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Suma Chakrabarti : L’Etat doit céder sa place au secteur privé en ce qui concerne l’investissement

Névine Kamel, Dimanche, 05 juin 2016

Suma Chakrabarti, président de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD), était la semaine dernière au Caire. Dans cet entre­tien exclusif accordé à l'Hebdo, il revient sur la situation économique de l’Egypte et les défis qui entravent la relance des investissements.

Suma Chakrabarti

Al-ahram hebdo : Au Caire, vous avez rencontré le président égyptien et des représentants du gouvernement ainsi que du secteur privé. Quels sont les dossiers les plus importants dont vous avez discu­té ?
Suma Chakrabarti : Cette visite est ma troisième en Egypte depuis ma nomination comme président de la banque. Elle a une importance spéciale, car l’Egypte est devenue notre troisième plus grand mar­ché ces 3 dernières années, soit depuis le début de nos activités en Egypte, avec un total de crédits de 1,7 milliard d’euros distribués sur 37 projets. C’est un bon début donc. L’Egypte s’empare d’environ la moitié des fonds que nous avons versés au Moyen-Orient au cours des trois der­nières années. Et si nous réussissons à injecter les sommes prévues pour l’Egypte en 2016, d’une valeur de 800 millions d’euros, le pays deviendra notre deuxième plus grand client sur 36 pays avec lesquels nous appliquons des programmes de sou­tien.

Mais la mise en oeuvre de ces plans et projets nécessite des mesures décisives de la part du gouvernement, afin d’encoura­ger les investisseurs à venir en Egypte et fluidifier l’environnement des affaires. L’afflux des investissements est donc lié à la capacité du gouvernement à prendre des décisions facilitant les affaires dans le pays. C’est le plus important sujet dont nous avons discuté lors de nos rencontres. Et j’ai ressenti, lors de ces discus­sions, un solide désir de la part du gouvernement de prendre une série de mesures importantes.

— Vous avez annoncé, lors de vos rencontres, le début de l’élaboration d’une stratégie de travail pour l’Egypte. Quels en sont les principaux traits ?
— Nous nous sommes mis d’accord avec le gouvernement égyptien pour élaborer une straté­gie de partenariat à venir avec la banque, qui doit être finalisée en une année. Nous dépendons dans la formula­tion de cette stratégie de celle du gouver­nement annoncée il y a quelques mois, mais en nous concentrant sur les secteurs qui intéressent le secteur privé. Il s’agit des secteurs de l’énergie et de l’énergie renouvelable, du transport, des projets commerciaux, de l’agriculture et des petits et des moyens projets. La banque vise également à multiplier ses investissements dans les municipalités, afin d’améliorer la qualité des ser­vices publics et des moyens de transport.

— Quels sont les domaines les plus intéressants pour les investissements en Egypte ?
— L’énergie, l’énergie renou­velable, les petits et les moyens projets, les moyens de transport, les projets de la femme ... sont des priorités pour les investisse­ments. C’est ainsi que nous allons nous concentrer à finan­cer ce genre de projets au cours de la pro­chaine période.

— Quelles sont les banques commer­ciales égyptiennes avec lesquelles la Banque européenne coopère ?
— Nous coopérons actuellement avec 6 banques en Egypte. Les banques Al-Ahly, Audi, CIB, Barclays, QNB, BNK. Nous allons au cours de la prochaine période ajouter 4 nouvelles banques égyptiennes à la liste.

-— Vous avez prouvé l’intérêt à soute­nir le Partenariat Public-Privé (PPP). Avez-vous pris des mesures positives à cet égard ?
— Oui. Nous avons signé, lors de notre visite en Egypte, un mémorandum d’en­tente d’une valeur de 2,4 millions de dol­lars, pour l’exécution des projets PPP. Ce genre de partenariat diminue la pression sur le budget du gouvernement et améliore la performance des services. La banque coo­père actuellement avec le ministère des Finances, afin de soutenir 3 projets PPP.

— Voyez-vous un intérêt à investir dans la zone économique du Canal de Suez ?
— Le président de la zone économique du Canal de Suez, Ahmad Darwich, nous a fait une présentation spéciale sur les opportuni­tés d’investissement disponibles dans la zone économique. Nous allons étudier la possibilité de financer des projets dans cette zone selon le système PPP.

