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Rory Steyn : Il revient à l’Egypte de trouver son propre mécanisme de sécurisation des stades

Amr Moheb, Lundi, 31 octobre 2016

Expert en matière de sécurisé des stades, Rory Steyn a effectué cette semaine une brève visite en Egypte. L’occasion d’un entretien sur les moyens de faire revenir les supporters dans les gradins.

Rory Steyn
Rory Steyn.

Al-Ahram Hebdo : C’est votre première visite en Egypte ?

Rory Steyn : Non c’est ma 5e visite. Cette fois, je suis venu en Egypte pour une courte visite de 12 heures seulement en tant qu’ex­pert. Je suis invité par le Centre International d’Etude du Sport (CIES) pour tenir une conférence à l’Université du Caire dans le cadre du programme exécutif FIFA/CIES organisé par le CIES en partenariat avec l’Université du Caire et financé par la FIFA. Il s’agit d’une confé­rence sur la sécurité des stades pen­dant les matchs et les compétitions sportives. La sécurité des installa­tions est l’un des éléments les plus importants dans l’organisation de tout événement sportif. Il est le ruban doré qui regroupe un bouquet d’élé­ments en rapport avec l’organisation de l’événement sportif, notamment le marketing, la gestion, les finances, la diffusion événementielle, etc. Tous ces éléments ne peuvent pas réussir sans une sécurisation optimale des lieux. Les matchs et les événements sportifs sont organisés par des per­sonnes et pour des personnes. Le plus important est de sécuriser ces personnes, joueurs soient-ils ou sup­porters dans les tribunes, et même les organisateurs ou toute partie tierce. La sécurisation des personnes vient donc au premier plan, qu’il s’agisse des joueurs, des organisateurs ou des fans dans les tribunes qui sont venus supporter leurs équipes.

— Vous êtes sans doute au cou­rant que les matchs de football se jouent en Egypte, depuis des années, à huis clos ...

— Oui, je sais que tel est le cas depuis les incidents du stade de Port-Saïd en 2012 qui ont causé la mort de plus de 70 supporters, et les incidents survenus à l’entrée du stade de la Défense aérienne en 2014, où une vingtaine de supporters ont trouvé la mort. C’est vraiment triste de voir des êtres humains perdre leur vie pour la simple raison qu’ils voulaient encourager leur équipe dans un stade. Et depuis mon arrivée au Caire ce matin, les gens n’arrêtent pas de me poser cette question : comment faire en sorte que les matchs de foot­ball soient joués avec supporters dans les gradins, et comment faire pour garantir la sécurité de ces sup­porters et éviter de nouveaux inci­dents dans les stades ?

— Et quelle a été votre réponse à cette question ?

— (Il sourit) En fait, c’est vous les Egyptiens qui devez connaître la réponse à cette question. C’est votre pays, et vous connaissez les solutions qui conviennent le mieux à votre vie. Je ne peux donner que des solutions basées sur mes propres expériences dans le domaine de la sécurité, et c’est à vous au finish qui devez les accepter ou les refuser si elles ne conviennent pas à votre pays. Prenons l’exemple de ce qui s’est passé en Angleterre dans les années 1980, lorsqu’il y a eu 2 incidents mortels lors de 2 matchs de football, et dont le bilan était extrêmement lourd en terme de morts. L’Etat a formé une commission d’enquête qui a mené son travail soigneusement. Et le résultat était un changement dras­tique dans le système d’accueil des supporters dans les stades pendant les matchs, pas seulement pour le football, mais pour toutes les disci­plines et les manifestations sportives. Chaque stade a des mécanismes spé­ciaux qui se rapportent à l’organisa­tion des événements sportifs et qui ont trait à la protection des suppor­ters. Après lesdits incidents, les clubs anglais ont été interdits d’assister aux compétitions de l’UEFA à cause du mauvais comportement des hooli­gans. C’est alors que les autorités anglaises ont commencé à penser à des méthodes susceptibles d’amélio­rer le comportement des supporters. Ils se sont posé cette question : Comment améliorer et résoudre le problème des hooligans ?

Je pense que l’Egypte doit aussi suivre l’exemple de l’Angleterre et profiter de ce qui s’est passé dans ce pays pour résoudre les problèmes des supporters. Personnellement, je pense que les incidents déplorables qui ont eu lieu au stade de Port-Saïd en 2012 et au Caire en 2014 sont une occasion pour que les autorités égyp­tiennes prennent des mesures draco­niennes, afin que l’équipe nationale égyptienne joue à nouveau dans un stade plein de supporters. En résumé, il revient à l’Egypte de trouver son propre mécanisme de sécurisation des stades. L’Egypte est un grand pays de football. J’espère qu’elle deviendra un jour le deuxième pays africain à organiser la Coupe du monde de football après l’Afrique du Sud en 2010.

