de même que l’IMA se transforme en un instrument diplomatique du gouvernement.

Nous avons organisé beaucoup d’événements sur la Palestine, la Syrie. Nous étions les premiers à avoir montré une photographie sur les tortures dans les prisons syriennes qui ont ensuite fait le tour du monde. Nous avons également accueilli des artistes syriens en exil et d’autres venants de Damas. Nous essayons de mettre en valeur les choses positives qui existent partout, de donner la parole à des femmes, des jeunes, des entrepreneurs, alors que les médias sont assez forts pour montrer le monde arabe en noir.

— A votre arrivée, l’IMA souffrait déjà d’une baisse de fréquentation importante et était secoué par une crise financière. L’Institut est majoritairement financé par le Quai d’Orsay (60% du budget) et par ses propres ressources, avec un conseil d’administration qui regroupe les Etats membres de la Ligue arabe, de quoi rendre sa gestion assez subtile. Depuis les origines, certains pays arabes ne règlent leur écot que de façon sporadique. Qu’en dites-vous ?

— J’ai oeuvré à changer cette situation et à donner à l’IMA une stabilité matérielle et surtout un rayonnement international. Aujourd’hui, il a retrouvé des couleurs, sa vitalité. Depuis 2015, la dette de l’Institut n’existe plus. Maintenant, on ne sait pas de quoi est fait le futur. Certains candidats à la présidence disent par exemple qu’ils veulent couper tous les crédits, on verra. Mais il ne faut pas se résigner, il faut se battre.

— A propos de la stabilité matérielle, vous avez eu recours au Qatar, à l’Arabie saoudite et à d’autres monarchies pétrolières, afin de surmonter les problèmes financiers. N’y a-t-il pas de crainte que ceci n'influence la politique de l’IMA, comme ce fut le cas pour les établissements religieux en France, laissés pendant longtemps sous l’égide de l’Arabie saoudite, notamment ?

— L’IMA est totalement indépendant. Je n’ai pas eu recours à ces pays pour le fonctionnement qui compte essentiellement sur les subventions du Quai d’Orsay, sur les mécènes pour financer les expositions et sur les recettes: billets d’entrée, librairie qui marche très bien et ainsi de suite. J’ai eu recours à l’aide des pays du Golfe pour la restauration du bâtiment (conçu il y a trente ans par l’architecte Jean Nouvel), pour la remise en état des moucharabiehs de la façade, donc pour des investissements matériels et non pas pour le fonctionnement. Dans ce cadre, l’Arabie saoudite nous a apporté récemment cinq millions d’euros, sans aucune condition. Et le Qatar nous a fourni deux millions d’euros, il y a quelques mois. On va bientôt rouvrir la bibliothèque qui a été entièrement rénovée, grâce à une contribution du Koweït. Nous attendons aussi le bon vouloir des Emirats arabes unis.

— Vous portez une grande attention à l’enseignement de la langue arabe. Est-ce que la France connaît actuellement un regain d’intérêt pour l’apprentissage de cette langue, similaire à celui qu’ont connu les Etats-Unis au lendemain des attentats de Septembre 2011 ?

— L’enseignement de la langue arabe a été de tout temps une tradition. Je suis un partisan de l’enseignement des langues. Le plurilinguisme est une bonne chose pour la culture du pays et même pour la langue nationale. Quand j’ai été ministre de l’Education de 2000 à 2002, j’ai encouragé l’apprentissage des langues étrangères, notamment l’arabe, dès l’école primaire. Mais malheureusement les gouvernements ultérieurs n’ont pas eu la même ambition.

A l’IMA, Nous avons remis sur les rails le Centre de langue et de civilisation arabes créé en 1995. Nous l’avons énormément soutenu. Nous avons nommé à sa tête une Française d’origine libanaise, Nada Yafi, une personnalité respectée et énergique, qui a été l’interprète des présidents de la République pendant longtemps. La demande a explosé au point que nous avons dû emprunter les locaux de l’université voisine de Jussieu. Des personnes de tous les âges prennent des cours au centre.

Nous avons également un projet de certification internationale de la langue arabe. Elle doit être traitée comme l’anglais et bénéficier d’évaluations à différents niveaux de compétences, comme le Toefl. L’arabe est une langue de culture, de savoir. Elle a été la langue des mathématiques, de la philosophie, elle n’est pas forcément liée à une religion. Oui, il se trouve que le Coran est en arabe, bon alors tant mieux que ceux qui lisent le Coran le comprennent. C’est la cinquième langue pratiquée dans le monde. Elle doit être enseignée de manière libre et indépendante, et non pas sous la coupe d’un gouvernement ou d’une religion.

Durant votre visite au Caire vous vous êtes entretenu avec le président de la République, mais vous avez aussi rencontré le pape de l’Eglise copte orthodoxe, le ministre des Antiquités, Khaled Al-Anani, et le responsable de la nouvelle zone économique du Canal de Suez, Ahmad Darwich, outre des entrepreneurs et des mécènes. Votre but était-il seulement d’organiser les deux expositions actuellement en préparation sur les chrétiens d’Orient et le Canal de Suez ?

— La France a proposé en décembre dernier, lors d’une conférence sur le patrimoine mondial en danger tenue à Abu-Dhabi, de créer un fonds international dans le but de sauvegarder l’héritage, à Palmyre, en Afghanistan ou ailleurs. Nous avons demandé au président Al-Sissi de soutenir cette initiative et que l’Egypte soit l’un des signataires de ce projet de résolution que nous allons soumettre au Conseil de sécurité de l’Onu. Nous travaillons avec l’Unesco, qui n’a pas réussi à collecter l’argent nécessaire d’urgence pour la restauration des sites et monuments endommagés. Le fonds escompté est censé constituer un moyen plus efficace, afin d’atteindre cette fin.

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