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Salah Eissa : Les journalistes ne baisseront pas les bras

Chaïmaa Abdel-Hamid, Lundi, 04 avril 2016

A l'occasion du centenaire du syndicat des Journalistes, Salah Eissa, secrétaire général du Conseil suprême de la presse et membre du comité de rédaction de la nouvelle loi sur la presse et les médias, revient sur le rôle du syndicat et les défis de la presse.

Salah Eissa
Salah Eissa

Al-Ahram Hebdo : Le syndicat des Journalistes fête cette semaine son centenaire. Comment son rôle a-t-il évolué au fil des années ?

Salah Eissa : On ne peut pas parler de l’évo­lution du syndicat sans revenir sur son histoire. L’idée de créer un syndicat pour les journalistes date des années 1920. Mais à l’époque, il s’agissait d’associations de presse. Les syndi­cats sous leurs formes actuelles étaient encore rares. C’est en 1941 que le syndicat des Journalistes a finalement été créé, en vertu d’une loi spéciale, dans le but de défendre les droits des travailleurs, de développer et de pro­téger la profession. Ce fut le deuxième syndicat professionnel en Egypte. Depuis cette date et jusqu’en 1955, le syndicat était constitué de propriétaires des journaux et de journalistes. Le conseil du syndicat comptait alors 12 membres, dont la moitié représentait les propriétaires et l’autre les journalistes. La loi a été réformée en 1955, pour accepter uniquement les journa­listes.

Les problèmes du syndicat ont toujours été d’ordre professionnel, liés à la répression des libertés de presse et des arrestations des journa­listes.

— Et comment évaluez-vous le travail du syndicat aujourd’hui ?

Le syndicat aujourd’hui déploie d’énormes efforts pour répondre aux besoins des journalistes. Mais le problème est que notre métier a évolué d’une manière rapide et effrayante. Les pro­blèmes de l’industrie de presse dépassent le pouvoir du syndicat quels que soient les efforts consentis.

— Que pensez-vous des récentes protestations des jeunes journalistes contre le syndicat, qu’ils accusent de ne pas défendre leurs droits ?

Salah Eissa : Les journalistes ne baisseront pas les bras

— Avant la révolution de 2011, le syndicat, qui était en grande partie dominé par le pouvoir poli­tique, était capable de régler les problèmes des jour­nalistes, car il y avait à l’époque une sorte d’accord implicite (entre le gouvernement et le syndicat). En règle générale, le syndicat était présidé par un célèbre journaliste et qui était aussi partisan ou membre du parti au pouvoir. Il parvenait ainsi à maî­triser des journalistes en échange de quelques avan­tages financiers. Il était alors facile pour ces figures, proches du pouvoir, de venir en aide aux journalistes, notamment ceux qui sont licenciés pour des raisons politiques. Aujourd’hui, le gouvernement n’essaye plus d’intervenir dans les affaires du syndicat, et cette équation d’intérêts réciproques n’existe plus.

— Donc, vous dites que le pouvoir politique ne domine plus la presse et les médias …

— Je ne crois pas que ce soit le cas aujourd’hui. On ne peut pas parler d’une intervention dans les affaires ou les activités du syndicat de la part de l’Etat. La preuve est l’apparition de désaccords continuels entre le gouvernement et le syndicat. C’est-à-dire que quand le métier a commencé à retrouver son indépendance, les problèmes ont com­mencé à apparaître.

— Comment évaluez-vous la liberté de la presse aujourd’hui ? Et quel est le rôle du syndicat pour améliorer le climat des libertés ?

— On ne peut pas dire que nous sommes arrivés au niveau espéré des libertés, mais on ne peut pas non plus nier que nous avons franchi des pas impor­tants dans ce domaine. Depuis 2005, les journalistes luttent de toutes leurs forces pour tenter d’obtenir les libertés d’expression. Les choses ont commencé à bouger avec la colère des journalistes contre la loi 93 de l’année 1995, qui aggravait les sanctions pour les crimes liés à la publication. Les journalistes ont fait la grève et en sont parvenus à obliger le gouverne­ment à retirer cette loi.