— Vous avez une grande expé­rience dans le domaine de la sécu­rité et de la protection des stades. Parlez-nous de votre expérience ...

— Tout au long de ma carrière, j’ai travaillé dans le domaine de la sécu­rité et de la protection. Ma carrière a commencé dans les années 1990, tout d’abord en tant que policier dans mon pays, l’Afrique du Sud, dans le domaine de la sécurité et de la pro­tection. J’ai commencé dans la police sud-africaine comme garde du corps du président sud-africain Nelson Mandela. Après plus de 35 ans de travail comme policier, j’ai intégré le travail civil en créant une entreprise de sécurisation des stades et des ins­tallations sportives. En tant que poli­cier, j’ai participé à la sécurisation de la Coupe du monde de rugby en Afrique du Sud en 1995. J’ai égale­ment participé à la sécurisation de la Coupe du monde de cricket en 2003, en Afrique du Sud, avant de signer avec la FIFA un contrat de partena­riat pour la sécurisation de la Coupe du monde de football en Afrique du Sud 2010, puis la récente Coupe du monde au Brésil en 2014. J’ai été aussi engagé pour les cinq derniers Jeux olympiques. Je viens de rentrer il y a quelques semaines des JO de Rio de Janeiro 2016.

Malgré ma grande expérience, je ne peux pas vous donner une baguette magique pour solutionner le pro­blème des supporters. Car chaque pays a ses conditions, et il est diffi­cile pour un étranger de donner des solutions types. Je peux seulement vous donner mon expérience et vous dire comment cela se passe à l’étran­ger dans les pays qui n’ont pas de problèmes avec les supporters. La première chose est la nécessité d’une présence policière pour sécuriser les supporters. En revanche, la police doit se trouver autour du stade pour sécuriser l’entrée des supporters, des équipes et des invités. Puis à l’inté­rieur du stade à l’entrée des tribunes vient le rôle des employés civils et non des policiers.

Selon moi, le rôle des policiers doit s’arrêter en dehors du stade, car leur présence à l’intérieur du stade effraye les supporters. Les employés peu­vent être des bénévoles. Personnellement, j’aime beaucoup travailler avec les bénévoles, car ce sont des gens qui travaillent et qui veulent aider sans même être payés, parce qu’ils aiment ce qu’ils font. Lors des Coupes du monde par exemple, les bénévoles jouent un rôle très important dans l’organisa­tion.

Il revient à l’Egypte de trouver son propre mécanisme de sécurisation des stades
L'Egypte doit profiter des incidents du stade de Port-Saïd en 2012 pour résoudre les problèmes des supporters.(Photo : Al-Ahram)

— D’après votre expérience, qu’est-ce qui manque aux stades égyptiens pour accueillir de grandes compétitions comme la Coupe du monde par exemple ?

— Je pense que les stades en Egypte ne sont pas différents de ceux d’Afrique du Sud, du Sénégal, de la Côte d’ivoire ou de tout autre pays africain. Ce qui est différent ce sont les mesures prises pour protéger ces stades qui varient d’un pays à l’autre. Vous devez savoir comment collabo­rer avec les différents secteurs comme la police ou l’armée, ou avec l’organisateur de l’événement comme la Fédération égyptienne de football par exemple, la direction du stade et toute autre partie civile impliquée dans l’organisation. Il peut s’agir de sociétés privées par exemple. Il est aussi important de connaître le rôle de chacun dans ce cercle. Par exemple, quel est le rôle des entreprises de sécurité privées ou le rôle de la gestion des crises ? Toutes ces parties doivent se réunir autour d’une seule table, afin de pla­nifier et travailler sur la même note. Il est très important que tous déci­deurs se réunissent, parlent le même langage et prennent les décisions ensemble, afin de faire réussir l’évé­nement. On doit avoir aussi un chef d’opération qui travaille avec tous, et il faut avoir une coordination entre toutes ces parties pour faire réussir le match ou l’événement sportif, et évi­ter les problèmes. Cela dit, même s’il y a un problème, il sera facile de gérer la situation et de prendre les décisions qui conviennent.

— En Egypte, on ne compte pas beaucoup sur les entreprises de sécurité privées pendant les matchs. Conseillez-vous donc d’avoir recours à ces entreprises ?

— Comme je le dis toujours, chaque pays fait ce qui lui est conve­nable. Mais en ce qui me concerne personnellement, je n’aime pas voir des policiers ou des militaires à l’en­trée des stades pendant les matchs. Je préfère que l’organisation soit faite par une entreprise de sécurité spécialisée pour fouiller les suppor­ters et organiser leur entrée. Et comme je l’ai dit, une direction commune doit être présente pour gérer toutes les parties prenantes à l’organisation. Et chaque partie doit connaître son rôle.

A la fin, je suis optimiste que l’Egypte pourra sortir de cette crise le plus tôt possible, et que les sup­porters seront capables d’assister aux matchs dans les stades très pro­chainement.

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