Al-Ahram Hebdo : Pouvez-vous nous décrire l’ambiance au sein de la Cathédrale suite à l’attentat ?
Le prêtre Boules Halim : L’ambiance au sein de la Cathédrale est tragique. Tout le monde est sous le choc. Cet acte est très signifiant, car il cible une église adjacente à la grande Cathédrale, principal lieu de culte des coptes et siège du patriarcat. C’est l’attentat le plus important après celui de l’église des Saints à Alexandrie, ayant coûté la vie à 23 fidèles, lors de la messe du 31 décembre 2010. A l’intérieur de l’église Saint-Pierre, la bombe qui a explosé durant la messe était placée près d’un pilier. Dedans, le sol en marbre est noirci, parsemé d’éclats, les traces de sang sont visibles partout, une partie du plafond s’est effondrée, les vitraux sont tous brisés, les bancs de bois renversés. Dehors, des militaires et des blindés sécurisent les entrées de l’église et l’équipe de l’enquête continue à examiner le lieu. Depuis, les foules ne cessent d’affluer à la Cathédrale. Des délégations officielles, de hauts responsables, des ministres, mais surtout des gens simples, musulmans et chrétiens, qui viennent exprimer leur compassion et leur soutien. Nous recevons des personnes qui veulent aider. Des centaines de jeunes bénévoles se rendent également au siège de la Cathédrale proposant toutes sortes d’assistances aux familles des victimes.
— Quelle est la mission des prêtres en ce moment précis ?
— Les évêques et les prêtres de la Cathédrale ont formé plusieurs groupes de travail. Certains d’entre nous accueillent les personnes qui viennent présenter leurs condoléances. D’autres se rendent aux hôpitaux pour suivre l’état des blessés et vérifier qu’ils obtiennent les soins appropriés. Une équipe de prêtres aura pour rôle de tenir des réunions avec les jeunes en colère tentant de leur adresser des discours pour apaiser leur colère. Et ce, sans compter les contacts que nous faisons avec des spécialistes pour offrir l’assistance psychologique nécessaire aux familles traumatisées.
— Quel est le sentiment général au sein de la communauté copte en ce moment ?
— En fait, la plupart des fidèles affluant à la Cathédrale depuis l’attentat laissent éclater leur colère. Qu’y a-t-il de plus douloureux que de voir des gens en pleine dévotion, les mains tendues vers le ciel, tués sans raison ? Il y a un sentiment d’indignation. Les coptes sont en ébullition et ils ont raison, ils se demandent pourquoi les coptes sont toujours ciblés par ces actes terroristes, pourquoi les forces de sécurité présentes devant la Cathédrale sont incapables de les protéger, comment des gens innocents et pacifiques peuvent trouver la mort alors qu’ils se trouvaient dans un lieu de culte et étaient en train de prier, le lieu où ils sont censés être le plus sûrs et sereins. Certains voient qu’il y a eu des failles sécuritaires, surtout que l’Eglise ne dispose pas de personnel pour assurer la sécurité des fidèles. C’est uniquement le ministère de l’Intérieur qui s’en occupe. Une chose est sûre : les mesures de sécurité auraient dû être plus strictes, surtout que nous sommes dans une période de jeûne, de prières et que nous nous apprêtons aux fêtes. Ce qui angoisse tout le monde c’est que le dossier soit clos et tombe dans l’oubli comme fut le cas d’autres actes terroristes ayant ciblé des églises et coûté la vie à des coptes.
— Quel rôle pourrez-vous jouer durant la prochaine période pour apaiser la colère de certains coptes ?
— Notre rôle en tant que leaders religieux au sein de l’Eglise est de les aider à voir le contexte général et la situation politique dans tout le pays. Ce n’est pas seulement l’Eglise qui est visée par ces actes terroristes, mais l’ensemble du pays. C’est un attentat qui vise l’Egypte et les Egyptiens. Nous savons qu’à chaque fois qu’il y a une vague d’attentats terroristes en Egypte, l’Eglise est toujours au coeur de ces menaces, tout comme la police et l’armée. Cela a toujours été le cas, et c’est le prix que nous devons payer en tant qu’Egyptiens, faisant partie de cette nation. Nous savons que notre pays traverse un moment crucial et que l’Eglise devra présenter des martyrs. Elle l’a toujours fait. C’est sur ce concept qu’elle a été fondée. Ce sont ces martyrs qui la rendent plus forte et plus solide, et après chaque acte terroriste, et à l’encontre de toutes les attentes, le nombre de fidèles qui se rendent dans les églises se multiplie après ces attentats, et vous allez le constater lors de la prière du jour de l’an ou de Noël, où les foules qui occuperont toutes les églises d’Egypte dépasseront de loin toutes les attentes. La Bible nous dit que dans ce monde, nous allons connaître le chagrin et la détresse. Je m’attends à plus de crises dans la prochaine période. Ces actes ne font que nous rendre plus forts et plus solidaires. Rien ne va nous empêcher de prier au sein de nos églises, pour notre patrie, pour que Dieu la protège. Nous allons également prier pour les criminels qui ont commis cet acte, pour qu’ils repentissent et retournent sur la bonne voie.
— Ne trouvez-vous pas que cette position tolérante de la part de l’Eglise risque d’être jugée comme passive, notamment par certains coptes ?
— Notre tolérance et notre amour pour la patrie ne veulent en aucun cas dire que nous sommes résignés, ni que nous avons l’intention de céder nos droits. Les coptes sont tolérants, c’est vrai, mais cela ne signifie pas qu’ils vont renoncer au sang de leurs martyrs. J’insiste à ce que l’enquête soit accélérée et que les résultats soient annoncés en toute transparence, que les procédures de sécurité des églises soient accentuées, que les criminels soient sanctionnés. Nous demandons aussi une réponse précise à la question : Comment cette bombe est-elle rentrée dans l’église ? Nous sommes confiants que l’Etat va prendre des mesures très strictes pour restituer les droits des coptes. Et nous sommes conscients que notre pays passe par un moment crucial et nous assumerons notre rôle jusqu’au bout. Nous resterons unis malgré tout. Et nous n’accepterons jamais que ces actes nous entraînent dans un cercle vicieux de haine, ni de division, ni de guerre sur fond confessionnel.
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