— Parmi les défis du métier, il y a celui de conserver l’industrie de la presse. Quels sont les problèmes qui menacent cette industrie selon vous ?

— L’apparition de la presse électronique est devenue l’une des plus grandes craintes, voire menaces de la presse en papier. Cette presse qui permet à quiconque de créer son journal électronique sans devoir passer par toutes les complications financières et tech­niques de la sortie de la presse papier est, en effet, devenue dernièrement le moyen le plus facile et le moins cher non pas seulement pour le journaliste, mais aussi pour le lecteur aussi. Les associations journalistiques doivent absolument faire évoluer la presse papier et trouver un moyen pour attirer de nouveau le lecteur et être à la pointe.

— Ne pensez-vous pas que la presse privée a eu une influence négative sur la presse nationale ?

Pas au point qu’on le croit. Au contraire, les chiffres de vente prouvent que la presse nationale reste toujours au premier rang. Il ne faut pas oublier que les conditions économiques par lesquelles passe le pays, et la hausse des coûts de l’impression a poussé un bon nombre d’hommes d’affaires, propriétaires de journaux et qui tentaient d’investir dans ce domaine, à fermer leurs journaux. Il faut aussi souligner que les journaux nationaux restent les plus fidèles aux principes et à l’éthique du métier.

— De multiples revendications deman­daient de changer la loi du syndicat qui est âgée de 46 ans …

— C’est vrai. Des projets de réformes sont aujourd’hui en préparation. Il est temps de changer la loi du syndicat qui existe depuis 1970. Cette loi qui, autrefois, gérait 120 membres du syndicat, ne peut pas gérer aujourd’hui 10 000 membres syndi­caux. C’est illogique, et nous n’allons pas y renon­cer.

— Quelles ont été les réformes les plus impor­tantes selon vous ?

—Le syndicat et le Conseil suprême de la presse ont réussi à inclure les articles liés à la presse et aux médias dans la Constitution de 2014. Ces articles ont garanti aux particuliers le droit de publication des journaux, le droit de possession des médias, la publication des journaux par notifica­tion, sans attendre une autorisation du gouverne­ment. Ces lois ont aussi interdit de confisquer, désactiver ou annuler les journaux, soit par déci­sion administrative ou juridique. Nous avons aussi réussi à annuler les peines de prison dans les crimes de publication, sauf dans trois cas, à savoir l’incitation à la violence et au terrorisme, l’incita­tion à la discrimination ou l’atteinte à la vie privée des personnes.

— Mais finalement, ces projets de réformes n’ont toujours pas vu le jour. Pourquoi n’ont-ils toujours pas été approuvés ?

— La Constitution stipule que les anciennes lois soient appliquées jusqu’à l’approbation des nou­velles. Et le gouvernement, pour sa part, estime que ces projets sont trop libéraux. Le prétexte que le gouvernement avance est le fait que l’Etat égyptien, tout comme les médias, se trouve en période de guerre contre le terrorisme.

— Que pensez-vous de la « loi unifiée des médias », qui est censée régir l’ensemble des médias écrits et audiovisuels ?

— C’est une autre réussite pour les journalistes qui sont parvenus à imposer des lois qui contribueront à faire appliquer les articles de la Constitution. Il faut dire que cette loi reste toujours l’objet d’un grand débat de la part du gouvernement. Elle a pour objec­tif d’établir un nouveau système de médias égyp­tiens, et une fois appliquée, elle pourrait étendre les libertés de presse et des médias.

Cette loi n’a évidemment pas été accueillie par le gouvernement à bras ouverts, c’est pourquoi ce der­nier tente de retarder son approbation le plus long­temps possible. Ne baissons pas les bras.

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