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Amr Adly : Si les banques continuent à s’abstenir de vendre des dollars, on risque de revenir à la case départ

Nourane Chérif, Lundi, 07 novembre 2016

Amr Adly, économiste et chercheur non-résident à l’Institut Carnegie Moyen-Orient, estime que le flottement de la livre était la seule sortie de l’impasse économique qui frappe le pays.

Amr Adly : Si les banques continuent à s’abstenir de vendre des dollars, on risque de revenir à la c

Al-Ahram Hebdo : La décision de la Banque Centrale signifie-t-elle un flottement complet ou un flottement dirigé de la livre égyptienne ?

Amr Adly : En réalité, il est encore très tôt de juger si les décisions de la Banque Centrale seront traduites par un flottement complet ou dirigé. Le flottement complet signifie une libre fluctuation de la monnaie, sans aucune intervention du gouvernement ou de la Banque Centrale Egyptienne (BCE), jusqu’à maintenant, ce n’est pas le cas en Egypte. En revanche, jeudi dernier, la BCE a décidé de laisser flotter la livre égyptienne, après l’avoir dévaluée de près de 48 %, faisant passer sa valeur, amarrée au dollar, de 8,80 à 13 L.E. contre un dollar, avec une marge de fluctuation de 10 %. Ainsi, si la BCE continue d’imposer de telles marges, afin de contrôler indirectement le taux de change, ce sera un flottement dirigé. Il faut donc attendre un certain temps pour savoir à quel point l’Egypte est déterminée à arriver au flottement libre.

— Pensez-vous que cette mesure ait été indispensable ?

— Cette décision entre dans le cadre des conditions imposées par le Fonds Monétaire International (FMI) pour l’octroi d’un prêt de 12 milliards de dollars sur trois ans. Même si je suis contre ce prêt, vu le fardeau supplémentaire sur la dette extérieure, je crois que cette mesure était la seule issue pour sortir de l’impasse économique qui frappe le pays, en raison du manque de dollars dû notamment à la chute des revenus du tourisme et à la baisse du trafic dans le Canal de Suez. Sur le moyen terme, je souhaite que cette mesure puisse aider l’Egypte à trouver une solution à la crise monétaire aiguë dans laquelle le pays s’enfonce depuis quelques mois. Depuis 2011, l’Egypte est frappée par une pénurie dramatique de dollars qui a fait fuir les investisseurs étrangers, et qui rend presque impossible l’importation de plusieurs matières premières. Avant la prise de ces mesures, la BCE maintenait un taux de change officiel à environ 8,80 L.E. pour un dollar. Mais la situation allait tout autrement sur le marché noir. Un système parallèle devenu au fil du temps indispensable à la plupart des entrepreneurs, incapables de s’approvisionner en devises étrangères auprès des banques. Ainsi, à la veille de la prise de ces mesures par la BCE, au marché noir, le dollar valait deux fois le cours officiel, jusqu’à battre le record extravagant de 18,2 L.E. pour 1 dollar. C’était une situation intenable dans un pays qui importe la majorité des biens de première nécessité.

— Quel est le risque principal après cette mesure ?

— Il est important d’activer efficacement le système de flottement de la devise. Jusqu’à maintenant, la situation me paraît un peu floue. Il me semble que le système bancaire égyptien n’accepte que l’achat des dollars des citoyens qui veulent les vendre, mais de l’autre côté, les banques ne les vendent pas. Et si les banques continuent à s’abstenir de vendre des dollars, on risque de retourner à la case départ. Nous pourrons revenir à une situation où l’achat des dollars se fera en dehors du système bancaire formel.

— Le gouvernement dit que ce flottement devrait attirer les investissements. Qu’en est-il ?

— Faute de devises étrangères, en particulier de dollars, il y avait des restrictions qui étaient imposées sur la sortie de ces devises de l’Egypte. Ce qui avait conduit à un recul des investissements étrangers. Les investisseurs qui voulaient récupérer leurs dollars étaient peu encouragés à investir en Egypte, à cause du climat de méfiance qui régnait sur la totalité des activités économiques. La récente mesure prise par la BCE peut aider à réinstaurer un climat de confiance auprès des investisseurs étrangers, qui seront encouragés à investir dans un pays possédant un prix unifié de dollars et qui est doté d’une stabilité de taux de change. Mais les investisseurs ne reviendront vraiment qu’après la hausse des réserves en devises étrangères et l’amélioration des indicateurs macroéconomiques d’une manière générale. Ainsi, en parallèle, il est nécessaire de mener plusieurs réformes institutionnelles et législatives afin d’attirer les investisseurs parce que la reprise économique ne pourra pas avoir lieu en réformant un seul secteur.

— Mais il y aura un réel impact sur la hausse des prix ...

— De manière générale, les risques macroéconomiques vont augmenter. Il est prévu que le flottement de la livre provoque une hausse des prix, une augmentation du taux d’inflation, un déficit budgétaire et une augmentation de la dette intérieure. Ainsi, les Egyptiens vont passer par une période difficile, probablement la plus difficile dans l’histoire de leur pays. Ces procédures sont douloureuses et vont avoir un coût social très élevé, mais elles sont indispensables et donnent un grand espoir de relancer la roue de l’économie dans quelques mois. La souffrance des Egyptiens aura un sens, alors qu’auparavant, ils souffraient pour rien. Le gouvernement aura à gérer cette période difficile.

— Justement, comment le gouvernement pourra-t-il diminuer l’impact des retombées du flottement sur les citoyens ?

— L’Etat doit surtout maintenir les subventions alimentaires, indispensables pour les Egyptiens, je pense même que l’Etat doit augmenter les subventions alimentaires, surtout qu’environ 40 % des Egyptiens dépensent la totalité de leurs revenus sur les produits de consommation de base. Quant à la subvention monétaire, je ne suis pas sûr de son efficacité, car elle peut facilement mener à l’augmentation du taux de l’inflation dans un pays qui souffre déjà d’un taux élevé d’inflation.

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