— L’Egypte affronte en ce moment des défis économiques qui ont provoqué la baisse de la note de l’Egypte de la part des agences de notation internationales. Trouvez-vous alors des difficultés à convaincre les investisseurs à venir en Egypte ?
— L’Egypte possède des opportunités d’investissement énormes sur le moyen et le long termes. C’est pourquoi les investis­seurs y trouvent un intérêt. Et notre pré­sence en tant que financeur encourage les investisseurs à venir. Cela ne veut pas dire une absence de défis qui inquiètent les investisseurs et les empêchent à venir dans le pays. L’Egypte doit clarifier et confirmer sa stratégie future à travers des mesures concrètes. Sissi avait confirmé, lors de la conférence de Charm Al-Cheikh en 2015, que l’Egypte est un pays qui compte sur l’économie et pas sur l’Etat. Et c’est cela que le gouvernement doit confirmer concrètement au cours de la pro­chaine période, à travers quelques changements dans sa stratégie. L’Etat, par exemple, ne doit pas concurrencer le secteur privé. Il doit se reti­rer progressivement de l’économie, en lais­sant une plus grande place au secteur privé. Cette étape nécessaire sera le moteur de la relance de l’économie au cours de la pro­chaine période. La part du secteur privé en Egypte s’aligne à 63 % du total des crédits octroyés par la banque, alors que la moyenne admise par la banque est de 79 %. En Turquie, par exemple, la part des crédits pour le secteur privé est de 97 %, et en Russie de 92 %. Le gouverne­ment doit oeuvrer à atteindre la moyenne admise par la banque au cours des 5 prochaines années. Et c’est ce que le président égyp­tien a promis au cours de notre rencontre : l’Etat doit oeuvrer à céder sa place progressivement au secteur privé.

— Quels défis inquiètent par­ticulièrement les investisseurs étrangers et les empêchent de venir en Egypte ?
— Le manque de devises étran­gères est le plus important défi. Les inves­tisseurs locaux, comme les étrangers, trou­vent des difficultés à importer leurs équipe­ments, ce qui entrave leurs activités. La bureaucratie et l’environnement des affaires difficile en Egypte sont un autre point important. Ces problèmes, en fait, existent partout, mais ils sont plus graves dans cer­tains pays. La place de l’Egypte dans l’in­dice Doing Business (de la banque mon­diale, ndlr) reflète cet état, et le gouverne­ment doit oeuvrer à améliorer sa place au cours des prochaines années. Cela ne sera réalisé que si le gouvernement oeuvre à améliorer les points faibles que révèle le rapport.

— Vous avez effectué au cours de la dernière période une tournée dans les pays du Golfe et en Asie pour promou­voir l'investissement en Egypte. Quels sont les pays qui ont trouvé un intérêt à investir en Egypte ?
— C’est vrai, nous avons effectué des tournées de marketing intensifiées au cours de la dernière période. Nous avons envoyé des missions en Arabie saoudite, aux Emirats arabes unis, au Koweït et au Qatar. Nous avons envoyé d’autres missions en Chine, en Inde, en Corée du Sud et au Japon. Les taux d’investissement de ces pays en Egypte sont faibles. Les pays du Golfe ont prouvé un grand intérêt à investir en Egypte. En même temps, nous avons exposé les opportunités d’investissements en Egypte de sorte que quelques nouvelles entreprises chinoises et indiennes trouvent aussi un intérêt à venir investir en Egypte.

— La Banque du développement et de la reconstruction européenne effectue des études sur les perspectives de croissance dans les pays avec lesquels elle coopère. Quelles sont vos prévisions pour l’écono­mie égyptienne ?
— La banque a dévalué, il y a 3 semaines, ses prévisions pour la croissance de l’éco­nomie égyptienne pour s’aligner à 3,3 % en 2016 contre 4,2 % en 2015, à cause de la baisse des revenus du tourisme et du Canal de Suez. La banque prévoit une reprise de la bonne performance de l’économie pour atteindre 4,2 %, avec la reprise des investis­sements et quelques secteurs de l’économie. L’Egypte possède une économie diversi­fiée, c’est ce qui offre des opportunités d’investissement sur les moyen et long termes.

— Cette perspective positive ne vous poussera-t-elle pas à étendre vos activi­tés en Egypte ?
— La banque possède un plan d’action étendu avec l’Egypte au cours des pro­chaines années. Elle inaugurera une série de nouveaux bureaux dans les différents gouvernorats de l’Egypte. Elle inaugurera son deuxième bureau dans le pays en Alexandrie dans quelques jours.

La BERD octroie des crédits à 6 banques en Egypte Banque Al-Ahly :

20 millions d’euros pour le programme des projets relatifs à la femme.
50 millions d’euros pour les petits et moyens pro­jets.
50 millions d’euros pour la facilitation du commerce.

Banque Nationale du Qatar (QNB) :
100 millions d’euros pour les petits et les moyens projets.
40 millions d’euros pour la facilitation du commerce.

Banque commerciale internationale (CIB) :
100 millions d’euros pour la facilitation du commerce.

Banque Nationale du Koweït (BNK) :50 millions d’euros pour les petits et les moyens pro­jets.
20 millions d’euros pour la facilitation du commerce.

Banque Barclays :
20 millions d’euros pour la facilitation du commerce.

Banque Audi :
30 millions d’euros pour les petits et moyens projets.

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